L’espoir de changement voulu par une grande partie de la jeunesse ougandaise a été douché. Le président sortant, Yoweri Museveni, 76 ans, dont trente-cinq à la tête de l’Etat, s’apprête à démarrer un sixième mandat.
Samedi 16 janvier, la commission électorale, étroitement contrôlée par son régime politico-militaire, l’a proclamé vainqueur de l’élection présidentielle avec 58,6 % des voix. Des résultats contestés par son principal opposant, le chanteur et député de 38 ans Bobi Wine (Robert Kyagulanyi Ssentamu de son vrai nom), qui s’est vu attribuer 34,8 % des votes et dénonce « l’élection la plus frauduleuse de l’histoire de l’Ouganda ».
Le « président du ghetto », ainsi qu’il est surnommé, a appelé les électeurs à « rejeter » ces résultats, tout en exhortant ses partisans à « renoncer à toute forme de violence ». Le régime redoute plus que tout des émeutes urbaines dans les grandes villes du pays, où 80 % de la population a moins de 30 ans et n’a connu qu’un unique dirigeant. Après avoir pris note de sa victoire, le président Museveni a tenu à rappeler que « la seule chose à éviter est la violence ».
Ses forces de sécurité continuent toutefois de réprimer brutalement les militants et les leaders de l’opposition, tandis que les réseaux sociaux ont été suspendus et que l’Internet est très fortement perturbé. Depuis vendredi dans la soirée, Bobi Wine se retrouve en quelque sorte assigné à résidence. Sa maison, en banlieue de Kampala, est encerclée par des militaires qui lui interdisent d’en sortir et de recevoir. « Nous n’avons plus de nourriture », déclarait-il dimanche. Le gouvernement a expliqué, avec sérieux, que ce dispositif a été mis en place pour garantir la sécurité de l’opposant dont la popularité inquiète.
« Intimidation » et « peur »
D’autant que M. Wine prétend disposer des preuves de sa victoire. « Des militaires ont commis des fraudes électorales, mais nous ne pouvons pas publier ces vidéos car l’Internet est coupé et parce que les militaires poursuivent nos agents électoraux », a-t-il précisé. Sa plate-forme politique avait déployé son propre réseau d’agents électoraux et mis en place un système de récolte des résultats indépendant de l’Internet local. L’opposant a annoncé qu’il comptait saisir la justice. Toutefois, face à la détermination du régime, qui exerce une mainmise sur toutes les institutions, les chances de voir aboutir une procédure impartiale sont infimes.
Accusé d’être un « agent de l’étranger » par le régime, Bobi Wine a été plusieurs fois arrêté et incarcéré, de même que des membres de son équipe, dont certains ont été tués durant cette campagne. Autocrate brutal, M. Museveni s’est révélé indifférent aux critiques de la communauté internationale. « Il va désormais devoir gérer une inéluctable montée des violences politiques et des tensions internes qu’il a lui-même créées et instrumentalisées, au risque de précipiter le pays dans un cycle d’instabilité progressive », analyse un diplomate occidental en poste à Kampala.
Du marxisme au libéralisme
Dans cette région de l’Afrique des Grands Lacs, encore en convalescence des guerres meurtrières en République démocratique du Congo, du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 et des violences des mouvements politico-militaires, M. Museveni a pris part à la plupart des conflits, tout en préservant une certaine stabilité dans son pays, où il a militairement écrasé les rébellions. Il a su habilement s’attirer le soutien des partenaires occidentaux et des institutions multilatérales, séduits par cet ancien « combattant de la liberté » arrivé au pouvoir par la force en 1986 et passé du marxisme au libéralisme.
Son engagement militaire dans la guerre contre le terrorisme, comme en Somalie ou encore en Irak, lui a valu d’être soutenu par Washington, qui a cru voir en lui un représentant de la « nouvelle génération » de présidents africains. Après les présidents du Cameroun, Paul Biya (87 ans), de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang (78 ans), du Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso (77 ans), l’Ougandais est aujourd’hui le plus âgé du continent. Ces quatre autocrates cumulent plus de cent cinquante ans de pouvoir.
Avec LeMonde