En détention depuis sept ans à La Haye, l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, a été acquitté par la Cour pénale internationale (Cpi), hier, mardi 15 janvier 2019. Il est libéré, de même que son codétenu Charles Blé Goudé, ancien chef du mouvement des Jeunes patriotes de Côte d’Ivoire.
Laurent Gbagbo a été acquitté, hier, par la Cour pénale internationale (Cpi), qui a ordonné la mise en liberté immédiate de l’ancien président de la Côte d’Ivoire. La même décision a été appliquée à son compatriote et fidèle ami, Charles Blé Goudé ex-chef du mouvement des Jeunes patriotes. «La Chambre fait droit aux demandes d’acquittement présentées par Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé concernant l’ensemble des charges» retenues contre eux. Et elle «ordonne la mise en liberté immédiate des deux accusés», a déclaré le juge président Cuno Tarfusser. Laurent Gbagbo, âgé de 73 ans, est en détention depuis sept ans à La Haye, où siège de la Cpi. Premier ancien chef d’État à avoir été remis à la Cpi, il est jugé pour des crimes commis pendant la crise post-électorale de 2010-2011 qui l’opposait au président actuel Alassane Ouattara. Selon l’Organisation des Nations-Unies (Onu), cette crise a fait plus de 3 000 morts en Côte d’Ivoire.
Laurent Gbagbo était accusé, ainsi que Charles Blé Goudé, de quatre chefs de crimes contre l’humanité : meurtres, viols, persécutions et autres actes inhumains. Tous deux ont plaidé non coupable. Après plus de deux ans de procès, les avocats des deux hommes avaient demandé un non-lieu total en octobre dernier, estimant «insuffisants» les éléments de l’accusation pour prouver les charges «au-delà de tout doute raisonnable». La défense avait affirmé en novembre que le procès reposait sur une «déformation de l’histoire» et que les procureurs avaient distordu les faits concernant les violences en Côte d’Ivoire. Les avocats ont alors déposé une demande distincte de libération sous caution si le procès devait se poursuivre.
Que des sacrifices
Les recommandations de la Commission dialogue, vérité et réconciliation, conduite au lendemain de la crise électorale par Charles Konan Banny, ont été rangées dans les tiroirs. Depuis lors, beaucoup d’Ivoiriens et observateurs ont considéré qu’il y a toujours eu une Justice des vainqueurs. D’ailleurs, Charles Konan Banny estimait, en 2015, pour qu’il y ait réconciliation nationale, «personne ne doit être épargné s’il a commis un délit». Depuis lors, la Justice ne s’est intéressée qu’au camp des pro-Gbagbo.
Aucun proche de l’actuel président ivoirien n’a été inquiété, sept ans après l’arrestation de Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, ce sont les trois mille morts et leurs familles qui sont les seules perdantes dans cette crise. Du coup, l’issue de ce procès Gbagbo-Blé Goudé à la Cpi signifie, enfin, que certainement personne n’est responsable. Sinon… le bon Dieu. Ou bien contentez-vous de l’ordonnance en août dernier, puis une loi en décembre, du chef de l’Etat ivoirien consistant à organiser une amnistie générale pour tous les belligérants. Ce qui a conduit à l’amnistie de 800 personnes, dont responsables politiques et militaires parmi lesquelles Simone Gbagbo, ancienne première dame de Côte d’Ivoire condamnée à 20 ans de prison. Une procédure d’apaisement certes, mais également une procédure d’impunité des deux côtés. Au moment où, selon Amnesty International, les victimes des violences de 2010-2011 n’ont toujours pas obtenu justice, pas plus que des réparations pour les préjudices subis.
Champ politique ébranlé
Avec cette mise en liberté de ces deux figures de la politique ivoirienne, c’est le jeu démocratique ivoirien qui va changer de cap. Le fait que Gbagbo recouvre la liberté va perturber le sommeil des unifiés du Rhdp. Des ivoiriens voient mal Gbagbo faire alliance avec ces unifiés. Donc, le champ politique ivoirien déjà mouvementé risque d’en être ébranlé. L’acquittement de Laurent Gbagbo à un an de l’élection présidentielle de 2020 vient jeter un pavé dans la mare. La possibilité d’un retour de Laurent Gbagbo dans l’arène politique intervient à une période de grande recomposition des forces politiques en Côte d’Ivoire. Des tensions existent entre le Rdr d’Alassane Ouattara, en route pour devenir le Rhdp unifié, et son allié d’hier le Pdci de Henri Konan Bédié. Ce dernier a quitté la coalition au pouvoir. Il a serré les rangs de l’opposition. Pourtant, il a soutenu la candidature du président Ouattara durant les deux dernières élections présidentielles. Depuis, Henri Konan Bédié a entamé un rapprochement avec d’autres partis d’opposition, y compris le Fpi de Laurent Gbagbo dans le but de créer une plateforme pour barrer la route au parti d’Alassane Ouattara. Egalement le président de l’Assemblée nationale, réputé proche de Bédié, à qui l’on prête des ambitions présidentielles n’a toujours pas pris de position officielle sur une prochaine candidature à la magistrature suprême. Il reste à l’écart des tensions entre le Rdr et Pdci. De son côté, Alassane Ouattara n’a pas dit son dernier mot. Et pourrait briser l’élan de cette plateforme en mettant en avant la justice ivoirienne qui a condamné Laurent Gbagbo en janvier 2018 à 20 ans de prison et 329 milliards FCFA d’amende pour le braquage de l’Agence nationale de la (Bceao) pendant la crise post-électorale ivoirienne.
La Cpi en question
Malgré toutes les péripéties sur la libération de Gbagbo et Blé Goudé, l’indépendance des juges de la Cour pénale internationale est à saluer. Cependant, des interrogations surgissent sur les méthodes de travail de la juridiction. Les tentatives précédentes de ladite Cour afin de juger des personnalités politiques de haut rang, la plupart en Afrique, ont toutes rencontré des obstacles : insuffisance de preuves. L’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba avait été acquitté à la surprise générale en appel en juin 2018. Il avait d’abord été condamné à 18 ans de prison pour des crimes commis par sa milice en Centrafrique entre 2002 et 2003. En 2014, la Cour pénale internationale décide d’abandonner les poursuites contre le président kényan, Uhuru Kenyatta. Ce dernier était poursuivi pour crimes contre l’humanité pour les violences commises après l’élection présidentielle de décembre 2007. Elles avaient fait 1 300 morts. Le Soudanais, Omar El Béchir a tout le temps nargué la Cpi. En l’espace de six mois, la Cpi vient de remettre en cause sa légitimité à exister et à juger. Il en devient, donc, primordial pour les Etats africains signataire de revoir la pertinence de cet engagement. Et pourtant des chefs d’Etat non africains sont reprochés d’avoir commis des crimes ailleurs.
Baba MBALLO