CONTRIBUTIONLe 24 février 2019, les Sénégalais seront invités à faire un choix décisif, celui de confier leur destin à un homme. Cet exercice démocratique majeur dans la vie de la nation, au-delà d’être une rencontre entre un homme et son peuple, constitue un marqueur très fort dans la relation contractuelle encadrée par un mandat limité dans le temps. L’élection du président de la République prévue en février 2019, se présente comme un examen de passage aux enjeux extrêmement importants. Dans un contexte géostratégique marqué par la hantise sécuritaire avec des incertitudes de toute sorte qui fragilisent la cohésion de notre tissu social (actes terroristes, crimes crapuleux, rapts d’enfants, tueries en série, etc.), vu la grande porosité de nos frontières, et surtout l’attribution de nos ressources naturelles sur fond de contrats objet d’une grande polémique nationale, il demeure alors vital de bien mesurer les risques afin de faire un choix très éclairé le 24/02/2019.
Cette angoisse quasi-existentielle est d’autant plus glaçante que le Sénégal s’est découvert une vocation de pays pétrolier et gazier avec des volumes très importants annoncés sur la base des premières estimations. La convoitise mondiale autour de ces ressources stratégiques fait que notre pays risque – si on n’y prend garde – d’être exposé à ce qu’on a appelé ailleurs la malédiction du pétrole. Le seul rempart à même de nous en sauver est assurément la qualité du leadership. Un leadership transformationnel capable de s’élever au-dessus des contingences et autres clivages partisans et qui ne se mettrait qu’au service exclusif des intérêts supérieurs de la communauté nationale. A travers une gestion judicieuse et parcimonieuse de ces ressources naturelles qui constituent en soi une manne pour notre pays, mais qui appartiennent souverainement au peuple sénégalais tel que disposé dans le dernier aménagement du texte constitutionnel à travers le référendum de 2016, chaque Sénégalais devrait, légitimement, pouvoir s’attendre à bénéficier des retombées du pétrole et du gaz par une amélioration substantielle de ses conditions d’existence. Sous ce rapport, cette élection ne saurait être un banal acte de vote d’un citoyen le temps d’un dimanche de scrutin présidentiel, mais plutôt l’occasion pour tout citoyen lucide de faire le choix le plus utile possible.
Ce devoir civique assumé en toute responsabilité et avec une claire conscience des enjeux démocratiques et stratégiques, va engager résolument notre pays dans une nouvelle aventure de gouvernance différente qui devra définitivement faire émerger notre pays et le positionner dans le cercle des économies transitionnelles. Avec les parts importantes induites et générées par l’exploitation de ces ressources naturelles, notre pays devra donc s’affranchir de la dépendance internationale pour avoir les moyens d’autofinancer son développement car comme théorisé par le sage penseur africain Joseph Ki-Zerbo, «on ne développe pas, on se développe». Nous invitons alors les acteurs politiques de tous bords, mais également toutes les parties prenantes à ces importantes joutes électorales à jouer la carte de la sérénité afin que les tensions pré électorales déjà perceptibles dans le discours des uns et des autres, soient apaisées et que les démons de la violence soient exorcisés.
Ce pays est bien le nôtre et il ne sera que ce que nous voudrions qu’il soit. De grâce, ne le brûlons pas. Notre commun vouloir de vie commune ne doit souffrir aucunement de nos ego surdimensionnés et nos petites querelles de chapelle ou de préséance. «Prier pour que la pirogue arrive à bon port, vaut mieux que de souhaiter voir son baluchon épargné», disait feu Mame Abdoul Aziz Sy Dabakh (Rta) qui a toujours prôné la paix et appelé à l’union des cœurs, surtout en pareille circonstance. Au sortir du Grand Magal de Touba, il y a juste quelques jours et à quelques encablures de la célébration de la sainte nuit du Prophète (Psl), nous devons tous, dans l’unité, la concorde et la paix des cœurs, travailler à nous conformer aux sublimes enseignements de nos saints hommes de Dieu. Ce pays regorge de ressources immenses (humaines, spirituelles, symboliques, culturelles et maintenant naturelles) par la grâce de Dieu. Nos expertises s’exportent partout dans le monde et sont appréciées aux quatre coins de la planète pour leur grande capacité à challenger et à performer, mais aussi à générer de la valeur ajoutée. Ce qui manque à ce pays c’est justement le capital éthique, le don de soi pour la patrie, le sens patriotique, le référentiel moral et le devoir d’exemplarité de certains de nos dirigeants, toutes choses qui, effectivement réalisées, changeraient fondamentalement et à coup sûr, le paradigme de la gouvernance démocratique et citoyenne de notre pays.
