Au Palais de justice de Dakar, les erreurs sur les actes d’état-civil sont corrigées à l’occasion d’une audience ordinaire qui se tient chaque jeudi. Rectification de prénoms, faux extraits, actes fictifs, numéros non enregistrés sur le registre… tout y passe. Immersion là où des citoyens, qui dépassent le délai d’un an imposé par la loi, se régularisent 10 ans après la naissance, voire plus.
La loi sénégalaise donne aux parents un délai d’un an pour déclarer leur nouveau-né à l’état-civil. Idem pour le mariage dont le délai pour l’obtention du certificat de mariage est de 6 mois. Passé ce délai, seul le tribunal peut autoriser l’inscription sur le registre d’état-civil. Et la régularisation se fait à l’audience ordinaire d’état-civil qui a lieu chaque mois, devant le Tribunal d’instance (ex-Tribunal départemental).
Ce jeudi 20 juin 2019 est jour d’audience, au Palais de justice. Comme d’ailleurs tous les jeudis. Chaque mois, deux audiences de naissance et deux autres sur les mariages se tiennent. Le juge alterne selon les affaires enrôlées. Par exemple, si on maintient un jeudi pour statuer sur les naissances et rectifications, la semaine prochaine, on se penchera sur les mariages et annulations. «Les naissances vont ensemble avec les rectifications et les mariages avec les annulations. C’est une stratégie pour alléger les populations. Et d’éviter qu’elles viennent prendre d’assaut la salle chaque jeudi sans que leurs dossiers ne soient enrôlés», fait savoir d’un ton ferme Mme le juge Anna Pène Téliko.
La salle n°7 du tribunal n’a rien à envier à une communion. La juge et son greffier statuent sur plus de 260 affaires liées aux naissances. Contrairement au procès pénal, ici, les avocats ne siègent pas forcément, à l’exception de certaines affaires complexes.
La salle d’audience est pleine à craquer. Déjà à 9h, la chaleur dicte sa loi. Tous les regards fixés sur le siège de la juge qui accuse un léger retard. Après quelques réglages, celle-ci assistée par un greffier, effectue son entrée. C’est le début des travaux. Bien que différent des autres procès, le public est tenu de respecter les règles du jeu, selon la présidente de l’audience.
Sans tarder, elle entame le rappel des affaires inscrites au rôle. «Aujourd’hui, nous avons 144 affaires anciennes et 120 nouvelles. Elles concernent toutes la procuration et la régulation d’extraits de naissance. Je vous invite à rester sage et écouter votre tour. Je ne reviens pas en arrière», laisse entendre la magistrate Anna Téliko Péne. Suffisant pour installer un silence de cimetière. Aucun bruit ne se fait entendre, à l’exception des cris des enfants. Toutes les tranches d’âge sont représentées : enfants et adolescents, jeunes et vieux, hommes et femmes.
«Le numéro sur mes papiers n’est pas le même sur le registre»
Certains ont des problèmes avec leurs numéros d’enregistrement dans les registres d’état-civil, d’autres obtiennent, de façon frauduleuse, leurs extraits de naissance, sans s’en rendre compte. Ce sont des extraits non enregistrés dans les registres d’état-civil et qui n’ont aucune valeur légale. Tandis que d’autres viennent se procurer, pour la première fois, ce document leur permettant de jouir pleinement de leurs droits civiques et politiques, sans lesquel on n’est pas reconnu légalement comme citoyen.
La majeure partie est constituée de jeunes, âgés de plus de 20 ans. Ils viennent, eux-mêmes, se régulariser. «J’ai un problème de numéro. Celui qui est sur mes papiers est différent de l’autre enregistré sur le registre d’état-civil de ma commune. Il y a aussi mon nom qui est mal écrit», confie avec amertume Awa Dieng. Agée de plus 18 ans, cette jeune femme obtient tardivement sont extrait. Ce n’est qu’en 2010 qu’elle entre en possession de ce titre, à la mairie de Grand-Dakar. Même cas chez Seynabou Ndiaye, venue représenter son fils Ousmane Barry. L’affaire est renvoyée à la session du 2 juillet prochain, pour «faire venir le père de l’enfant pour des besoins de vérification». Au cas contraire, elle doit présenter un document attestant que celui-ci est le père biologique et légitime de cet adolescent.
«Je cours derrière un extrait depuis 5 ans»
Thierno Souleymane Barry ne dispose pas d’extrait de naissance. Ce jeune homme est pourtant âgé de plus de 20 ans, même s’il ne rappelle pas sa date de naissance. Entre ses mains, des documents justificatifs pour faciliter son jugement. Il arrête ses études en classe de Cm², à cause d’un problème d’extrait. La juge lui donne rendez-vous à la prochaine session, histoire de faire venir deux témoins. «Je cours derrière un extrait depuis plus de 5 ans. Je fais des va-et-vient incessants entre la mairie et le tribunal. Je n’étais pas déclaré à ma naissance. Ma mère a vieilli. Elle ne peut plus se déplacer. Du coup, je m’en charge moi-moi», confesse-t-il au sortir de l’audience.
