CONTRIBUTION
La société sénégalaise, depuis l’apparition du coronavirus, ne cesse de découvrir la dure réalité de ses tares. Certes, elles étaient déjà perceptibles dans le quotidien des Sénégalais au point d’être banalisées, mais la covid-19 a fini de les étaler avec une rare violence. C’est ainsi que la pandémie qui sévit actuellement dans notre pays met sous les projecteurs la profondeur de la crise de confiance au sein de la société sénégalaise, virus plus nuisible que le nouveau corona. En effet, la crise de confiance a accueilli la covid-19 au Sénégal, va l’accompagner durant tout son temps de séjour et va lui souhaiter un bon retour au moment de son départ si aucune initiative n’est prise pour l’endiguer.
La crise de confiance s’est tellement ancrée à tel enseigne qu’elle a engendré la perte de l’autorité comme corollaire. Dans tous les domaines de la vie sociale, la crise d’autorité s’est installée parce que les dirigeants politiques, les chefs religieux, les leaders syndicaux, les autorités administratives centrales et déconcentrées, bref les porteurs de voix et d’enjeux n’inspirent plus confiance. En vérité, c’est un virus qui a eu l’ingéniosité de parasiter tout notre système social. Aucun segment de notre société n’a réussi à s’immuniser contre ce virus, tellement, son degré de contamination dépasse les limites de l’entendement. De nos jours, aucun sénégalais ne fait confiance à son compatriote. Tout le monde se méfie de tout le monde. Ce qui a fini, immanquablement, d’installer un climat délétère, à la limite invivable qui va conduire, sans aucun doute, le pays vers des lendemains sombres.
Les cas aigus de porteurs du virus sont les acteurs politiques. La nature et la prégnance de leur activité a entrainé une transmission communautaire de la crise de confiance. Etant donné que les politiques, par l’exercice du pouvoir, se placent à des stations de prise de décision pouvant influer grandement sur les carrières, l’octroi de privilèges et de prébendes à une clientèle, ils attirent, tel un appât, tout le monde. De ce frottement social inévitable naissent des cas contacts. On relève également des cas asymptomatiques, surtout chez les journalistes et les communicateurs traditionnels. En termes clairs, la virulence du virus de la crise de confiance est incommensurable. Et ceci, la responsabilité principale en incombe aux politiques. Ils constituent, en fait, l’élite et la classe dirigeante. Confortant, de ce fait, l’adage selon lequel : «le poisson pourrit par la tête».
Dans un tel climat pollué, notre pays est appelé à adopter une nouvelle stratégie communautaire pour lutter contre le coronavirus d’après certains spécialistes de la communication. Il s’agit donc, en d’autres termes, d’une invite faite aux associations de quartiers, aux Badiénou gox, aux Imams, aux A.S.C et j’en passe, de s’impliquer énergiquement pour freiner la propagation de la maladie avec une vitesse plus que préoccupante. En toile de fond, c’est la crédibilité des acteurs qu’on recherche à travers cette nouvelle démarche proposée. Cependant, force est de souligner que l’essentiel de ces acteurs locaux sont souvent de mèche avec des leaders politiques. Ils s’activent sous l’influence et pour le compte de politiques qui espèrent, en retour, tirer des dividendes électorales de cet engagement social. C’est pourquoi, l’on note des tontines ( par exemple les «avec» dans les quartiers) financées par des acteurs politiques, des Imams ayant sacrifiés au pèlerinage aux lieux saints de l’Islam grâce aux billets offerts par le président de la République par l’entremise de son représentant dans une localité, un militant de parti politique président d’une A.S.C ou recruté par le parti au pouvoir (ou allié ou sympathisant du pouvoir) après être porté à la tête de l’équipe de football etc… Tout ceci pour dire que la décrédibilisation n’épargne aucun acteur de la vie sociale.
Dès lors, il devient impérieux d’appeler à un nouveau contrat de confiance entre les acteurs politiques et le peuple. Le changement de paradigme est fondamental pour un nouveau départ. Il ne sert à rien de continuer à se lamenter pour finalement se résigner face à ce qui semble être un éternel recommencement. Car, cette posture conduit à l’immobilisme et à la fatalité. Or, il est bien possible de remédier à ce mal qu’est la crise de confiance pour scruter l’avenir avec pleins d’enthousiasmes du fait des opportunités inestimables qu’il recèle pour notre pays. Pour se faire, les politiques doivent, dans un élan de sursaut général et sincère reconnaitre leur responsabilité historique dans la propagation du virus de la crise de confiance jusqu’aux interstices de notre société. Ainsi, ils devront par la suite faire leur mea culpa à l’endroit de notre vaillant peuple qui leurs a toujours accordé tous les sacrifices possibles et toutes les faveurs nécessaires pour conduire et réaliser les projets et programmes susceptibles de sortir le pays de l’ornière.
Dans le même ordre d’idées, repenser l’essence de l’action politique devrait être au cœur de ce vaste chantier de refonte. Ainsi, les assises nationales du politique s’avèrent incontournables pour amener la population à donner, à nouveau, du crédit aux paroles et aux programmes de ceux qui s’engagent à présider aux destinées de notre pays. Ces rencontres ouvertes à toutes les couches de la société devraient aboutir à définir le statut de l’homme politique eu égard aux attentes et espoirs placés en lui par les citoyens. Ce que l’acteur politique devrait incarner en termes de valeurs et de comportements pour mériter la confiance des suffrages des Sénégalais. Bref, à travers un ensemble de critères identifiés dans le statut, le politique se verrait désormais enfermé dans des limites éthiques à ne pas franchir au risque d’être traduit devant un tribunal d’honneur à l’image des ordres dans certaines professions. Entre autres comportements à bannir à jamais pour l’acteur politique : le mensonge, les invectives, la transhumance, la violence sous toutes ces formes, l’exploitation honteuse et irresponsable des différences d’ordre ethnique, religieux, confrérique, régionaliste et/ou de sexe etc… Enfin, le système du mandarinat devrait pouvoir constituer une méthode à expérimenter pour que la gestion des affaires publiques dans notre pays renoue avec l’orthodoxie républicaine et la très haute conscience de la vertu cardinale de l’intérêt général.
Mamadou DJITTE
Docteur en Droit Public