Le pouvoir et la souveraineté appartiennent au peuple qui l’exerce à travers ses représentants. Arrêtons donc de jouer à nous faire peur. Ne vendangeons pas cette chance extraordinaire d’entrer dans la grande histoire des nations libérées de la mendicité internationale et du diktat des organismes internationaux. En février 2019, nous devons réussir le pari du choix juste, réfléchi et surtout éviter à notre pays d’être gagné par le syndrome des transitions ratées. Nous devons cette posture à nos enfants et petits-enfants.
Par ailleurs, en dépit de cette perte tendancielle de nos valeurs, nous demeurons convaincus que ce pays peut être refondé à partir du puissant legs spirituel et symbolique que nos érudits et autres hommes de culture et de science nous ont pourvus si abondamment. Comment peut-on continuer à singer l’Occident alors que les autres ont tout à prendre et à apprendre de nous ? Thierno Souleymane Baal, figure emblématique de la révolution torodo de 1776, ne nous a-t-il pas décomplexé en nous proposant un modèle de gouvernance démocratique propre centré sur l’éthique, la vertu, l’obligation de rendre compte, l’intégrité, la probité, le tout adossé à notre propre identité socio-anthropologique ? «Détrônez tout imam (par extrapolation tout chef) dont vous voyez la fortune s’accroître et confisquez l’ensemble de ses biens. Combattez-le et expulsez le s’il s’entête».
Pourquoi diantre, nos élites politiques et même intellectuels, 242 ans après cette glorieuse révolution et presque un demi-siècle après l’accession de notre pays à la souveraineté internationale, ne travaillent-elles toujours pas à valoriser les enseignements de nos grandes figures emblématiques religieuses et culturelles dans nos écoles et universités ? Quel est ce complexe du colonisé qui les cheville toujours aux modèles que nous impose l’Occident ? Ne sommes-nous pas capable de construire notre vivre ensemble inspiré par notre propre histoire, irrigué par nos propres référentiels culturels anthropologiques et sociologiques ? Il n’y a pas un modèle unique, mais plutôt plusieurs modèles concurrents qui se valent, lesquels modèles sont sécrétés par la marche et la trajectoire de chaque société. Nous disons donc non au fétichisme des concepts et à l’impérialisme du modèle dominant ! Non à la standardisation des référentiels ! Oui à un effort de synthèse de toutes les valeurs fécondantes de l’humanité tel que suggéré par le président poète lorsqu’il parle du rendez-vous du donner et du recevoir. Oui à l’émergence d’une république refondée à partir de notre Adn social, culturel et symbolique, en un mot, tout notre système de représentations. Assurément, il est possible d’y arriver à la condition que nous osions y croire, et à cesser d’être moins frileux.
Le Sénégal et au-delà, l’Afrique toute entière, doit se réveiller et bien identifier ses intérêts, traduire sous forme d’agenda ses priorités, compter sur sa jeunesse debout et vaillante. Et cela passera par un leadership charismatique et stratège capable par son altitude, son attitude et surtout son aptitude de porter une vision progressiste qui sache mettre en mouvement toutes les forces vives de ce continent si riche de ses ressources humaines symboliques et naturelles. Soyons donc prêts pour ce rendez-vous électoral capital de 2019 pas comme les autres, restons droits dans nos bottes et osons l’avenir. Le Sénégal est à la croisée des chemins et l’histoire se racontera un jour.
Amadou Moustapha DIOP
Observateur politique
Militant de la société civile
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