Les justiciables ont déserté le Palais de justice de Dakar hier. Exceptés certains avocats et leurs clercs, pas un usager dans cet endroit jadis bondé de monde. Coronavirus oblige.
Silence de cimetière au Palais de justice de Dakar. L’ambiance qui y règne est différente de celle qu’on a l’habitude de vivre. A l’exception des va-et-vient des avocats et de leurs clercs, seuls un nombre insignifiant d’usagers déambulent par ci et par là. À la porte d’entrée, le contrôle est renforcé avec une restriction sévère. Tout le monde est soumis à une fouille d’un gendarme assisté par un de ses collègues. Se frotter au gel antiseptique est une nécessité pour tout visiteur voulant rentrer à l’intérieur du tribunal. Cette étape franchie, notre chemin se croise, à quelques pas, avec celui d’un avocat. Sa toge à la main droite et son cartable sur celle gauche, il cherche son véhicule pour regagner son cabinet. «Compte tenu de cette mesure de suspension, toutes les audiences ont été renvoyées en bloc. On les a tenues juste pour fixer d’autres dates. Ce qui a été fait. C’est difficile, mais nous sommes obligés de faire avec puisque c’est une mesure qui a été prise suite à la décision des autorités dans le cadre de la prévention contre Covid-19», confie Me Moulaye Kane. «Les chefs des juridictions et le barreau se sont conformés à cette décision qui consiste à protéger la santé de tout le monde», lâche Me Kane avant de s’engouffrer dans son bolide.
Les audiences renvoyées en bloc
A l’intérieur, notamment dans le hall du Temple de Thémis, une atmosphère indescriptible campe le décor. Trouvés devant la salle d’audience n°3, seuls les clercs sont visibles devant les portes des salles d’audiences fermées. «Tout est suspendu. C’est pourquoi nous sommes restés ici sans rien faire. Rien ne fonctionne dans les salles d’audiences. Elles ont été toutes renvoyées en bloc et seuls les services d’état civil fonctionnent. C’est un peu difficile. Comme ce sont des décisions qui rentrent dans le cade du bien-être des citoyens, nous nous conformerons», laisse entendre Ousmane Mary Teuw, clerc dans un cabinet d’avocat. Si certaines audiences sont ouvertes à 9h, juste pour renvoyer en bloc toutes les affaires à des dates lointaines, d’autres juridictions se servent de simples affiches pour informer les justiciables. Sur le tableau d’affichage devant la salle n°1, 39 affaires inscrites au rôle ont été renvoyées en bloc au mois d’avril. Idem pour la salle 8 où on peut lire sur la première affiche : «Il est porté à la connaissance des usagers du service public de la Justice que, pour des raisons liées au respect strict des mesures imposées par les règles de prévention sanitaire, les audiences publiques de toutes les juridictions d’instance et d’appel du ressort de la Cour d’appel de Dakar sont suspendues du lundi 16 mars au lundi 6 avril 2020. Les autres services resteront ouverts aux usagers sous réserve des restrictions liées aux mesures édictées par les autorités en charge de la santé publique». Sur la seconde, il est écrit : «Conformément au communiqué du secrétaire général de la Cour d’Appel de Dakar relatif à la suspension des audiences dans les juridictions du ressort du 16 mars au 06 avril 2020, les audiences de conciliation du Tribunal du travail hors classe de Dakar (19 et 26 mars ; 02 avril 2020, sont renvoyées d’office au 09 avril 2020».
A situation exceptionnelle, mesure particulière
Non loin de la cave des détenus, à côté des guichets du centre d’état civil, un avocat s’entretient avec ses clients. Plusieurs dossiers en main, la robe noire prend cette mesure de suspension avec philosophie. Parce que, dit-il, elle entre dans le cadre de la sécurisation des citoyens contre la propagation du Covid-19. Cependant, il déplore les désagréments pouvant en découler. «Si ce n’est que cela, la mesure est louable. Je ne suis pas le seul à avoir des dossiers renvoyés. Il faut évaluer la portée de la mesure aux exigences de la santé et de la sécurisation des populations. Quand on n’est pas en bonne santé, on ne peut pas se soucier d’urgence. L’essentiel, c’est de se soucier de la santé des personnes», analyse Me Saër Lô Thiam. «En règle générale, les détenus ont droit à des délais raisonnables pour la tenue de leurs procès. Mais on est dans une situation exceptionnelle qui dépasse le Sénégal. Tout le monde est impliqué. Les détenus doivent pouvoir en souffrir parce qu’il s’agit aussi de leur santé et celle des gens qui sont dehors. A une situation exceptionnelle, une mesure exceptionnelle», explique l’avocat.
Salif KA