CONTRIBUTION
Le mois de Mars, qui est celui où le Sénégal a connu en 2000 et 2012 ses deux alternances démocratiques, tend de plus en plus, à symboliser le printemps des libertés, dans notre pays. D’autant que les toutes récentes manifestations populaires, qui méritent d’être retenues par l’Histoire, ont également eu lieu en mars.
Elles nous rappellent le mythique soulèvement du 23 juin 2011, qui s’était opposé à l’instrumentalisation, par le précédent régime libéral, du pouvoir législatif dans l’optique d’une dévolution monarchique du pouvoir. Cette fois, il s’agit de faire barrage à une conspiration judiciaire présumée contre un adversaire politique, dernier rempart contre un désir illégitime de postuler à une troisième candidature illégale aux prochaines présidentielles de 2024.
Une démocratie en berne depuis longtemps
Pour atteindre ses objectifs politiciens étroits, le président de la République actuel, au lieu de s’appuyer sur sa méga-coalition dans le cadre d’une compétition politique saine et loyale, a toujours préféré se servir de la police politique et de la Justice. De fait, depuis son accession au pouvoir, sa gestion est jalonnée par de multiples détentions arbitraires et intempestives d’adversaires politiques. Pire, l’opinion a été scandalisée par la mise à l’écart de rivaux politiques gênants par des condamnations injustes au cours de procès irréguliers, selon des organismes spécialisés de l’Union Africaine et des Nations-Unies. Last but not least, l’arbitre électoral, à savoir le conseil constitutionnel, composé de personnalités bienveillantes à l’endroit du chef de l’Exécutif, ont validé le reniement de sa promesse de réduction de son premier mandat et éliminé des dizaines de potentiels candidats aux présidentielles de 2019, à travers une interprétation abusive de la nouvelle loi inique sur le parrainage citoyen.
A toutes ces forfaitures, on pourrait ajouter les interdictions quasi-systématiques de tenue de manifestations pacifiques avec comme point d’orgue, le maintien du fameux arrêté Ousmane Ngom et les multiples inculpations pour offense à un président décidément trop susceptible.
Quoi d’étonnant alors à ce que des organismes internationaux indépendants comme Freedom House, confirment le déclin démocratique de notre pays ?
C’est ce lourd contentieux politique découlant d’une gouvernance tyrannique, aggravée par une situation économique catastrophique et le débauchage éhonté des principales figures de l’Opposition, au moyen de la corruption politique, qui expliquent la déflagration sociale du 03 mars dernier.
Une crise politique interne
Dans son allocution du 08 mars dernier, le président de la République a vite fait d’occulter ces aspects importants du malaise social que traverse notre pays. Il s’est par contre focalisé sur les difficultés économiques, quand il avoue «comprendre la colère qui s’est exprimée ces derniers jours (qui) est aussi liée à l’impact d’une crise économique aggravée par la pandémie Covid-19». Plus loin, il reconnaît l’insuffisance de tous les efforts jusque-là consentis en matière de formation, d’emploi et de financement dédiés aux jeunes.
Il est clair que les mesures présidentielles risquent de s’avérer insuffisantes, si elles ne traitent que de la problématique de l’emploi des jeunes et n’adressent pas les enjeux démocratiques, institutionnels et de gouvernance.
On peut aussi conclure que la crise sociopolitique en cours a bien des causes internes, contrairement aux fables de certains thuriféraires zélés du pouvoir, qui évoquent pêle-mêle de prétendues menaces extérieures provenant de pro-démocrates, de terroristes salafistes ou djihadistes, de lobbies LGBT… et tutti quanti, sans apporter la moindre preuve de leurs allégations.
S’il faut se féliciter de la trêve actuelle qui a permis d’éviter le pire grâce à l’intermédiation de certains segments de la classe maraboutique, il faut reconnaître que le feu couve encore sous la cendre, faisant craindre une reprise des violences politiques.
Pouvoir et opposition interpelés
Il est important de comprendre que les personnalités religieuses n’ont pas pour vocation de se substituer aux acteurs politiques. Pour la résolution de la crise sociopolitique, les deux camps sont interpellés.
En premier lieu, le président de la république, doit prendre de la hauteur, et ramener à la raison sa meute de politiciens à courte vue, qui continuent à attiser le feu et persistent à vouloir liquider le leader du Pastef, sur la base de leur «complot éventé».
Le chef de la Coalition Benno Bokk Yaakaar, qui a fini de concentrer tous les pouvoirs entre ses mains, doit abandonner ses calculs et manœuvres de bas étage (gel du calendrier électoral, judiciarisation de la vie politique…), pour s’octroyer un troisième mandat, de plus en plus chimérique. Par contre, tout indique que l’heure des réformes institutionnelles telles que prônées par les Assises nationales a sonné, car elles seules sont à même de garantir une gouvernance apaisée et transparente. Il lui faut donc poser des actes forts, dés le 3 avril prochain, prouvant sa bonne foi comme la restauration des fondamentaux démocratiques tels que stipulés dans l’avant-projet de constitution de la C.N.R.I. Il devrait s’allier aux secteurs lucides de sa majorité et limoger les aventuriers pyromanes, qui risquent de plonger notre pays dans le chaos des guerres ethniques.
Quant aux partis politiques de l’Opposition se réclamant du progrès social, ils devraient collaborer avec diverses forces sociales pour transformer cette défiance populaire autonome et exacerbée contre les forfaitures du régime actuel en projet alternatif lucide et partagé.
Leurs exigences, encore trop marquées par des préoccupations électoralistes, devraient davantage prendre en compte la refondation institutionnelle, le respect des droits et libertés, mais surtout les droits économiques et sociaux des citoyens, surtout en cette période de pandémie.
À défaut, l’absence de jonction des forces progressistes avec le mouvement populaire pourrait ouvrir la voie à toutes les aventures.
Nioxor TINE
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