Pour le mois béni du Ramadan, l’Ong Jamra et certains fidèles musulmans ont demandé la reprise des prières communautaires dans les mosquées, invitant l’Etat à prendre des «mesures d’accompagnement idoines». Mais, pour certains religieux, ce vœu est tout simplement impossible.
Pour Imam Amadou Makhtar KANTE, de la mosquée du Point-E, c’est même «irresponsable de parler de retourner à la mosquée» alors que la situation devient de plus en plus grave avec le Covid-19. Il invite les imams à plutôt aller «chercher dans les références de la Charia ce qui nous permet de prévenir cette maladie qui peut être une catastrophe pour le pays».
«On a suspendu les prières communautaires sur la base d’un raisonnement scientifique et juridique du point de vue de la Charia tout à fait acceptable et qui a été défendu par la plupart des Oulémas (érudits) qui sont connus dans le monde musulman. Si vous n’êtes pas spécialistes dans la virologie, vous n’êtes pas habilités, même si vous connaissez tout le Coran, à raconter des histoires aux gens. Il faut être sérieux, respecter les gens qui sont compétents dans leur domaine. Ce que les imams devraient faire, c’est plutôt chercher dans les références de la Charia ce qui nous permet de prévenir cette maladie qui peut être une catastrophe pour le pays, si elle atteint une certaine dimension. Déjà, des pays puissants sont à terre, avec des centaines de morts par jour. Ils vont attendre qu’il y ait des cadavres partout dans le pays pour se lever. Je trouve ça irresponsable.
Je pense que les gens ne connaissent pas la nature de la maladie et les risques auxquels on expose notre système de santé. Il y a une bonne partie du personnel de santé qui est touchée. Déjà, on n’a pas de compassion pour ces gens-là. Aujourd’hui, s’il y a une catastrophe autour d’un quartier, dans une mosquée, ce sont ces imams qui vont appeler les autorités de santé publique. Donc, il faut être cohérent dès le départ. Je trouve tout à fait irresponsable de parler de retourner à la mosquée alors qu’au contraire, ce qui se passe actuellement, c’est qu’on commence à avoir des décès, les cas augmentent et la contamination communautaire est encore là. Il y a beaucoup de farceurs dans ce pays, mais je pense que chacun doit farcer avec sa propre vie mais n’a pas le droit de le faire avec la vie de la communauté.
Par contre, un imam sérieux qui connait les références de l’Islam, là où on l’attend, c’est de sensibiliser les populations. Et j’entends rarement les imams le faire. Ils n’insistent pas sur les gestes barrières. Mais ils insistent beaucoup sur le fait qu’il faut retourner à la mosquée. Si on va à la mosquée, on va faire respecter les masques, la distanciation sociale, c’est-à-dire une forme de prière bizarre qu’ils vont nous inventer tout simplement parce qu’ils veulent aller à la mosquée. Dès que tu reconnais qu’il y a une contrainte qui fait que même si on va à la mosquée, on sera obligés de prendre certaines dispositions, cela veut dire que la maladie est là. Pourquoi prendre tout ce risque pour faire une prière alors que la Charia te dit que tu peux faire cette prière chez toi ? Il faut qu’on fasse attention à ne pas tomber dans le populisme religieux qui est très dangereux. Si on laisse faire certains imams, avec certains discours dangereux, et qu’ils commencent à mobiliser des gens pour qu’ils retournent dans les mosquées, ça peut être très grave. Ce n’est pas l’absence de prières dans les mosquées qui a créé la maladie et qui l’a amené au Sénégal.
Avec EnQuête