Chef du Service des maladies infectieuses de l’hôpital Fann et président du Comité scientifique Covid-19 du ministère de la Santé, Pr Moussa Seydi a séjourné à Kolda. Objectif : S’enquérir du centre de dépistage et du site réservé à la prise en charge des malades du Corona dont 7 cas ont été hospitalisés. Au cours des échanges de plus d’une heure, il a parlé de plusieurs thèmes comme les difficultés du confinement généralisé et du dépistage massif pour endiguer la pandémie, au Sénégal.
WalfQuotidien : Est-ce que le confinement généralisé est nécessaire à l’heure actuelle ?
Pr Moussa Seydi: Je pense que le confinement a prouvé son efficacité dans la lutte contre le Covid-19. C’est indiscutable. On a vu que la Chine a très tôt opté pour le confinement. Cela a donné de bons résultats. Mais, chaque proposition doit être adaptée à son contexte. Est-ce qu’il est possible de le faire? Comment peut-on le faire? Moi seul, je ne peux pas décider s’il faut confiner les gens ou pas. On doit réfléchir ensemble avec le Comité national de gestion des épidémies. Ce dernier devra aussi écouter l’ensemble des parties concernées, comme le secteur économique, pour étudier ce qu’il peut être pour faire le choix. Et quels sont les risques sur un autre secteur. C’est à cet instant qu’il faut décider s’il faut confiner ou pas. Est-ce que c’est efficace? Est-ce qu’on peut confiner? On doit réfléchir sur cette dernière question? Est-ce qu’il est temps de confiner? A mon avis, il n’est pas encore l’heure de confiner. Mais, si on ne fait pas d’efforts, si la maladie persiste, il arrivera qu’on confine la population.
Dès lors, c’est le président de la République qui a le pouvoir de décréter le confinement. Il peut ne même pas demander l’avis de la population parce qu’il est le plus fatigué dans cette lutte contre le Covid-19. Il peut demander l’avis des soignants, mais ce n’est pas une obligation de sa part. Certes, nous sommes fatigués, mais le chef de l’Etat est le plus fatigué dans la lutte contre la maladie. En résumé, oui le confinement est efficace. Mais, pour le moment, je pense qu’on n’est pas arrivé au stade du confinement. S’il arrivait qu’on confine, vous avez déjà vu les mesures que le gouvernement a pris allant dans le sens d’aider les entreprises et d’autres secteurs. S’il y a confinement, le gouvernement pourrait prendre des mesures d’accompagnement aux populations.
Le dépistage de masse n’est pas cohérent au Sénégal. Cela n’a pas de sens, au sens strict du terme.
Vu la multiplication des cas issus de la transmission communautaire, faut-il privilégier le dépistage de masse ?
Je ne peux m’épancher sur cette question. Mais si le directeur de l’Institut Pasteur en parle, ce serait plus logique. Je ne suis pas bien indiqué en tout cas pour en parler. Néanmoins, je vais dire ce que j’en pense. Il faut préciser que le dépistage de masse consiste à dépister tout le monde sans aucune distinction. Il n’y a que la Corée, le seul pays au monde, qui a réussi à faire un dépistage de masse. Les autorités sanitaires de ce pays faisaient le dépistage dans la rue, grâce à des tests rapides, l’un des tests les plus performants à travers le monde. Cela ne prend pas beaucoup de temps. Les Etats-Unis n’ont pas réussi la prouesse de la Corée, la France non plus, l’Italie aussi, j’en passe. Donc le dépistage de masse ne peut se faire au Sénégal. Déjà qu’il n’existe pas les moyens pour le faire. Donc, il y a certes une situation qui est plus cohérente et une autre qui n’est pas cohérente.
Au Sénégal, le dépistage de masse n’est pas cohérent. Cela n’a pas de sens, au sens strict du terme dépistage. Mais, il y a des cas particuliers. S’il y a un seul cas atteint de Covid-19 dans un village de 100 personnes, si tu parviens à dépister les 99, c’est plus rentable en matière sanitaire parce qu’ils se fréquentent presque tous. Cela demande de gros moyens dans ces cas pareils, et ces moyens peuvent être employés dans d’autres cas comme le dépistage des contacts à hauts risques, comme ceux qui vivent avec le malade.
Mais, on ne peut pas dépister des personnes qui n’ont jamais été en contact avec un malade, même vivant à 25 mètres de lui parce que le risque est tellement faible que cela ne nécessite pas de gaspiller l’argent étant donné qu’il y a d’autres priorités. Mais, s’il y a les moyens de faire un dépistage de masse, et qu’il n’y a pas de gens contaminés, c’est bien. Cela va pousser les gens à faire des efforts dans la lutte contre le Covid-19. Si dans mille tests, il n’y a qu’une seule personne malade, c’est déjà un exploit.
Donc, la détection d’un cas communautaire dans un village peut pousser à dépister tous les gens de ce village. Mais, à l’heure actuelle, ce qui est plus utile, c’est de dépister les contacts à haut risque. Mais s’il faut dépister tout Pikine dont on ne connaît pas le nombre de personnes y vivant, il faudrait dépenser un milliard de francs Cfa. Et des gens comme Dr Yaya Baldé (Médecin chef de région de Kolda) diront qu’il fallait dépister les contacts à haut risque et me donner le reste de l’argent pour mieux équiper mon hôpital. Donc, il faut faire confiance aux spécialistes. Ce qui est obligatoire, c’est l’élargissement du dépistage au sein de la population. Il faut renforcer les tests de dépistage.
