CONTRIBUTION
Les latins disaient «Primum Vivere Deinde philosophari». Ce précepte est plus que jamais d’actualité au regard du contexte actuel de la pandémie du Covid-19. Notre société est fondamentalement interpellée sur son mode de vie, sur ses pratiques pour faire court.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il existe encore dans ce pays des individus qui pensent que le coronavirus est juste une malédiction de Dieu, et de ce point de vue, il faut s’en remettre à lui et demander sa clémence, parce que pour eux la maladie est à une sanction divine qui appelle un repentir collectif. Pour respectable que puisse être cette position qui renvoie à une morale publique, elle semble néanmoins relever d’un grand fatalisme.
Pis, elle semble induire, de fait, une logique de culpabilisation aux conséquences incalculables, qui voudrait que tous ceux qui sont atteints et qui sont supposés être des «condamnés» soient comptables, voire coupables, d’actes blâmables. On introduirait alors dans nos sociétés une dichotomie entre des gens qui sont pieux et bien perçu et ceux qui sont des pécheurs, des mécréants, donc exposés à la maladie, avec comme conséquence de développer une stigmatisation des personnes atteintes du Covid 19. L’on voudrait conforter l’idée d’une maladie honteuse, que l’on ne s’y prendrait pas autrement ; ce qui serait catastrophique au regard de toute la stratégie de communication mise en place pour contribuer efficacement à juguler le phénomène. Regardons autour de nous pour comprendre l’immense biais qu’induit ce type de raisonnement au sein d’une population, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle se distingue de manière singulière par des actes, sporadiques certes, mais qui défient le bon sens.
Pour cette frange de la population, assez nombreuse du reste, la règle de la distance sociale, les gestes barrières, les recommandations des médecins, ne sont en réalité pas la solution, la seule solution. Ces personnes se réfugient encore dans les croyances et la religion, alors que les plus érudits, musulmans comme chrétiens eux-mêmes, recommandent de se référer aux prescriptions des experts de la santé.
«Ku sa àpp jot, nga dee» «Quand l’heure de la mort arrive, personne ne peut y échapper» disent-ils. C’est triste, mais je crois que les Sénégalais ne sont pas aujourd’hui conscients du danger qui nous guette. Cette irresponsabilité me fait croire qu’il faut user de la plus ferme rigueur.
Il urge de trancher une question cruciale pour notre vie en communauté, et qui pourrait se résumer ainsi : «doit-on permettre que nos moyens de vivre compromettent nos raisons de vivre ?». J’ai paraphrasé le célèbre éditorialiste et fondateur du journal Le Monde, Hubert Beuve-Méry.
Le prétexte qu’on nous sert pour contourner cette question essentielle est que les gens, du moins la grande majorité, doit trouver au quotidien leurs moyens de subsistance, faisant allusion à l’importante population qui œuvre dans le secteur informel (artisanal, commercial, ou de la transformation…).
Je voudrais simplement poser une question peut être provocatrice à ces personnes sans doute respectables.
Est-ce qu’un malade peut travailler de façon optimale pour assurer sa dépense quotidienne ? Est-ce qu’un malade du Covid, que dis-je, un individu seulement suspecté d’être atteint par le Covid-19 peut normalement être admis dans un espace de travail ? Est-ce qu’un suspect de Covid-19 mis en quarantaine peut aller chercher sa dépense quotidienne ? Enfin, les ressources pour se soigner, en cas de contamination, sont-elles à la portée de ces «téméraires» ? Sans compter la période d’inaction qu’elle provoque et ses conséquences sur la productivité globale. La réponse tombe sous le sens.
Voilà des questions que l’on évite de se poser, de peur de heurter, alors que dans le même temps les demandes s’amplifient du côté de l’Etat qui, manifestement, aura du mal à faire face si cette tendance d’incivisme se maintient.
D’ailleurs, j’estime que ce qui est attendu de l’Etat aujourd’hui, c’est de mettre un terme au Maslaa qui a atteint son point culminant, au risque de ruiner tous les efforts entrepris jusqu’à présent, par la faute des déviants.
Il est clair aujourd’hui que la résurgence de l’individualisme étroit, qui va au-delà de l’instinct de conservation naturel, pose la question de l’incivisme, de l’autorité de l’Etat.
Tout est aujourd’hui réduit à l’échelle du MOI. De telles attitudes jurent avec ce que nous avons fondamentalement de plus profond en termes de valeurs qui ont structuré notre imaginaire, notre culture de Sénégalais et d’Africain. Ce «moi collectif», cet être social, pour utiliser le langage des sociologues, qui est un des socles sur lesquels repose notre société, est en train de vaciller à cause de la course effrénée à la dépense quotidienne, à la richesse individuelle au péril de nos vies.
Si la maladie du Covid-19 a connu les développements que l’on sait, c’est essentiellement à cause des comportements qui jurent avec la discipline civique, les valeurs de la République.
Il faut repenser cette discipline et la mettre en œuvre sans faiblesse, car nous devons vivre d’abord avant de penser à gagner notre dépense quotidienne.
Mamadou NDAO
Juriste consultant
Expert en Communication
Diplômé des Université de Montpellier 1
et Paris 1 Panthéon Sorbonne
Liberté 6 Dakar