Le président américain refuse de coopérer à l’enquête de la Chambre des représentants sur l’affaire ukrainienne, provoquant l’indignation des élus démocrates.
Les critiques permanentes de Donald Trump contre l’enquête en cours en vue d’une éventuelle procédure de destitution le visant, jusqu’ici cantonnées à Twitter, ont pris une toute autre forme mardi soir. Une lettre rédigée par l’avocat de la présidence Pat Cipollone et envoyée à la Speaker de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, explicite la position de la Maison Blanche : accusé d’avoir cherché à faire pression sur son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky pour qu’il enquête sur son rival démocrate potentiel pour 2020, l’ancien vice-président Joe Biden, Trump refuse de coopérer à l’enquête de la Chambre. A ce mécanisme prévu par la Constitution, il choisit la guerre ouverte.
«Etant donné que votre demande n’a pas de fondation constitutionnelle légitime ou le moindre semblant d’impartialité […] le pouvoir exécutif ne peut être tenu d’y participer», revendique Cipollone dans cette missive de huit pages au ton catégorique, adressée à Pelosi ainsi qu’aux autres élus démocrates pilotant l’enquête. «Pour faire simple, vous essayez d’annuler les résultats de l’élection de 2016 et de priver les Américains du président qu’ils ont librement choisi», écrit encore l’avocat.
Dans la liste de doléances contre l’enquête sur l’affaire ukrainienne, Cipollone insiste sur l’absence de vote formel à la Chambre pour enclencher le processus. «Dans ces circonstances, le président Trump et son administration ne peuvent participer à votre enquête partisane et anticonstitutionnelle», insiste-t-il. La Constitution américaine prévoit qu’un président peut être destitué pour «trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs». L’acte d’accusation doit être voté à la majorité simple par la Chambre ; la destitution, confirmée aux deux tiers par le Sénat. Mais elle ne précise pas la procédure en amont, s’en remettant au «pouvoir exclusif» de la Chambre des représentants d’engager toute procédure de mise en accusation.
«Tribunal bidon»
Un peu plus tôt dans la journée, l’administration Trump avait empêché l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’Union européenne, Gordon Sondland, de témoigner au Congrès dans le cadre de l’enquête. «Il aurait témoigné devant un tribunal bidon et totalement compromis», a justifié Trump sur Twitter. Un «abus de pouvoir», selon Nancy Pelosi, troisième personnage de l’Etat derrière le président et le vice-président. Pour Joe Biden, Trump «doit arrêter de faire obstruction au Congrès».
«Nous savons que l’ambassadeur Sondland a été un acteur-clé dans les efforts pour obtenir de l’Ukraine son engagement à enquêter sur une théorie du complot fallacieuse concernant l’élection de 2016 ainsi que Joe Biden et son fils» Hunter, a déclaré le démocrate Adam Schiff, président de la commission du Renseignement à la Chambre. Homme d’affaires ayant fait fortune dans l’immobilier, proche de Trump – il a donné 1 million de dollars pour sa cérémonie d’investiture –, Sondland a été nommé ambassadeur auprès de l’Union Européenne en mai 2018. Il était venu de Bruxelles la veille pour cette audition, avant que le département d’Etat ne l’en empêche.
Outre la transcription d’une conversation téléphonique entre le président américain et son homologue ukrainien, et le signalement d’un lanceur d’alerte, les SMS échangés par Gordon Sondland avec d’autres diplomates américains, rendus publics la semaine dernière, confortent les démocrates dans leurs soupçons : Donald Trump aurait abusé de son pouvoir à des fins électorales personnelles, puis aurait cherché à étouffer l’affaire. En interdisant à Sondland de se rendre à son audition, «la Maison Blanche tente encore une fois de freiner et d’entraver l’enquête», se sont indignés les élus démocrates. Les présidents des commissions en charge de l’investigation ukrainienne ont d’ailleurs assigné l’ambassadeur à témoigner et à présenter des documents que le département d’Etat refuse de livrer.
Ils doivent auditionner vendredi l’ancienne ambassadrice des Etats-Unis en Ukraine jusqu’en mai dernier, Marie Yovanovitch. Selon le Wall Street Journal, celle-ci aurait été remerciée pour avoir tenté de court-circuiter les tentatives de Trump de faire pression sur Kiev pour enquêter sur Biden.
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