«Le jour de mon accouchement, la matrone a mentionné mon surnom dans le certificat»
Un désordre indescriptible règne sur les lieux. Dans ces conditions, impossible d’entendre les discussions entre la juge et ceux qui sont appelés à la barre. Une autre stratégie s’impose : allier les faibles écoutes des entretiens entre la juge et les concernés. Un travail difficile, vu que certains refusent de partager leurs histoires, pour des raisons personnelles. Ce n’est pas le cas de Justine Mendy. Elle quitte Grand-Yoff, accompagnée de sa maman. Née en 1996 et déclarée le même jour, le nom de sa maman est mal écrit sur son acte, alors qu’elle obtient sa carte d’identité nationale. «Le jour de mon accouchement, la matrone m’avait demandé de lui donner mon nom. Comme j’avais un surnom, je lui ai donnée celui-ci qu’elle a mentionné dans le certificat d’accouchement. C’est l’année dernière que nous nous sommes rendues compte que ce n’était pas le bon nom. Ma fille était partie pour changer son ancienne carte d’identité. C’est à partir de là, qu’on a souligné l’erreur» déclare Marie, sa maman, après leur face-à-face avec la juge. «Nous avons amené tous les documents nécessaires, mais l’audience est renvoyée au 2 juillet», ajoute-t-elle.
«Je circule avec mon passeport périmé»
Charles Mendez vient des Parcelles-Assainies. Il est déclaré à la commune de Grand-Dakar. La vingtaine dépassée, il fait comprendre qu’il arrête les études en classe de Terminale. Il a su trop tard que le numéro de son extrait ne correspond pas à celui enregistré sur le registre d’état-civil, après qu’il a eu sa Carte nationale d’identification avec le faux extrait. Il se retrouve aujourd’hui dans le pétrin. «J’ai perdu ma pièce d’identification nationale depuis 3 ans. Je circule avec mon passeport qui n’est plus valable. Je négocie avec les policiers. La date est expirée, mais je ne peux pas procéder à son renouvellement. La juge m’a demandé d’attendre un mois pour retourner à la mairie», informe ce jeune homme, accompagné de son grand frère et son oncle pour lui servir de témoins. «Mon cas est un peu critique. Le numéro qui figure sur mon extrait n’est pas celui qui est enregistré à l’état-civil. Je suis né le 4 novembre 1998. Cela m’a causé beaucoup de dommage. J’ai même un problème de renouvellement de mon passeport pour voyager», déplore-t-il.
Cas délicat d’un garçon né hors mariage
Une affaire délicate est évoquée à l’audience. Il s’agit d’un jeune garçon né hors mariage. Sa maman a du mal à identifier son père. Mais cela ne l’empêche pas de l’inscrire à l’école. C’est dans ce seul cas qu’intervient un avocat depuis le début de l’audience. Son rôle est de les aider à poursuivre le père qui accepte 17 ans après, la paternité de l’enfant. «C’est pourquoi on doit faire très attention quand on est jeune, surtout quand on est fille. Il y a de ces erreurs qui ne se rectifient jamais, une fois commises. Voilà, tu lui as causé des dommages. Tu avais le droit de lui donner ton nom», conseille la juge. Qui renvoie l’affaire pour faire venir des témoins car, selon elle, la présence seule du papa ou de la maman ne suffit pas.
Son mari décède sans extrait, son enfant doit faire un examen
Le cas de cette famille capte l’attention. La dame est une veuve qui ne se souvient plus de l’année de naissance de son défunt époux, lequel n’a pas de pièce d’identité. Dans le dossier, il est mentionné trois dates de naissance (1978, 1969, 1968) qui figurent sur les certificats de non inscription, de mariage et de décès. La sœur du défunt soutient que la date sur le certificat de décès (1968) qui est la bonne. Désorientée, la veuve explique que son enfant a besoin d’un extrait pour son examen et on lui demande les papiers du mari d’urgence. «Votre cas va être difficile à régler», dit un avocat qui lui conseille de se rendre à la mairie de l’hôpital Le Dantec.
Chaque mois, le Tribunal de Dakar traite plus de 750 affaires liées à l’état-civil. Grand-Dakar, Yoff, Ouakam, Parcelles-Assainies, Grand-Yoff, Guédiawaye et Rufisque sont les communes de la capitale où l’on enregistre le plus grand nombre de déclaration tardive de naissance. Et aussi d’actes fictifs non enregistrés dans les registres d’état-civil, surtout chez les personnes vivant à l’étranger. Parfois, des parents oublient la date de naissance de leurs enfants. Pour la régularisation, il faut fournir un dossier composé des pièces suivantes : 1 certificat de non inscription de naissance délivré par la mairie, 2 photocopies des Cartes nationale d’identité (Cni) des parents, 4 photocopies d’identité des 4 témoins.
Salif KA