CONTRIBUTION
A y regarder de plus près, le président Macky Sall, à travers la suppression de l’institution Primature, n’a-t-il pas davantage «régularisé » une situation de fait en une réalité juridico-institutionnelle qu’il n’ait procédé à une «véritable réforme» ? Jamais dans l’histoire politico-institutionnelle du Sénégal, une Primature n’a été aussi «inhabitée», «désincarnée », au sens d’impulsion, de coordination et de mise en oeuvre de la politique gouvernementale. Parce que justement, un Premier ministre est le chef du gouvernement et le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation sous les orientations du chef.
Sous le sympathique Mahammad Dionne que j’ai connu personnellement au Maroc en 2013 en marge d’un forum africain et pour lequel j’atteste de la qualité de sa substance intellectuelle, la Primature a été une réalité du point de vue organique et institutionnel, mais du point de vue fonctionnel et dynamique, la Primature et sa fonction n’ont pas été véritablement habitées, incarnées et vécues, dans l’orthodoxie républicaine. Cela ne veut pas dire que l’ex-Pm Mahammad Dionne est incompétent, loin s’en faut et pas du tout. D’ailleurs, l’incompétence en soi, n’existe pas car tout un chacun est compétent. Donc, l’incompétence n’existe pas, seul existe, confié à quelqu’un/e, un travail qu’il/elle ne peut pas faire. Il y a donc une nuance qui en appelle à une prudence.
«Leadershift» : Ce qui a manqué à Mahammad Dionne
Dans ses rapports verticaux avec le président de la République, il a surtout manqué au Premier ministre sortant, un «leadershift à cheval», qui voudrait que par rapport à la verticalité (le chef de l’Etat), le Pm devienne non seulement, pour utiliser le jargon de l’électricité, un contact (et non un fusible) pour le chef de l’Etat, d’une part et d’autre part, permettre à son chef d’Etat, de prendre de l’altitude et de la hauteur pour être plus dans la stratégie et dans la prospective et non pas (souvent) dans l’exécution stratégique. Pour preuve, souvent, durant ces sept dernières années, à chaque fois que le front social était en ébullition, grévistes et autres manifestants n’ont plus voulu négocier avec le gouvernement (le Premier ministre et ses ministres) mais directement avec le chef de l’Etat. Surtout que les revendications et desiderata sur le front social relevaient davantage des questions d’intendance et subsidiairement, des questions politiques à haute profitabilité économique et stratégique.
Dans les rapports horizontaux avec ses collègues ministres, il a manqué au Pm sortant, un «leadershift collectif». On a plus assisté, durant ces sept dernières années, plus à des chevauchées individuelles, des succès personnels (ministres) qu’à des victoires d’équipe, des victoires gouvernementales. Exemple, en 2014 et 2018, au sortir du «Club de Paris» pour la mobilisation des ressources pour le Pse, les bons points ont été attribués dans les espaces médiatiques et publics, au sortant ministre de l’Economie, des Finances et du Plan qu’au gouvernement dans son unicité et sa collégialité. Ces genres d’exemples pourraient être multipliés à volonté.
«Fast-Tract» : Du management de projet et du management hiérarchique combinés Au sortir de la présidentielle 2019, le président Macky Sall a certainement voulu donner un signal fort aux 42 % de ses Sénégalais qui n’ont pas voté pour lui. Reconduire Mahammad Dionne au poste de Pm n’aurait pas donc l’impact souhaité dans les consciences collectives. Nommer un nouveau Pm dans ce contexte d’une bataille de positionnement pour le dauphinat et qui aurait pu être vu et perçu comme le dauphin désigné, aurait faussé carrément le rythme et la manoeuvre que le chef de l’Etat veut imposer durant son quinquennat.
Ainsi, la suppression du poste de Pm serait, pour la République (l’Etat) et pour le gouvernement (la politique), une solution souhaitée et médiane, une réponse institutionnelle à une question politique. Ce qui fera que le chef de l’Etat coordonnera l’action gouvernementale par lui-même, pour lui-même, au profit de la Nation. Selon la belle formule de notre hymne national, «épaule contre épaule» pour un Sénégal en route. Pour parler comme le philosophe Karl Jaspers, en 2014, Macky avait vu le chemin. En 2019, Macky est sur la route et le Sénégal mérite qu’il soit accompagné et… surveillé.
Siré SY
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