D’un coup pris en pleine figure, Eumeu Sène a été mis K-O et détrôné, dimanche dernier, de son titre de «Roi des arènes» par Modou Lô. La violence de ce coup révèle, une nouvelle fois, combien les lutteurs sénégalais sont exposés à la mort.
Dimanche dernier, n’eut été la prompte réaction de l’arbitre central, Mor Ngom, plus connu sous le nom d’Eumeu Sène aurait pu passer de vie à trépas. Parce qu’en prenant ce coup en pleine figure, le leader de l’écurie Tay Shingher a perdu connaissance. «Je ne me souviens réellement pas de ce qui s’est passé après avoir pris ce coup», a-t-il avoué au lendemain de sa défaite humiliante devant Modou Lô. L’intervention de l’arbitre central, Mor Ngom, qui a eu le réflexe de lui retirer son prothèse-dents et de lui retirer la langue qu’il avait déjà commencé à avaler, lui a sans doute sauvé la vie. Mais ce fait est passé inaperçu, parce que la gloire était ailleurs. Elle était du côté des Parcelles Assainies, où le leader de l’écurie Rock énergie venait, enfin, d’obtenir un titre (Roi des arènes sénégalaises) qu’il convoitait depuis plus d’une dizaine d’années. Un titre qu’il fallait, vaille que vaille, gagner. Quitte à enterrer son adversaire ? Parce qu’à la lecture des images, après le violent coup administré à son adversaire, Modou Lô ne s’est pas du tout soucié de l’état de santé d’Eumeu Sène. Il s’est plutôt précipité à aller rejoindre ses supporters qui l’ont aussitôt porté en triomphe.
Deux, voire trois jours passés après le grand combat de lutte organisé par le promoteur, Moustapha Diop, aucun membre du Comité national de gestion de la lutte (Cng) n’a parlé de ce fait. Au contraire, on continue de gloser sur la manière dont le leader de l’écurie Tay Shinger a été humilié dans l’arène par le chouchou des Parcelles Assainies. Aucun spécialiste de santé membre du Cng ne se soucie des séquelles que ce coup fatal pourrait causer à Eumeu Sène à court, moyen ou long terme. Tout le monde s’en fout. Le débat est ailleurs. Il est dans la gloire du vainqueur.
Pourtant, ce danger reste permanant dans l’arène sénégalaise. Avant Eumeu Sène, Tonnerre, Yékini Jr, Elton, Bombardier, Tapha Tine…, ont tous été ensanglantés dans l’arène sénégalaise. On se rappelle encore de la barbarie dont avait fait montre Tapha Tine qui avait défiguré Bombardier par ses coups, il y a sept ans. On se rappelle encore des coups K-O que Mohamed Ndao «Tyson» avait administrés à Mohamed Aly, et au défunt Mor Fadam… Personne ne se soucie de ce danger de mort qui guette les acteurs de l’arène sénégalaise. Jusqu’à quand ?
Ce geste de l’arbitre qui aurait pu être fatal à Eumeu Sène !
L’arbitre central Modou Ngom a certes eu le mérite de chercher à sauver Eumeu Sène, victime de l’uppercut dévastateur du Rock des Parcelles Assainies Modou Kharagne Lo. Mais son geste pouvait s’avérer dangereux pour le lutteur de Pikine, de l’avis du docteur Mamadou Mansour Diouf dont l’avis est lu sur le mur de Mame Balla Mbow. Il rappelle qu’Eumeu Sène «a perdu connaissance après avoir reçu un double uppercut sur le menton et la tempe ; il perd son tonus musculaire et s’affale de tout son poids : une montagne de muscle s’effondre. Il chute avec réception sur la tête tournée sur le côté, avec donc une rotation du cou, sur lequel le reste du corps décharge tout son poids. Il présente ainsi un risque très élevé de traumatisme du rachis cervical. Par ailleurs, une fois au sol, il a le visage face au sol avec un risque énorme d’asphyxie par obstruction des voies aériennes (les narines et la bouche semblent enfouies dans le sable), le risque d’arrêt respiratoire est majeur».
En se portant à son secours, l’arbitre, observe Dr Diouf, «soulève la tête de la victime brutalement et la tourne par un mouvement de rotation du cou : un geste d’une extrême gravité à proscrire formellement dans ce contexte». Seulement, poursuit le médecin, par ce geste, il pouvait «aggraver des lésions du rachis cervical et entraîner la redoutable complication neurologique par atteinte de la moelle épinière avec risque de section médullaire et tétraplégie (paralysie des 4 membres), et s’il s’agit d’une lésion haut située risque d’arrêt respiratoire par paralysie diaphragmatique sur atteinte du nerf phrénique (qui innerve le muscle diaphragme qui est le principal muscle de la respiration), aggravation d’une potentielle fracture ou luxation du rachis cervical, etc.»
Et le Dr Mamadou Mansour Diouf «interpelle solennellement le Cng de lutte qui a à sa tête un président médecin et l’exhorte à prendre la pleine mesure de la gravité de cette faille énorme dans la couverture médicale de ces combats. Il ne s’agit pas simplement de placer un médecin (Ardo en l’occurrence) et son infirmier qui se contente d’administrer de l’alcool et des désinfectants sur des plaies traumatiques. Il faut veiller à ce que tous ceux qui sont susceptibles d’être les premiers à porter secours soient formés à cela : les arbitres et leurs assistants, les accompagnateurs des lutteurs (qui souvent sont les premiers à aller vers ces derniers à la fin du combat), bref tous ceux qui gravitent autour de l’enceinte». Et de rappeler que «porter secours ça s’apprend et ne s’improvise pas et il est impératif de connaître les gestes nocifs formellement prohibés. Parce que la mise en position latérale de sécurité qui est une indication dans ce contexte ne se fait pas telle que l’arbitre l’a fait. Il s’agit ici du cas particulier d’un potentiel blessé du rachis : sa mobilisation obéit à des règles strictes pour justement prévenir ou éviter d’aggraver une éventuelle lésion neurologique. La règle c’est la mobilisation en bloc de la victime en respectant scrupuleusement l’axe tête-coup-tronc-membres».
Mamanding Nicolas SONKO