Le secrétaire d’Etat américain au trésor, Steven Mnuchin, a écrit aux ministres des Finances de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Espagne et de l’Italie, pour leur indiquer qu’il suspendait les négociations à l’OCDE le temps de gérer la crise du coronavirus. Les Etats-Unis menacent parallèlement de durcir leurs droits de douane en cas d’application de taxes nationales. « Une provocation », pour Bruno Le Maire.
« C’est une provocation ! » Les auditeurs de France Inter ont cru un instant entendre Jacques Chirac à Jérusalem. Il s’agissait de Bruno Le Maire à la radio. L’objet du courroux ministériel ? Une lettre reçue quelques jours plus tôt de son homologue américain, Steve Mnuchin. La missive, dont l’Opinion a pris connaissance, annonce au ministre français, mais aussi à ses homologues britannique, espagnol et italien (qui ont tous adopté une taxe Gafa), que les Etats-Unis refusent d’aller plus loin dans les discussions en cours à l’OCDE sur la taxation des géants du numérique.
Une réforme qui, explique Steve Mnuchin aux quatre ministres des Finances, « va changer les principes les plus fondamentaux de la fiscalité internationale » et « ne devrait être menée qu’après une évaluation et une discussion approfondie ». Alors que l’OCDE doit présenter sa proposition finale au mois d’octobre, plus question pour les Etats-Unis de « précipiter des négociations aussi difficiles » alors que « les gouvernements du monde entier devraient concentrer leur attention sur les questions économiques résultant de Covid-19 ».
« C’est une provocation vis-à-vis de l’ensemble des partenaires de l’OCDE, lui a donc répondu Bruno Le Maire jeudi matin. On était à quelques centimètres d’un accord sur la taxation des géants du numérique, au moment où les géants du numérique sont peut-être les seuls au monde à avoir tiré d’immenses bénéfices de la crise du coronavirus », a réagi le ministre de l’Economie et des Finances.
Volte-face. Depuis trois ans, les travaux qui regroupent près de 140 pays au sein de l’OCDE avaient pourtant bien progressé. L’approche des élections américaines du 3 novembre a rebattu les cartes. Donald Trump, comme il le fait régulièrement pour des questions de politique intérieur, a décidé de taper une nouvelle fois sur le multilatéralisme.
Pour autant, en coulisse, personne n’est surpris. Alors que, fin août dernier, Donald Trump et Emmanuel Macron s’étaient mis d’accord au G7 de Biarritz pour appliquer au plus tôt cette taxe, les Etats-Unis ont brutalement fait volte-face en décembre. Washington a demandé qu’elle ne soit appliquée que sur la base du volontariat. « Une douche froide », selon le directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, Pascal Saint-Amans. « Si c’est une option, il y a peu de chance que les entreprises choisiront de la payer », commente quelques semaines plus tard Bruno Le Maire depuis Davos, où le locataire de Bercy est parti convaincre les Américains de revenir dans le jeu. En gage de sa bonne volonté, la France consent à suspendre sa taxe sur les services numériques, le temps de trouver un accord multilatéral. Les Etats-Unis acceptent, la pression retombe.
Puis la crise sanitaire est arrivée. Le confinement de la moitié de l’humanité a compliqué les discussions, moins fluides en visioconférence. L’US CIB et le NFTC, deux puissants lobbys patronaux américains, ont pris la plume pour réclamer un report des travaux à 2021. En réalité, les géants américains sont divisés. Amazon et Apple sont plutôt favorables à une solution globale pour éviter la multiplication des taxes nationales. Microsoft et Google y sont fermement opposés. L’approche des élections a porté le coup de grâce. Pas question pour Steve Mnuchin de prendre le risque de défendre une taxe Gafa devant le Sénat. L’OCDE attendra.
Faucons. Signe que les faucons reprennent l’avantage à Washington, la veille du dernier G7, le 2 juin, l’administration Trump est repartie à l’offensive en plaçant une dizaine de pays sous « section 301 ». Cette procédure, qui a été appliquée à la France en décembre dernier après l’adoption de la taxe nationale sur le numérique, permet de remonter les droits de douane sur différents produits d’importations. Le vin et les produits de beauté pour la France. La Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne, l’Autriche et la République Tchèque ont été placés sous Section 301 le 2 juin, mais aussi la Turquie, le Brésil, l’Inde, l’Indonésie… La guerre commerciale est repartie de plus belle.
« Qu’est-ce que c’est que cette manière de traiter les alliés des Etats-Unis, de nous menacer systématiquement de sanctions », a réagi Bruno Le Maire, confirmant qu’il y aura bien une taxation des géants du numérique en 2020 en France. « Soit les Etats-Unis reviennent sur leur position et on arrive à un accord d’ici la fin de l’année 2020 (…), soit il n’y a pas d’accord à l’OCDE parce que les Etats-Unis bloquent et sont le seul Etat à bloquer. Dans ce cas-là, on appliquera notre taxe nationale », a-t-il ajouté. A l’OCDE, on indique que les travaux continueront comme prévu, avec ou sans les Etats-Unis. En attendant la nouvelle administration.