Le rendez-vous manqué du meilleur joueur africain, Sadio Mané, avec ses compatriotes au bercail, a laissé les Dakarois pantois. Déceptions et incompréhensions sont les sentiments les plus exprimés par les urbains rencontrés, hier, pour tâter leurs pouls, après l’annulation de la célébration du sacre à Dakar.
Le show s’estompe tel le bruit d’un verre qui se brise. La gaieté qui animait les Dakarois, qui s’apprêtaient à accueillir leur «héros national», s’est estompée, comme si la jubilation, tant préparée par les Dakarois, venait de subir une douche froide. Dakar, capitale froide de poussière reste coi : le jet privé de Sadio Mané, meilleur joueur africain de la saison 2019, ne volera pas vers le Sud, mais, fera, plutôt, cap au Nord pour rejoindre Liverpool. Hélas !
Cela faisait 17 ans, voire 18 que les Sénégalais attendaient le couronnement du meilleur joueur africain. Ceci, après le sacre d’El Hadji Ousseynou Diouf, à deux reprises (2001 et 2002). Pour les moins de 17 ans, mordus du foot, l’espoir de découvrir l’arrivée du Ballon d’or, sorti des ateliers parisiens de Mellerio dits Meller, s’était fondu comme neige au soleil. Au Pont de l’Emergence, un des points qui devaient, royalement, accueillir le «Nianthio», l’ambiance imaginaire d’une foule en effervescence, esseulé de ses cortèges et foules, en liesse, scandant le nom du «héros» du jour, a laissé place à un temps des grands embouteillages. «C’est un peu décourageant vu l’enthousiasme avec lequel les supporters préparaient l’arrivée du meilleur joueur africain. Il y a, je trouve, plus d’engouement avec le sacre de Sadio Mané. A l’époque (il y a 17-18 ans lors du dernier sacre, Ndlr), les gens n’étaient pas encore trop foot. Cette fois-ci, ça a fait chaud à toute l’Afrique», a confié M. Ndiaye, les yeux indigo, avec ses larges épaules, sous son blouson Liverpool.
Le footballeur ne les intéresse pas, mais son mode de vie
Interpelé sur les motivations à venir accueillir le meilleur joueur africain, Souleymane, habitant de Grand Yoff, sous sa barbichette, sa taille moyenne, avoue être séduit par les qualités du joueur. «Il est poli, modeste, sait perdre. C’est une idole. Cela, même ses potentiels adversaires le reconnaissent. C’est une référence dans tous les côtés», témoigne-t-il. Pendant que les témoignages vont bon train, on relève qu’il n’y a pas l’ombre d’un maillot, ni de photos, scandés sur cet axe principal.
Souleymane confesse qu’il aurait souhaité voir l’enfant de Bambali atterrir à Dakar. «Malheureusement, beaucoup sont déjà partis au Musée de civilisations noires», déplore-t-il en montrant, à travers l’écran de son portable, des supporters entassés aux estrades du musée. Poursuivant, il est convaincu que c’est décevant, mais qu’il y aura de la compréhension. «Si lui-même l’a accepté (d’aller répondre à son club, Ndlr), les supporters, de même. Il n’a pas la permission de venir. Il ne pouvait pas dire non à son club», dit notre interlocuteur. Qui avise que s’il (Sadio Mané, Ndlr) était venu, il serait plus fatigué.
Plus loin, à Liberté 6, une des étapes qui devaient accueillir Sadio, la circulation n’a rien perdu de ses bouchons sous l’atmosphère venteuse et froide. Sous l’étal du délégué du marché, jouxtant le rond-point, le faux-bond laisse indifférent. Ici, les marchands se félicitent du titre, mais ne bougeront pas d’un iota pour se joindre à la parade de l’accueil. Le boulot, des bouches à nourrir, l’heure de travail…, sont les mots auxquels tiennent les vendeurs de friperies et accessoires.
Sur ce point, Mme Samb, teint caramel, forme ronde, sous un foulard, est cliente. «C’est dommage qu’il ne soit pas venu. L’accueillir en vaut la peine, car, à travers ce sacre, il honore le drapeau du Sénégal», confie-t-elle, en révélant la fibre de supportrice qui s’est développée en elle depuis 2002. Poursuivant, Alicia Samb trouve que le succès du joueur de 27 ans doit inspirer à l’accompagnement des jeunes.
A Xar Yalla, un des quartiers, sur les bords de l’axe liberté 6, Fallou Fall, ambulant, chapeau rasta, torse bombant sous un maillot blanc Sadio, révèle qu’il s’apprête à aller se joindre à l’accueil à Rufisque. «J’ai appris qu’il va passer par là, je m’apprêtais à aller le recevoir, voilà que j’apprends de vous que cela a été annulé. Ça allait davantage être une vraie joie d’autant qu’on attendait cela depuis des années», confie-t-il les mains occupées sous un panneau publicitaire d’où on peut lire «We got now, Rise of the lion» avec une photo qui exhibe l’enfant de Bambali sur fond noir et blanc.
Emile DASYLVA