L’ambassadeur d’Algérie à Paris a été rappelé le 27 mai après la diffusion, sur France 5 et LCP, de deux documentaires sur le Hirak, le mouvement de protestation qui traverse l’Algérie depuis février 2019. Des reportages décriés tant par le pouvoir que par les manifestants.
Cela n’aurait pu être “que” deux documentaires sur l’Algérie. Mais ces reportages sont en train de devenir une affaire d’État. L’un s’appelle Algérie, mon amour, de Mustapha Kessous, diffusé sur France 5, l’autre est une rediffusion d’Algérie, les promesses de l’aube sur LCP, et tous les deux étaient programmés mardi 26 mai.
Ces reportages sur le Hirak, le mouvement de protestation sans précédent né il y a quinze mois, ont déclenché la fureur des autorités algériennes, à tel point qu’Alger a “décidé de rappeler ‘immédiatement’ son ambassadeur à Paris pour ‘consultations’, indique le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué publié ce mercredi 27 mai”, écrit le site d’information algérien Tout sur l’Algérie (TSA). Les termes du communiqué sont particulièrement sévères, estimant qu’il s’agit là d’une “attaque contre le peuple algérien et ses institutions” qui dévoile “les intentions malveillantes et durables de certains milieux qui ne souhaitent pas l’avènement de relations apaisées entre l’Algérie et la France”.
Indignations de part et d’autre
Sitôt les reportages diffusés, les théories du complot ont fleuri sur les réseaux sociaux algériens. “Sur la forme, tout d’abord, le timing – au sortir du mois sacré de ramadan et au tout début de la période de déconfinement – intrigue forcément. Le choix des invités, le contenu orienté, tout cela nous commande de nous interroger sur les motivations réelles de ceux qui se disent être ‘inspirés’ par le Hirak algérien”, dénonce Algérie Patriotique, qui poursuit : “En fait, une seule question s’impose : veut-on rallumer la mèche des manifestations pour précipiter notre pays dans le chaos ?”
Le régime et ses partisans s’émeuvent de reportages qui selon eux magnifieraient le Hirak. Mais le documentaire Algérie, mon amour a tout autant mécontenté les manifestants.
“Une vague d’indignation”, écrit Algérie 360, “Un tollé”, renchérit Observ’Algérie, “Un tsunami de critiques au vitriol, dénonce le site algérien Express-DZ. Des milliers d’internautes ont exprimé leur déception aussi bien sur l’ensemble du contenu de ce documentaire que sur l’angle sous lequel a été traité le Hirak algérien.”
Théorie du complot
Choisissant de raconter le Hirak à travers des manifestants âgés d’une vingtaine d’années, Mustapha Kessous a notamment abordé le mouvement de façon socioculturelle. Son documentaire dénonce les interdits sur le sexe ou l’alcool qui pèsent sur la jeune génération. Des évocations qui ont semblé insupportables à certains Algériens, qui estiment que cela ne reflète pas le Hirak.
Sur les réseaux sociaux, chacun y est allé de sa critique, sous le hashtag #Ce_n_est_pas_mon_Hirak. “Les témoignages sont loin de représenter l’âme du mouvement populaire, poursuit Observ’Algerie en relevant certaines des opinions, “‘54 semaines de manifestation, de sacrifice, de pacifisme, de solidarité et de lutte. Aucune des revendications fondamentales du Hirak n’a hélas intéressé le réalisateur de France 5, préférant se focaliser sur le ‘libertinage’ audiovisuel. Les mœurs et la vie personnelle des gens ne nous intéressent point’, déplore le journaliste Kouceila Rekik.”
Qu’importe ce que l’on pense des deux documentaires, le plus étonnant, ce sont désormais les réactions qu’ils ont suscitées. Akram Belkaïd le souligne dans sa tribune au Quotidien d’Oran : “Le plus fatigant dans tout cela est cette obsession permanente du complot. Comment expliquer à ces gens que, non, l’Algérie n’est pas au centre du monde.” Et de conclure :
Mais, en attendant, tant d’hystérie ne peut qu’interpeller.”
CourrierInternational