Wade et Macky ayant décidé de ranger leurs armes dans le fourreau, on s’achemine, peut-être, vers la fin du mortal kombat. Place au jeu d’échecs à distance où ce qui se joue derrière les rideaux est mille fois plus important que ce qui se voit sur la scène.
Il faut être naïf pour croire que l’essentiel de ce que Wade et Macky se sont dit, dans un huis clos de deux heures, est consigné dans un communiqué de moins de 2 054 caractères. C’est clair que ce qui s’y est dit est à mille lieues de ce laconique laïus lu par Mayoro Faye, chargé de communication du Pds, devant l’ancien et l’actuel président de la République. Parce que, entre Wade et Macky Sall, les contentieux ont atteint un niveau rarement égalé dans les relations entre politiques pendant les 40 dernières années. Aux accusations de vol de tableaux d’art, de véhicules de luxe et autres larcins, Wade répond par une estocade qui laisse pantois les observateurs. Il accuse les parents de son successeur d’anthropophagie, accuse celui-ci d’avoir été à l’origine de moins-values au détriment du Trésor public dans le dossier Arcelor Mittal. Sans se laisser démonter, Macky Sall réactive la Crei et lance la traque des barons du régime défait et, particulièrement, de Karim, le fils de l’autre, qu’il accuse de s’être servi avec les deux mains à coups de centaines de milliards. Pendant que l’étau se resserre autour de son fils, Wade multiplie les attaques. En filigrane, il active les réseaux de leurs amis communs : Ouattara, Sassou, etc. Sa maison de retraite de Versailles devient le lieu de convergence de tout ce que Macky compte comme ennemis. Pour assouvir sa vengeance, ce dernier entreprend une opération méthodique de démantèlement du Pds. Sur fond de chantage, eux qui refusent de transhumer sont envoyés derrière les barreaux ou tenus en respect par le Procureur spécial près la Crei qui, sur la base d’une liste de personnalités à poursuivre, demande et obtient l’interdiction de sortie du territoire de toute la garde rapprochée du Maître défait. Un travail de sape qui porte ses fruits. Sachant que s’ils lâchent Wade, ils en finissent avec les ennuis, Samuel Sarr, Modou Diagne Fada, Souleymane Ndéné Ndiaye, Ousmane Ngom, Farba Senghor, Pape Samba Mboup – la liste est longue – coupent tout lien avec leur ancien mentor et se liguent avec son ennemi du moment qui choisit d’achever la bête en laissant condamner son fils à une peine de prison ferme assortie d’une forte amende à payer au Trésor public. Gracié dans la foulée du Dialogue national initié en mai 2016, ce dernier est contraint à l’exil. Macky n’en a pas, pour autant, fini avec Karim Wade qui, exfiltré nuitamment de sa cellule de Rebeuss et conduit à l’aéroport, vit, depuis, en «exil» au Qatar. La loi électorale évanouit ses derniers rêves de se présenter à la Présidentielle de 2019. Le père qui vit ses vieux jours ne peut observer impuissant à cette «inhumation» de la carrière politique de son fils. Il rentre à Dakar, en pleine campagne présidentielle. Le moment choisi n’est pas fortuit en ce que Wade veut participer, à sa manière, à la campagne. Un aller-retour sur Conakry dont les termes de l’accord sont jusque-là inconnus du grand public, calme ses ardeurs d’appeler à brûler le matériel électoral. Les psycho-politologues voient dans l’attitude de Wade un mot d’ordre souterrain en faveur de Macky. Et curieusement, depuis la réélection de ce dernier, c’est silence radio de la part de Wade occupé à éteindre un feu interne né avec sa décision de remanier le «gouvernement» du Sopi dont la marque est la montée en puissance des éléments réputés proches de son fils, Karim.
C’est donc prendre les gens pour des canards sauvages que de leur faire croire que tout ceci a été effacé d’un coup de baguette magique. Non, c’est que, de part et d’autre, on a épuisé son stock d’armes non-conventionnelles et pense que le moment est propice à des retrouvailles gagnantes avec l’autre. Macky entame son dernier mandat. Il est ce que les Américains appellent un «canard boiteux». Il a beau supprimer le poste de Premier ministre pour reprendre la main, le fait est que, de manière inexorable, son pouvoir va s’effriter, au fur et à mesure que l’on s’approche de 2024, pour migrer vers celui que, inconsciemment, ses partisans pensent être son dauphin. Il n’y peut rien, c’est une loi non écrite de la science politique. Alors, il a un besoin existentiel de pacifier ses relations, y compris avec ses irréductibles adversaires. Massalikoul Jinaan n’aura été qu’un joli prétexte qu’il a su saisir. Poignée de mains avec Wade, libération de Khalifa, tout y passe. Sauf que, comme dans un jeu d’échecs, Macky Sall qui a encore les prérogatives du président de la République va garder plusieurs fers au feu. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’il va initier une loi d’amnistie en faveur de Karim – tout comme Khalifa – sans évaluer ce qu’il peut y gagner en retour. Donc, faites vos réservations, le jeu d’échecs ne fait que commencer.
Ibrahima ANNE