Malgré tous les dangers qu’elle comporte, l’émigration clandestine continue d’attirer beaucoup de jeunes sénégalais. Ce phénomène prend de plus en plus de l’ampleur. Et les jeunes pêcheurs paient un lourd tribut. Un tour à la plage traditionnelle des pêcheurs à Soumbédioune permet d’en savoir davantage sur les raisons de ces “voyages-suicides”.
Soumbédioune. Plage traditionnelle des pêcheurs. Le vent frais qui s’échappe de la mer caresse le visage des visiteurs. Il est 8 heures passées de quelques minutes. Le soleil se pointe à l’horizon. Une nouvelle journée s’annonce. Les vagues mousseuses de la mer se brisent sur les grosses pierres qui ceinturent la rive, occasionnant un bruit strident. L’odeur du poisson frais embaume l’atmosphère. Des têtes de poisson et autres écailles traînent par terre. Les petits cailloux noirs en forme de boules, mélangés avec des coquillages, sont mouillés par la brise marine. Des pêcheurs forment de petits groupes. Des pirogues en bois multicolores sont exposées à perte de vue sur le long du littoral. A côté, un jeune âgé d’une vingtaine d’années tente de desserrer un moteur fixé sur une pirogue. Un peu plus loin, dans les eaux, deux pirogues viennent de regagner la terre ferme avec quelques paniers remplis de poissons. Elles sont envahies par des femmes et des jeunes qui s’arrachent le produit. Derrière la gare des pirogues, sous un toit en zinc, quelques pêcheurs tiennent leur grand’place. Assis sur des morceaux de briques et des bidons de 20 litres usés autour de la théière, ils regardent sur un portable une photo de corps sans vie de migrants clandestins repêchés par les gardes côte à Saint-Louis. Ici, le débat sur l’émigration clandestine qui occupe ces dernières semaines le devant de la scène est sur toutes les lèvres. Malgré ces lots de dégâts, rien ne dissuade ces jeunes à emprunter ces pirogues, au péril de leur vie. L’envie d’ailleurs se lit sur les visages des jeunes trouvés sur place. Pour expliquer les raisons de ce phénomène, Khadim Ciss qui revendique 20 ans dans le secteur de la pêche évoque la cherté du matériel de pêche qui, selon lui, n’est plus à la portée des acteurs. A cela s’ajoutent les licences de pêche accordées aux navires étrangers qui, selon lui, ont fini de piller les ressources de la mer obligeant les pêcheurs à aller voir ailleurs. «Les bateaux étrangers viennent dans nos eaux et pêchent comme ils veulent. Les jeunes n’arrivent plus à gagner leur vie à travers cette activité. Ce qui fait que la majeure partie d’entre eux veulent coûte que coûte aller en Europe. Le matériel de pêche coûte aussi excessivement cher. Le prix des pirogues mises en place par le gouvernement est passé de 1 million de F Cfa à 1 million 600 mille F Cfa. Donc, nous sommes obligés de braver la mer pour tenter l’émigration clandestine. C’est ça la réalité. Moi qui vous parle, aujourd’hui, si j’avais 300 mille F Cfa en poche, je n’allais pas passer un seul jour, ici. J’allais partir comme mes camarades. C’est mourir ou arriver en Europe», confie Khadim Ciss qui se fait de temps en temps appuyer dans ses arguments par ses camarades. C’est pourquoi commente ce dernier face à ces difficultés, les jeunes pêcheurs dont l’avenir semble s’obstruer voient l’émigration comme la seule solution pour s’en sortir. Selon lui, pour mettre fin à ce phénomène il faut que l’Etat arrête de donner des licences de pêches à n’importe qui. «Il faut que le gouvernement appuie la pêche artisanale parce que ce sont des milliers de jeunes qui travaillent dans ce secteur», ajoute l’un de ses camarades assis les jambes croisées sur une pirogue.
Un peu plus loin, sous une petite tente, des jeunes jouent à la belote pour tuer le temps. Une petite ambiance règne sur les lieux. «Il n’y a rien dans la mer. On est là à poiroter toute la journée», lance El Hadji Ndoye, adossé sur une pirogue, le regard tourné vers la mer. Il affirme que lui et ses camarades ont tous été baptisés avec l’argent de la pêche parce qu’ils ont trouvé leurs parents pratiquant cette activité. Mais actuellement ce métier ne nourrit plus son homme, à l’en croire. «A cet âge, nous vivons tous chez nos parents. Donc vous comprenez pourquoi les gens tiennent vaille que vaille à y aller. Si vous regardez la majorité des migrants qui empruntent la mer ce sont des pêcheurs. C’est un espoir perdu. Si notre destin est de mourir dans la mer, nous allons périr dans les eaux. De toute façon, nous ne serons pas les premiers ni les derniers à périr dans l’océan. Celui qui ne risque rien n’a rien. C’est ça la vérité», analyse-t-il.
Samba BARRY