CONTRIBUTION
A Son Excellence Macky SALL
Excellence, notre beau pays, le Sénégal, est à la croisée des chemins et vit ces temps-ci des moments douloureux et très pénibles de son histoire récente avec des manifestations violentes que l’on pourrait qualifier d’émeutes. L’embrasement s’est propagé sur tout l’ensemble du territoire national occasionnant des dégâts importants et, plus grave encore, des pertes en vies humaines, des morts dont la moyenne d’âge est estimée à vingt ans. L’intervention des forces de défense et de sécurité a été nécessaire pour ramener le calme ; et grâce à l’intervention salutaire des chefs religieux, toutes confessions confondues, notamment le Khalife général des mourides que nous saluons au passage, notre pays a retrouvé une paix sociale dont il n’aurait jamais dû se priver.
Excellence, habitué à toujours observer un silence de cathédrale et un mutisme inapproprié devant les préoccupations, les plaintes et les complaintes de vos compatriotes, vous avez dû intervenir, très tardivement, pour vous adresser à eux, particulièrement aux jeunes qui étaient sortis en masse. Vous avez, avec une humilité qu’on ne vous connaissait pas, déclaré que vous avez compris le mal vivre de la jeunesse ainsi que les raisons de leur colère et que, par conséquent, vous allez prendre les mesures idoines nécessaires pour satisfaire leurs besoins par une meilleure prise en charge. Certes, l’emploi est une préoccupation majeure pour les jeunes, mais les revendications dépassaient ce seul cadre ; les manifestants ont réclamé plus de démocratie, une justice indépendante, une redistribution équitable des ressources, une gestion sobre et vertueuse, le bannissement d’une gestion familiale, clanique, partisane et patrimoniale, le respect de la Constitution qui limite vos mandats à deux, la préservation de nos ressources naturelles pour les générations futures. A l’évidence, vous n’avez absolument rien compris (…).
Excellence, comme il appert, votre analyse est superficielle ; il faut une analyse en profondeur pour comprendre le basculement qui s’est opéré. L’affaire Sonko n’a été, en réalité, qu’un élément déclencheur qui, auparavant avait cristallisé toutes les frustrations dont se plaignait la population. Vous auriez dû être plus humble et davantage modeste pour reconnaître votre échec dans la gestion du pays, notamment dans le domaine des principes axiologiques. C’est pendant votre magistère que les contre-valeurs et les antis valeurs ont été magnifiées comme des références paradigmatiques dans la gestion des affaires publiques par rapport à votre appréciation bancale de la situation, à partir d’une grille de lecture tronquée, pouvait-il en être autrement ? N’aviez-vous pas déclaré, tout récemment, en vous moquant de votre bienfaiteur Abdoulaye Wade, que vous êtes daltonien ; ce qui vous empêche de voir la couleur rouge brandie lors des manifestations pacifiques des populations qui pendant neuf ans ont essayé de vous alerter ? Drapées de leur dignité et imbues de leur très grande fierté, elles ont décidé de vous faire voir de toutes les couleurs, y compris le rouge que vous haïssez tant.
Excellence, pendant les manifestations nous avons assisté, médusé, à des scènes ahurissantes jamais vues auparavant dans notre pays ; c’est la présence de nervis dans le maintien de l’ordre. Si votre ministre de l’Intérieur a eu raison de dire qu’il n’y a pas de nervis au sein de la police nationale, il se devait de reconnaître et d’admettre qu’il y avait des nervis aux côtés de la police, je précise bien, aux côtés et non à côté. Ces images effarantes de nervis assurant de manière violente et illégale leur «ordre» ont choqué plus d’un Sénégalais, d’autant que ces individus à la corpulence hors norme faisaient montre d’une brutalité sauvage envers de paisibles citoyens dont de très jeunes écoliers qui rentaient tranquillement chez eux. Certains de vos partisans malhonnêtes ont qualifié ces intervenants de policiers en civil ; ces énergumènes étaient armés de gourdins et de machettes qui, que je sache, ne font pas partie des équipements de la police. Les personnels de police en civil qui interviennent dans le maintien de l’ordre portent des signes d’identification visibles et reconnaissables ; ceux qui interviennent dans l’anonymat font de l’infiltration et agissent dans le cadre du renseignement, de l’anticipation et de la prévention, toutes choses relevant de la police administrative.
