L’honorariat bourré de privilèges accordé à Mme Aminata Tall n’est que l’arbre qui cache la forêt. Chez les libéraux, de Wade à Macky, la prodigalité avec le bien public est une affaire d’Adn.
Le régime socialiste austère, héritier de la colonisation, a enfanté, par césarienne, depuis 2000, d’un autre. L’alternance de cette année mythique a, en effet, porté au pinacle Me Abdoulaye Wade, chantre du libéralisme africain, champion de l’ouverture des vannes dans le domaine des droits et libertés. Mais, également, dans l’octroi de privilèges, non pas de naissance, mais de fonction. Habitués au régime sec imposé par l’Etat socialiste, jugé trop proche de ses sous, les Sénégalais commencent à se familiariser avec les milliards qui virevoltent. Les mauvaises langues vont jusqu’à asséner que le milliard est leur unité de compte. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, Me Wade se sert à fond la caisse. Il fait porter les fonds politiques, d’environ 600 millions Cfa sous Diouf, à 8 milliards annuels. Les émoluments des ministres passent du simple au double. De 1 million sous Diouf – une concession que, en tant que ministre d’Etat dans le gouvernement de majorité, il avait obtenue de ce dernier – le salaire ministériel hausse à 2 millions Cfa.
Wade n’oublie pas les autres pouvoirs. Le législatif qui vote le budget n’est pas oublié dans l’octroi de rentes. De 600 mille, les indemnités des députés dits simples passent à 1,3 million. Les membres du bureau voient leurs avantages alignés sur ceux des membres du gouvernement. Ce, en plus de rutilantes bolides, une ou deux, selon qu’on est ou non membre du bureau de l’Assemblée.
L’indemnité de judicature des magistrats, de 150 mille sous Diouf, est portée à 800 mille Cfa.
L’administration, bras opérationnel de l’Exécutif, est conviée au festin. Préfets et gouverneurs voient leurs moyens de subsistance et de locomotion sensiblement améliorés. De manière quasi simultanée, les fonctionnaires des régies financières, chargés de la collecte et de la dépense, sont généreusement servis. Cette discrimination dans l’octroi des privilèges dérègle le système de rémunération dans la Fonction publique et crée des frustrations chez les autres corps de fonctionnaires. Enseignants et personnels de santé prennent la rue. Avec plus ou moins de fortune. Il en est ainsi jusqu’à la chute de Me Abdoulaye Wade, en mars 2012.
Son successeur inscrit son magistère sous le signe de la «gouvernance sobre et vertueuse». Il s’attaque aux niches de gaspillage, réactive la Crei et met sur orbite l’Ofnac. Seulement, comme Wade en 2000, Macky Sall pense d’abord à ses fonds politiques qui, selon le discours des nouveaux gouvernants, ont été consommés aux trois quarts par leurs prédécesseurs. Alors qu’il a été officiellement installé en avril 2012, le nouveau Président signe un décret d’avance renflouant sa «caisse noire» de 8 milliards. Ce, au mépris de la règle du prorata temporis. Les ministres passent d’une vingtaine à presque 40, compte non tenu de l’armée de ministres-conseillers et conseillers spéciaux ayant le même traitement que les ministres avec portefeuille. Le nombre de députés passe de 150 à 165. La carte diplomatique qui s’était rétrécie au lendemain de la seconde alternance reprend l’ascenseur. Cerise sur le gâteau, une «indemnité» fourre-tout de 500 mille francs est accordée, par le Président Sall, aux épouses des ambassadeurs. Le Conseil économique, social et environnemental, supprimé en 2013, est ressuscité pour être confié à…Mme Aminata Tall à qui un décret circulant sous le manteau aurait accordé une indemnité mensuelle de 4,5 millions Cfa, une voiture avec chauffeur, 500 litres de carburant, un garde du corps, etc. Pour simplement dire que, chez les libéraux, de Wade à Macky, la libéralité est dans l’Adn.
Ibrahima ANNE