Le traitement du Covid-19 se complique aussi avec le caractère maladif de certains patients….
On a beaucoup de malades du Covid-19 âgés, de malades qui ont des problèmes de diabète, de problèmes cardiaques et de malades souffrant d’insuffisance rénale. On a même hospitalisé un malade qui a subi une opération chirurgicale. Certains malades soignés traînent jusqu’à quatre à cinq maladies. On ne peut pas classer ces cas dans la catégorie des cas graves, mais en réalité, nous les médecins, ne pouvons pas considérer ces cas comme des cas simples à soigner.
Un patient âgé de plus de 80 ans traînant cinq autres maladies, donc ce sont des malades dont l’état de santé est préoccupant. Chaque facteur de décision multiplie le risque de décès. A l’heure actuelle, je n’ai jamais vu dans le monde un patient âgé de 70 ans n’ayant pas des comorbidités, n’ayant pas été en salle de réanimation et ayant été mis sous incubation et qu’il soit sauvé. C’est pour vous dire que ce sont ces types de personnes qui doivent plus rester chez eux et prendre leurs précautions (Ndlr: pour ne pas choper le virus). Il y a des gens qui sont malades, qui se cachent et sont en contact avec d’autres personnes. Nous l’avons vu, il n’y a pas une seule fois.
Il ne faut pas exagérer sur la contrainte du port de masque. Seul dans ton véhicule sans passager, ne pas le porter ne présente aucun risque. Même aller faire seul du sport et ne pas porter de masque n’a aucun risque.
Si la maladie perdure, est-ce qu’on ne risque pas de voir le système désorganisé ?
Si le nombre de cas de malades augmente, cela va désorganiser le système. C’est clair. On l’a vu un peu partout. On devrait resserrer les rangs pour ne pas perdre les acquis des dernières années. Donc, il faut s’organiser de telle manière que les résultats obtenus ne soient pas détériorés. Par exemple, ici à Kolda, on peut dire que le nombre de cas commence à être nombreux. Donc, on va utiliser d’autres services pour traiter ces cas. Au niveau de chaque hôpital, le système doit être réorganisé sur la base des directives du ministère de la Santé. Mais, dire que le Covid-19 est vaincu qu’on ne va plus penser à s’en préoccuper, cela deviendrait une énorme erreur. J’insiste là-dessus.
Ici à Kolda, vous avez pu observer des personnes porter le masque. Vous saluez ce geste ?
J’ai vu qu’à Kolda, beaucoup de personnes ont mis le masque. C’est un effort à saluer. Et j’invite les Koldois à faire encore des efforts tout en respectant les mesures barrières. Eviter les rassemblements et les sorties inutiles. Une fois au dehors, éviter les rapprochements. Même si une personne est malade, elle ne transmet pas le virus parce que vous vous êtes dépassés. C’est dès que vous vous arrêtez et que vous discutiez pendant cinq minutes, c’est là où le risque de contamination apparaît. En sortant de chez vous, portez le masque si vous allez là où il y a beaucoup de personnes. Mais, il ne faut pas exagérer sur la contrainte du port de masque. Aujourd’hui, seul dans ton véhicule, sans passager, porter le masque ou ne pas le porter ne présente aucun risque. Même aller faire seul du sport, ne pas porter de masque n’a aucun risque si on se base des connaissances qu’on a eues sur la maladie. Mais, il faut se familiariser à porter le masque. Portons les masques. Ce dont je suis persuadé, si on porte tous les masques de manière normale, il n’y aura pas de confinement généralisé. Respectons les mesures! On n’est pas encore arrivé au stade où on pourrait dire que la maladie est devenue incontrôlable. Je ne veux pas aussi que les gens aient une peur déraisonnable. Mais, il faut que le port du masque soit obligatoire partout là où il y a un brassage de populations, comme les marchés, les transports en commun. La distanciation est importante. Il faut aussi arrêter la stigmatisation des gens atteints du Covid-19. Est-ce que être malade du paludisme est une honte? Si la stigmatisation continue, les gens peuvent refuser d’aller se faire soigner à l’hôpital. A partir de cet instant, nous aurons une bombe.
Comment concilier-vous votre travail de médecin et le recours aux médias ?
Je voudrais remercier la presse. Pendant ce temps, j’ai reçu de nombreux appels de journalistes du Sénégal, du Canada, du Royaume Uni, des Etats-Unis. Si je passe tout le temps à accorder des interviews aux journalistes, je ne vais pas m’acquitter de mon travail. Mon premier rôle, c’est de soigner les malades. Il ne faut pas que les journalistes disent que je ne veux pas leur accorder des interviews. Non, ce n’est pas ça. Il faut que je rationalise le temps accordé aux médias. Je présente mes excuses aux journalistes. C’est le temps qui ne me le permet pas. Je reconnais que la presse mène un travail remarquable dans la lutte contre le Covid-19.
Propos recueillis par Baba MBALLO