Jusque-là dans la clandestinité, Salif Sadio veut rencontrer publiquement les populations pour parler du processus de paix en Casamance. Mais, cette démarche, porteur d’espoir, peut-elle être interprétée comme la repentance d’un chef de guerre qui a enfin compris le message de ses compatriotes qui ne veulent qu’une chose et une seule : la paix ?
Le fait est insolite pour être souligné. Salif Sadio appelle à une rencontre publique ce samedi, à Koundjougor. Une assemblée générale à laquelle sont invitées les populations casamançaises, les sympathisants du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) et tous ceux qui s’intéressent à la question de la paix. Il sera question, au cours de cette rencontre populaire, de l’évolution du processus de paix, selon les termes de l’invitation qui porte la signature de celui qui se considère non seulement comme le chef suprême du maquis casamançais, mais aussi et surtout comme le leader légitime et incontestable du Mfdc. Qu’est-ce qui pourrait sortir de ce forum qui risque d’être un monologue ? Serait-on tenté de se demander. Quel sera la nature d’un exercice convoqué par un homme réfractaire à la contradiction ?
Certes, les populations de cette zone du Fogny, dans le département de Bignona, pourraient assister en masse à cette rencontre, moins par adhésion que par crainte de représailles de la part de quelqu’un qui incarne depuis des décennies la violence et le mal dans cette partie sud du pays, mais on voit mal les participants donner des opinions divergentes qui pourraient heurter le sentiment du «chef». Et pourtant, tout le monde est fatigué de cette guerre, mais personne n’ose l’afficher clairement parce qu’en face, il y a des hommes en arme, prêts à punir tous ceux qui, très nombreux, oseraient les défier, c’est-à-dire, cette Casamance silencieuse. De Gouloumbou à Diogué et de Mpack à Sénoba, le sentiment de lassitude est largement partagé par une population qui aura hélas été la principale victime d’une macabre volonté d’expression d’un supposé droit de la Casamance à l’autodétermination sur la base d’un document… fantôme.
Pendant des décennies donc, la Casamance a souffert, pleuré, enterré ses fils, entretenu ses plaies, essuyé le sang de ses enfants, imploré la grâce divine, tout en refusant la capitulation. Qui peut être insensible à un destin aussi cruel d’une région, surtout lorsqu’on se réclame de celle-ci ? La réponse est dans la présente attitude du Mfdc qui a certes mis du temps à comprendre, mais qui a fini par se rendre compte des incertitudes et de l’absence de perspective d’un conflit qui est en train de s’enliser inutilement, provoquant la désolation chez les populations qu’on est pourtant censé défendre, protéger. Salif Sadio est certainement désormais dans ce cas. Le chef de guerre at- il atteint l’âge de la sagesse qui amène un homme à avoir une juste appréciation de ses actions et être sensible à l’imminence de l’incontournable rendez-vous avec le Tout Puissant ? A Ziguinchor en tout cas, l’opinion reste accrochée à la rencontre de demain qui commence à faire miroiter des perspectives intéressantes en termes de paix et de sécurité. Une posture compréhensible dans un contexte d’accalmie marqué par ce que d’aucuns considèrent comme une «paix armée». Anéantir cet espoir en prenant une trajectoire opposée à la volonté populaire d’un peuple qui ne veut rien d’autre que la paix, c’est courir le risque de perdre la sympathie de ses pairs, ou ce qui en reste, c’est aussi provoquer une cassure profonde avec les populations souveraines.
Salif Sadio pourrait-il s’engager dans cette démarche antipathique et belliqueuse au risque de s’isoler davantage ? Gros risque pour quelqu’un qui a fini d’être l’ennemi de tous dans le maquis à cause de sa propension à mépriser et à réduire dans leur plus simple expression les autres chefs rebelles. Le moment semble venu pour «la terreur des populations» de faire une appréciation intelligente de la situation et une bonne lecture contextuelle pour ne pas rater le train de l’histoire qui va irrémédiablement et pour bientôt, stationner à la gare de la paix, conformément à la volonté populaire.
Mamadou Papo MANE