Depuis un certain temps, des juges qui ont passé toute leur carrière au siège sont promus procureurs généraux, dans les Cours d’Appel du Sénégal. Au même moment, des procureurs qui compta – bilisent 20 voire 30 ans de carrière sont réduits à leur plus simple expression. Or, ces parquetiers de carrière en ont pourtant le grade, l’expérience et la compétence. Cette tendance qui a débuté sous Sidiki Kaba fait désordre dans la Justice sénégalaise.A la Cour d’appel de Thiès, le magistrat Cheikh Tidiane Diallo fait office de procureur général. Né en 1953, il devait partir à la retraite l’année dernière, à l’âge de 65 ans comme tous les magistrats qui sont de la hiérarchie A1 spécial, à l’image des professeurs d’université. Cheikh Tidiane Diallo a dû quitter son poste de secrétaire général du ministère de la Justice, donc le numéro 2 après le Garde des Sceaux, pour bénéficier du prolongement de l’âge à la retraire des chefs de juridictions qui passe désormais de 65 à 68 ans. Les investigations de WalfQuotidien révèlent que le juge Diallo n’a jamais fait de parquet durant toute sa carrière, mais voilà qu’il a été subitement et contre toute attente promu procureur général près la Cour d’Appel de Thiès. C’était en décembre 2016. En 1981, il a été juge d’instruction à Saint-Louis, juge puis président des tribunaux de Kaolack (1983) et de Diourbel (1988) et du Tribunal du travail (1986). Il sera par la suite été nommé conseiller puis président de chambre à la Cour d’Appel de Dakar. Plusieurs fois en position de détachement, Cheikh Tidiane Diallo a été directeur de cabinet du plusieurs ministres, notamment sous Djibo Leïty Kâ (Affaires étrangères puis Intérieur en 1991), Aïssata Tall Sall (Communication) et général Mamadou Niang (Intérieur). Il a aussi été membre du Conseil supérieur de la magistrature (Csm) en 2004 et Inspecteur général de l’administration de la justice (Igaj). Autre juridiction, même constat. Cette fois, cela se passe à la Cour d’appel de Kaolack où le parquet général est sous les commandes du magistrat Alphouseyni Diallo, également magistrat du siège de carrière qui fut ancien président de la Chambre d’accusation. La Cour d’appel de Ziguinchor a également comme procureur général le juge Assane Ndiaye. Sans avoir fait ses armes au parquet, il a successivement été président de chambre à la Cour d’appel de Dakar, président du Tribunal de Kolda, juge d’instruction à Saint-Louis et à Thiès, juge au Tribunal de Tivaouane, entre autres.
Thiès, Kaolack et Ziguinchor concernés
Dans les 5 Cours d’appel que compte le Sénégal, seuls deux parquets généraux sont dirigés par des parquetiers de carrière : Dakar (avec le procureur général Lassana Diabé Siby et Saint-Louis. A l’exception de ces deux ressorts, tous les autres procureurs généraux sont des magistrats du siège mutés au parquet général. Cette nouvelle tendance est de mise depuis quelques temps. Ce phénomène qui a débuté sous Sidiki Kaba que beaucoup d’acteurs accusent d’avoir semé le désordre dans la Justice, avant de déposer ses baluchons aux Affaires étrangères où il a marqué ses empreintes, avec le scandale des 200 passeports diplomatiques. Au moment où la hiérarchie fait la promotion de certains magistrats du siège et dont la plupart devraient atteindre l’âge de la retraite, des parquetiers de carrière rompus à la tâche sont comme qui dirait sacrifiés. Ils ont pourtant le grade, l’expérience et la compétence pour devenir procureurs généraux. Mais ils sont parqués dans les cours et tribunaux à presque ne rien faire. La Justice sénégalaise regorge de parquetiers de carrière mis au frigo presque. C’est sans conteste. L’exemple d’Alioune Ndao est patent. Né en 1954, il part à la retraite ce mois de mai. Tout le monde se rappelle de ses déboires avec la tutelle, notamment en 2014, lorsqu’il a voulu activer les 17 dossiers en souffrance à la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), dans le cadre de la traque des biens mal acquis. Ce qui ne correspondait pas aux intérêts du régime. Il en a payé les pots cassés en étant débarqué en pleine audience, au procès Karim Wade et Cie. Devenu «incontrôlable» aux yeux de la hiérarchie, «Baye Alioune», ancien commissaire de police devenu procureur, sera disgracié et muté à la Cour d’appel de Dakar comme avocat général, poste qu’il occupait auparavant.