Excellence, si les récentes manifestations ont réussi et clarifié une chose, c’est d’avoir, complétement et totalement, dissipé toute illusion d’un troisième mandat. A moins d’être atteint de surdité et de cécité ou de vouloir imposer un forcing aux Sénégalais, vous devez comprendre qu’il ne vous sera jamais permis de poser une troisième candidature pour 2024. L’opposition à un troisième mandat figurait en très bonne place dans la liste des revendications de la jeunesse. Dans une de mes contributions, j’avais dit qu’il était dans l’esprit des Sénégalais que vous souhaiteriez solliciter un troisième mandat, mais qu’il doit être, tout aussi, clair dans votre esprit qu’ils vous le refuseront, dussent-ils y laisser leurs vies. La Constitution ne peut ni ne doit être violée par qui que ce soit, fut-il le président de la République, gardien de cette même Constitution ; celle-ci doit être respectée et gardée par tous les citoyens, toutes les forces vives de la nation et toutes les institutions, notamment les forces de défense et de sécurité. Tout récemment, au cours d’une audience avec des membres de la société civile, vous avez déclaré n’avoir jamais dit que vous allez solliciter un troisième mandat. Il ne s’agit pas de cela, le peuple vous demande très simplement de déclarer officiellement, solennellement, sincèrement, honnêtement, en prenant les chefs religieux à témoin, que vous ne solliciterez pas un troisième mandat, «GASSI».
Excellence, ayant parfaitement compris que votre troisième candidature est compromise définitivement, vos partisans, peut-être, avec votre bénédiction ou votre aval, je ne saurais être affirmatif, veulent adopter une nouvelle stratégie qui va s’appuyer sur deux leviers, la rhétorique terroriste et le discours ethnique. Concernant la rhétorique terroriste, elle s’est beaucoup développée et prend une ampleur inquiétante surtout qu’elle est le fait d’autorités gouvernementales qui évoquent sans gêne la présence de forces tantôt occultes, tantôt étrangères sur notre sol et prêtes à perpétrer de actes terroristes. Le ministre de l’Intérieur, dans un moment de délire et d’impuissance à comprendre la cause des manifestations, a accusé des terroristes qui se seraient infiltrés dans notre pays. La menace terroriste souvent évoquée à tout bout de champ par nos autorités ainsi que certains pseudos experts en la matière est une vieille rengaine visant à installer une psychose sécuritaire exploitable à d’autres fins ; nous sommes en face d’une menace imminente toujours renvoyée aux calendes grecques.
Excellence, nous savons et il a été démontré que certains Etats font de la menace terroriste un fonds de commerce pour bénéficier de subsides de pays développés mais aussi pour servir de justification à leurs dérives liberticides et dictatoriales. Ainsi sous le fallacieux prétexte de combattre les terroristes, ils peuvent violer allégrement les lois, les libertés individuelles et collectives sans trop courir le risque de s’attirer la désapprobation ou la condamnation des puissances occidentales. A toujours évoquer la présence de terroristes et djihadistes sur le territoire national on détribalise l’extraordinaire travail de veille, d’anticipation et prévention effectué par nos forces de défense et de sécurité à travers les actions soutenues et discrètes des différents services de renseignements. Voudrait-on dire que les membres de nos forces de défense et de sécurité sont des pantouflards qui n’ont aucune maîtrise ni connaissance de la réalité et des enjeux sécuritaires qu’on ne s’y prendrait autrement. Quand on entend un ancien officier parler de forces de sécurité et de défense qui pourraient s’entretuer, il y a de quoi se poser des questions sur la santé mentale de certains individus. La menace terroriste existe certes, mais elle ne doit pas être un objet de préoccupation majeur pour les populations qui sont plutôt agacées par les agressions au quotidien.
Excellence, au lendemain du vote par vos veules députés de la loi qui modifiait la loi 69-29 portant sur l’état d’urgence, j’avais dit que ce n’était pas pour lutter contre la Covid-19, mais qu’elle était destinée à être utilisée plus tard, dans deux ans, pour des objectifs politiques déterminés et précis contre les responsables de l’opposition, notamment d’éventuels candidats à l’élection présidentielle de 2024 à laquelle vous voudriez, nolens volens, vous présenter. Les Sénégalais ne retiennent et ne connaissent de l’état d’urgence que l’aspect couvre-feu, ignorant totalement qu’il y a d’autres dispositions plus attentatoires aux libertés individuelles et collectives, notamment l’assignation à résidence, les perquisitions administratives que vous n’hésiterez guère à utiliser contre vos adversaires politiques. Malheureusement, vos sujets députés se sont délestés de leurs responsabilités, trahissant ainsi le peuple, pour vous donner les pleins pouvoirs qui vous permettront de décréter l’état d’urgence ou l’état de siège quand et comme il vous plaira, sous n’importe quel prétexte.
