Deux ans que Sidy n’est plus là. Deux ans qu’a fini un compagnonnage de trente-quatre ans. Une vie d’ambitions pour la presse, pas toujours récompensée.
Quand on a passé trente-quatre ans d’une vie ensemble (1984-2018), partagé des ambitions et des rêves, nourri un journal bimensuel jusqu’à en faire un quotidien, ruiné nos méninges sur l’éventualité, sur la possibilité et sur la mise en place d’une radio (Walf-Fm), sur l’audace de créer une chaine de télévision (Waf-Tv), on pourrait lâcher un soupir de satisfaction, penser à une vie remplie d’ambitions glorieuses et des audaces assouvies. Aujourd’hui, le plaisir qui étreint est insondable quand on pousse le portail de Wal Fadjri. De penser à l’aventure vécue, aux personnes qui l’ont accompagnée et ont disparu (Sidy, Camou et tant d’autres), de revivre nos folies et de ne même plus savoir quoi dire sur ces ambitions qu’on croyait futiles et qui, aujourd’hui, signifient tant, nourrit aussi de regrets.
Il y a des tas de choses dont Sidy Lamine rêvait. Nos esprits cartésiens n’ont pas toujours accompagné ses désirs. On a souvent été porté à le décourager. Il tenait ferme. Peut-être que si Dieu n’avait pas interrompu l’aventure de sa vie, le feu ardent qui l’animait aurait été fertile face aux frontières de l’impossible. Notamment pour Walf, pour l’espace médiatique. Il y a des étapes dont peu se souviennent.
L’aventure de Worldspace fascinait Sidi. Internet a vulgarisé ces possibilités et même rendu désuet le «phénomène» de la radio numérique via satellite. Mais quand Sidy en rêvait à la fin des années 1990, c’était pour imaginer les émigrés rentrer de travail le soir, s’agglutiner autour de la radio familiale et vivre à l’heure du Sénégal. Il pensait à une sorte de «Dissoo», l’émission culte du monde paysan des années 70, avait investi sans limite dans le projet et avait plaisir à vous faire une démonstration avec ces postes radio massifs. Mais beaucoup de choses avaient changé dans la migration. Le projet a capoté. Un procès avait eu lieu à Paris entre lui et WorldSpace. La suite se perd dans les mémoires. Elle n’a pas été heureuse.
Le journal japonais Ashahi Shinbum et ses 10 millions d’exemplaires de tirage l’avait aussi fait flashé. Il avait plongé dans le périodique qui présentait les plus grands journaux du monde. Le plus fascinant, pour lui, était de voir les photos du journal nippon, avec ses journalistes revenant de reportage et descendant d’hélicoptères sur le toit de leur rédaction. Le groupe Walf (radio et journal) ne comptait à l’époque que deux voitures de reportage, mais ces reporters aéroportés lui faisaient tourner la tête. Un jour, il fit embarquer des reporters de la rédaction dans un avion loué pour quelques étapes au cours d’un événement de promotion pour Walf-Fm. A sa manière, il avait rattrapé son rêve… en attendant mieux.
Un journal panafricain du genre «Jeune Afrique», il le pensait indispensable. Pour mettre en exergue le capital intellectuel des Africains, dans l’espace arabo-musulman notamment, et montrer pourquoi et comment l’avenir du monde se jouait sur le continent. Il en avait discuté avec la présidence. Des rencontres ont eu lieu avec un ministre qui avait hérité du dossier et qui semblait emballé. Après deux visites au Building Mamadou Dia, le rêve s’est perdu dans les escaliers. On n’en a plus entendu parler.
En fait, il y eut tant de rêves avortés à côté des réussites. Wal fadjri en fut une. Les moyens n’ont pas toujours été des aiguillons parfaits. Mais les rêves les plus fous sont de ceux auxquels il manque l’essentiel des moyens de leur réalisation. Ils se présenteront par la suite. Pas tous ; il y avait toujours un capital-risque qui créait un certain inconfort. Mais de vouloir ainsi avancer était un signe de sa générosité pour ce métier dans lequel il est tombé de manière accidentelle. D’avancer ainsi a également été source de moments difficiles. Mais Sidy fonctionnait ainsi, comme un parapluie, comme un ouvreur de piste. Pas toujours heureux, mais d’une réelle générosité.
Tidiane KASSE