CONTRIBUTIONSidy Lamine Niass s’en est allé, mort au petit matin de ce mardi entre l’aube et les lueurs d’un jour qui se profile définitivement comme la synthèse d’un parcours, d’un vécu. Fin lettré musulman, féru de savoirs ésotériques, il était l’incarnation d’une génération «d’arabisants» décidés à revendiquer leur place au sein de l’espace qu’occupaient avec gourmandise les intellectuels sénégalais formés à l’école occidentale.
Il ne s’opposait pas à eux. Loin de là. Mais il voulait élargir l’horizon de connaissances en faisant «découvrir» le trésor caché des foyers religieux dont le sien propre. Sidy Lamine était curieux de tout : l’histoire, la philosophie, l’art, la littérature, l’économie, le marché, le social, la sociologie, la réflexion sur le mal et ou la mort.
Il nourrissait plusieurs projets dont le plus abouti est sans conteste la création dans les années 80 du Groupe Walfadjri, fer de lance d’un combat qu’il a mené avec intelligence, avec tact, avec habileté, avec un art consommé de la litote qui laissait deviner sa détermination enveloppée dans une chatouillante expression de sa pensée, toujours en éveil.
Sa générosité était proverbiale et il avait le sens du partage. Homme de médias, rien de ce qui affectait ce secteur ne le lassait indifférent. Volontaire, il explorait les voies impénétrables pour ensuite en sortir édifié mais également désabusé. Rien ne devait impressionner le journaliste, aimait-t-il à dire dans ses conversations profondes avec les confrères qu’il chérissait tant.
Sidy utilisait la force de l’argument pour convaincre, tenant pour acquis que le rapport des forces gouverne le monde. Il arpentait les couloirs du pouvoir quand s’imposaient à lui la nécessité ou le devoir. Mais, il pouvait tout autant s’en démarquer lorsque le soupçon ou l’ambiguïté risquaient d’anéantir sa démarche.
Il a été un proche du régime de Diouf jusqu’à devenir un plénipotentiaire en Iran qu’il a aidé à se rapprocher du continent, jouant les «bons offices» entre Téhéran et certaines capitales sans ostentation aucune. Il fut aussi un compagnon de Abdoulaye Wade durant les «années de braise», allant même au front pour dénoncer «les abus de pouvoir du pouvoir»
Il a fait la prison. Il a ramé à contre-courant de l’opinion dominante. Ses sorties publiques, rares au début, puis plus fréquentes par la suite, traduisaient son insatiable appétit de débat qu’il privilégiait par-dessus tout afin d’enraciner la contradiction, source du pluralisme des opinions dans un pays qui se cherchait dans les années 80 une voie démocratique dont la brèche fut ouverte par le premier président de la République, Léopold Sédar Senghor.
Son visage s’illuminait à la rencontre de nouvelles idées qu’il testait au gré de ses rencontres avec les intellectuels de la trempe de Souleymane Bachir Diagne, Mamoussé Diagne, Mamadou Ndoye, feu Sémou Pathé Guèye, feu Doudou Sine, Mame Less Camara, feu Amady Aly Dieng dont il admirait la constance dans le combat pour la réhabilitation de l’homme noir.
De ses joutes avec ces derniers, il se délectait des apports des uns et des autres et mesurait du même coup l’opportunité d’instaurer des cadres pour «réduire les anges d’incertitudes» et sonner l’hallali lorsqu’il s’apercevait que des dérives libertaires pointaient le bout du nez. Ses alertes sonnaient justes. Par moments, il passait pour un incompris avec des prises de positions inédites voire iconoclaste sur des thèmes d’actualités.
Par son culot et son audace, il a fièrement contribué à l’élargissement de l’espace démocratique pour avoir été au nombre des pionniers de la presse sénégalaise. En 1988, sans doute la présidentielle la plus disputée, il n’hésita pas à braver le couvre-feu instauré pour aller imprimer son «hebdo» WalFadjri aux Nouvelles Imprimeries du Sénégal (NIS) d’alors.
Ce courage lui a valu respect et considération. Il fut un héros. Il demeure un héraut. Pour l’éternité…
Mamadou NDIAYE