La longue liste des parquetiers de carrière «sacrifiés»
El Hadji Gormack Tall qui a comptabilisé 25 ans de carrière est avocat général à la Cour d’appel de Dakar, depuis 8 ans. Huit longues années durant lesquelles il n’a absolument jamais bénéficié d’une quelconque promotion digne de son rang et de son parcours. Or, il a été successivement procureur à Fatick, à Kaolack et à Thiès. Il a également été adjoint au procureur de la République de Dakar pendant 3 ans sous le magistère du procureur Ousmane Diagne. Il a aussi été substitut pendant 4 ans puis substitut général à la Cour d’appel. Salobé Gning est toujours conseiller à la Cour suprême, malgré toute son expérience pour avoir fait les parquets de Fatick, de Saint-Louis, de Matam, de Ziguinchor, de Thiès, entre autres. Il en est de même pour Mbacké Fall. Il a certes débuté au siège, mais le plus clair de sa carrière a été passé au parquet. Et même au parquet général car il a été procureur général près les Chambres africaines extraordinaires, le Tribunal spécial qui a jugé Hissène Habré, l’ex-président du Tchad définitivement condamné à la perpétuité pour les exactions commises durant son mandat, de 1982 à 1990. Mission accomplie, Mbacké Fall qui capitalise à ce jour 30 ans d’expérience dans la Justice est réduit au poste de simple conseiller à la Cour suprême. Le cas du procureur Alioune Sarr mérite une attention particulière. Il a successivement été procureur de la République à Tambacounda, à Kaolack et à Mbour. Premier substitut puis procureur adjoint à Dakar, substitut général près les Cours d’appel de Thiès et de Saint-Louis. Seulement, voilà : il a été récemment limogé de ses fonctions de procureur de la République près le Tribunal de grande instance (Tgi) de Mbour, en représailles à son intransigeance dans l’affaire de la militante de l’Apr prise en flagrant délit pour vol de Cartes nationales d’identité au commissariat de Mbour. Aby Ndiaye, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a fini par être condamnée à 2 mois ferme.
Ousmane Diagne, Alioune Ndao, Salobé Ngning, El Hadji Gormack Tall sacrifiés
Procureur de la République de Dakar Depuis un certain temps, des juges qui ont passé toute leur carrière au siège sont promus procureurs généraux, dans les Cours d’Appel du Sénégal. Au même moment, des procureurs qui compta – bilisent 20 voire 30 ans de carrière sont réduits à leur plus simple expression. Or, ces parquetiers de carrière en ont pourtant le grade, l’expérience et la compétence. Cette tendance qui a débuté sous Sidiki Kaba fait désordre dans la Justice sénégalaise. Cyan Magenta Jaune Noir COURS D’APPEL DE THIES, KAOLACK ET ZIGUINCHOR SECTEUR DE LA JUSTICE pendant 8 ans (2006-2013), Ousmane Diagne a été réduit au poste de simple conseiller à la Cour suprême, pendant un an, malgré son expérience de 30 ans dans la Justice, avant de retourner au parquet général. Il s’est distingué par ses positions courageuses qui semblaient friser le défi à l’autorité. A plusieurs reprises, il a refusé de se plier à la volonté de l’Exécutif qui ne cadrait pas avec le principe de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice. Il a refusé, on s’en souvient, d’arrêter Alioune Tine, Thiat de Yen a marre et bien d’autres personnes sous le régime de Wade. Impossible de parler des actes dits de défiance, sans évoquer l’affaire Abdoulaye Sally Sall à l’occasion de laquelle il avait refusé de procéder à l’arrestation de l’opposant Macky Sall que le président Wade, le ministre de l’Intérieur Cheikh Tidiane Sy et le Garde des Sceaux Madické Niang lui avaient ordonné de procéder, pour blanchiment de 500 millions de nos francs sous le couvert ou le prétexte d’une détention d’un permis de conduite gabonais. Ce même comportement de parquetier libre a été réitéré sous le régime de Macky Sall, ce qui lui a valu d’être relevé de son poste, sous le règne de l’ex-ministre de la Justice, Aminata Touré. En fait, la tutelle a voulu qu’il requiert un non-lieu pour Barthelemy Dias dans l’affaire Ndiaga Diouf. C’est pourquoi, lors de la passation de service avec son successeur Serigne Bassirou Guèye, il n’a pas manqué de solder ses comptes avec la tutelle. «Je n’ai jamais été autre chose qu’un procureur de la République et non un procureur du gouvernement. J’ai travaillé avec plusieurs Gardes des Sceaux et à l’exception notable du Pr Moustapha Sourang à qui je rends hommage, j’ai toujours eu de grandes difficultés à certains moments. Mais je rends grâce à Dieu d’avoir exaucé mon voeu le plus cher au moment d’entrer en fonction comme procureur de la République près le Tribunal régional (devenu Tribunal de grande instance) hors classe de Dakar qui était de pouvoir sortir la tête haute, sans devoir baisser les yeux devant qui que ce soit. A chaque fois qu’il m’a été possible de dire non, j’ai dit non de la façon la plus ferme, la plus irrévocable. Je n’ai aucun regret. L’indépendance, ça s’assume, ça se paie. J’ai usé et même abusé du devoir de déplaire et j’en suis fier (…)».
Pourquoi la hiérarchie préfère les «siegards» aux «parquetiers» de carrière
Cette guerre de positionnement entre «parquetiers» et «siegards», dans certaines Cours d’appel, a sans doute des explications. Selon nos investigations, il en est ainsi parce que «les états généraux de leurs services montrent que les magistrats du parquet sont plus indépendants que ceux du siège dont certains d’entre eux ont tendance à faire valoir un sentiment de redevabilité». A ce rythme, ça craint fort pour les procureurs qui, après leur formation de 2 ans au Cfj, précédée d’un diplôme en droit, ont pourtant opté pour le parquet par pure vocation. Une situation source de malaise chez nombre de magistrats du parquet.
Pape NDIAYE