Excellence, la gravité de l’heure commande de bannir la langue de bois, de se départir du politiquement correct, du socialement admis et du moralement convenable pour vous dire certaines vérités. Par rapport au discours ethniciste qui semble vouloir s’imposer comme un nouvel élément paradigmatique dans le champ de la confrontation politique, regardons-nous en face, les yeux dans les yeux pour nous dire les choses telles qu’elles sont dans la réalité. Vous pourriez avoir une très grande part de responsabilité par rapport aux stigmatisations et aux invectives identitaires qui prolifèrent sur l’espace public par certains de vos propos inappropriés et inconvenants ainsi que par votre silence plus ou moins approbateur sur les dérives verbales et autres dérapages de quelques-uns de vos proches auxquels vous sembliez donné votre onction. N’est-ce pas vous qui avez déclaré, avec un brin de fierté non dissimulée, que le Fouta et le Sine sont vos titres fonciers ? Aucun de vos prédécesseurs n’a osé tenir un tel discours d’exclusion et de division. Votre seul et unique titre c’est le Sénégal que vous gérez à titre précaire et révocable. N’avez-vous pas déclaré, lors de la dernière campagne électorale, vous adressant aux ressortissants de la Casamance, que s’ils veulent bénéficier de vos programmes de développement, ils doivent voter pour vous ; beaucoup de Casaçais ont considéré et interprété de tels propos comme un vil chantage.
Excellence, la dame Penda Bâ n’a-t-elle pas insulté toute une communauté ethnique. Ce qui du reste, lui avait valu une arrestation suivie immédiatement d’une libération sur instruction ou ordre de votre griot dont elle serait la nièce. Pourtant, quelques jours plus tard une pauvre journaliste, ayant tenu des propos moins graves avait failli connaître les affres de la prison (…). Le député Dembourou Sow qui vous est très proche n’a-t-il pas appelé les membres de sa communauté Hal pular à sortir les machettes pour décapiter toute personne qui s’opposerait à votre troisième candidature ? Un appel au meurtre manifeste de la part d’un représentant du peuple resté sans suite. Vous auriez pu condamner ces gravissimes propos.
Excellence, votre très cher ami Moustapha Cissé Lô n’avait-il pas traité les Casamançais de rebelles ? Et tout récemment des ministres de votre gouvernement ont tenu de très graves propos à coloration ethnique et manifestement attentatoires à l’unité nationale et à la cohésion sociale. Vous n’avez guère daigné vous en offusquer. Ce n’est que pendant votre adresse à la Nation que vous avez évoqué ces dérives sans oser les condamner vivement ; le ton que vous avez employé ne laissait transparaître aucune indignation de votre part. On avait comme l’impression que vous étiez très gêné d’en parler, d’autant que c’était le fait de gens qui vous sont très proche. La vérité est que ce sont des responsables politiques Hal pular de BBY qui se sont livrés à ces défoulements oratoires de mauvais aloi et de mauvais goût. Leur seul objectif, avec votre accord peut-être, est de créer une situation d’instabilité sociale que vous pourriez, éventuellement, mettre à profit, pour reporter les élections présidentielles. Ce n’est point un cas de figure à écarter. Le triste et sinistre Madiamblal n’a été utilisé que pour casser l’unilatéralité des propos racistes qui provenaient de quelques inconscients d’une seule communauté.
Excellence, notre pays a des ressorts sociétaux et sociologiques qui cimentent son unité et garantissent la pérennité d’une cohésion sociale unique en son genre ; la pratique du cousinage à plaisanterie est une merveilleuse invention de nos ancêtres. Les diversités ethniques, religieuses, confrériques, culturelles et politiques n’ont jamais pu briser notre volonté et notre désir de vivre en parfaite harmonie ; nous avons des valeurs inamissibles qui nous servirons toujours de repères et de références. (…)
Boubacar SADIO
Commissaire divisionnaire de police de classe exceptionnelle à la retraite.