La réforme annoncée par Alassane Ouattara et Emmanuel Macron, en décembre 2019, a semé la zizanie entre les présidents africains réunis au sein de la CEDEAO. Alors que l’on ne sait toujours pas à quoi s’attendre dans cette histoire, le Sénat français a adopté le projet de loi. Toutefois, certains parlementaires s’y opposent et le font savoir, à travers une motion.
Eco, franc CFA. Des choix économiques cruciaux pour l’avenir des populations des pays ouest-africains sont en train de se jouer, sans que les premiers concernés n’en prennent pas conscience. Le Sénat français a adopté, mercredi 20 janvier 2021, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Toutefois, un groupe de sénateurs dénonce ce projet en déposant, un jour après, une motion par laquelle les auteurs considèrent que l’adoption de ce projet de loi pose des problèmes tant sur la forme que sur le fond.
Les sénateurs MM. Savoldelli, Pierre Laurent et Bocquet, Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste rejettent ainsi le projet de loi qui autorise le gouvernement français à entériner la réforme du franc CFA de la zone ouest-africaine. Le texte devait être soumis, ce mardi 26 janvier, au vote des parlementaires français.
Mais, en application de l’article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat français a décidé ‘’qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (n°225)’’.
Les porteurs de la motion reprochent au gouvernement français de leur présenter une réforme dont les contours restent flous, notamment sur la future gouvernance de l’Eco et la convention de garantie à venir. Pire, soulignent-ils, ‘’ce projet, non discuté avec l’ensemble des partenaires de l’UEMOA, n’a fait l’objet d’aucune concertation avec les États de la CEDEAO’’.
Les sénateurs trouvent de ce fait regrettable que ‘’Paris se précipite, alors même que, d’une part, seul le Parlement ivoirien ait été saisi du projet, et, d’autre part, aucune consultation populaire n’ait été prévue. Ainsi, ce sont les premiers concernés qui se retrouvent exclus d’un projet de réforme qui emporte des conséquences majeures pour le développement social et économique des pays ouest-africains’’.
Cet accord sur la réforme du franc CFA a été annoncé, à la surprise générale, en décembre 2019, par le président ivoirien Alassane Ouattara et son homologue français Emmanuel Macron. Il a été dénoncé par beaucoup d’économistes comme un toilettage du franc CFA destiné à calmer les protestations contre la monnaie ‘’coloniale’’ garantie par la France. Beaucoup de points décriés, comme le taux de change fixe par rapport à l’euro n’ont pas été modifiés, malgré le changement d’appellation.
La motion tente également de rejeter un accord qui vient même court-circuiter les discussions en cours au sein de cette zone autour d’une monnaie remplaçant le franc CFA, le leone, le naira, le dollar libérien, le franc guinéen, le cedi, le dalasi et l’escudo capverdien. En effet, la ‘’réforme’’ ne concerne que les pays de l’UEMOA, alors que le projet Eco était en discussion avancée au sein de la CEDEAO qui regroupe sept autres pays en plus de ceux de la Zone franc.
Dans un communiqué publié le 16 janvier à l’issue de leur réunion extraordinaire à Abuja (Nigeria), les pays hors UEMOA soulignaient que la décision d’Abidjan ‘’n’est pas conforme avec la décision de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO d’adopter l’Eco comme nom d’une monnaie unique indépendante de la CEDEAO’’. Ils estiment que l’Eco annoncé par le président Ouattara n’est qu’un avatar du franc CFA, parce que celui-ci demeure adossé à l’euro, que son taux de change est garanti par la France et qu’il n’est pas flexible, comme le stipulaient les documents préparatoires présentés en juin à Abidjan.
Réunis le 7 septembre 2020 à Niamey, les chefs d’État et de gouvernement de la région ont toutefois adopté le report inéluctable du lancement de l’Eco, invoquant un non-respect des critères de convergence et l’impact économique de la Covid-19.
Indépendance et autonomie
Sur le fond, les sénateurs français estiment que cette réforme du franc CFA ne répond aucunement aux enjeux africains d’indépendance et d’autonomie réelle et de développement social et économique de la zone. Car rien ne marque réellement un recul de la France et de l’Europe dans les affaires monétaires de l’UEMOA.
‘’La fin de l’obligation du dépôt des réserves de change au Trésor ne présage pas d’un retour de ces réserves au sein des Etats de l’Union ouest-africaine, au vu de la pratique actuelle des gouvernements. Et si la France sort officiellement de la gouvernance monétaire de la zone, elle y rentre par la fenêtre, en s’arrogeant le droit, d’une part, de participer à la désignation d’une personnalité qualifiée et, d’autre part, de reprendre la main dans une situation qu’elle qualifiera de crise’’, dénoncent-ils.
A l’image des réserves émises par les activistes africains, les sénateurs français soutiennent que ‘’l’arrimage de l’Eco (ou CFA) à l’euro, la convertibilité fixe et la liberté de circulation des capitaux, non-remis en cause par la réforme, privent toujours les États africains de leur capacité d’investissements et de structurations administratives (notamment fiscales) et favorisent avant tout les grandes entreprises françaises’’.
Ce samedi 23 janvier, s’est tenu la 58e session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO auquel a participé le président Macky Sall. Si le communiqué final des conclusions n’est pas encore disponible, un tour sur le portail de la présidence ivoirienne permet de constater le petit compte rendu qui a été accordé à cette question.
En effet, l’on peut y lire que, lors de cette rencontre, ‘’le président de la Commission de la CEDEAO a salué la décision des chefs d’Etat et de gouvernement d’exempter les Etats membres du respect des critères de convergence en 2020 et de différer la création de la monnaie unique de la CEDEAO’’. Ceci, en raison de la dégradation des indicateurs macro-économiques observée dans la sous-région.
EnQuête