Organisation qui dépend directement du Khalife général des mourides, Safinatoul Amane existe depuis 21 ans. Son rôle : veiller au respect des 28 commandements-interdictions à Touba et ses environs.
Ses 313 membres, dont certains sont armés, usent souvent de la force, lorsque les circonstances l’exigent. Ils font saisie, intervention, arrestation et même des perquisitions et visites domiciliaires, mais accompagnés des forces de l’ordre. Focus sur ses missions, ses méthodes et les limites de ses prérogatives.
Contrôle, saisie, intervention, arrestation, interpellation, visites domiciliaires…, font partie des méthodes de Safinatoul Amane. Une organisation de police religieuse créée depuis 1997, sur recommandation du défunt Khalife général des mourides, Serigne Saliou Mbacké. C’est une entité de veille et de contrôle à Touba et ses environs, pour que les interdictions du Khalife soient scrupuleusement respectées, compte tenu de sa spécificité de la cité religieuse. Safinatoul Amane, c’est une association légalement reconnue par l’Etat qui détient récépissé, ce qui lui donne mandat d’opérer sur toute l’étendue de son territoire, jour et nuit. «Le responsable moral de Safinatoul Amane, Serigne Modou Lô Ngabou, nous a donnés mandat, par arrêté, de contrôler et de surveiller Touba 24h/24. Nous intervenons partout dans la ville, en collaboration avec la police et la gendarmerie», fait savoir Modou Diop Diawbé qui en est le contrôleur général.
Chaque année, des opérations d’envergure portant sur des saisies de drogue, d’alcool, d’habits indécents et de produits prohibés sont opérées par les 313 éléments de Safinatoul Amane dont certains sont autorisés, par le ministre de l’Intérieur, à porter des armes à feu. Et même des armes blanches. Les produits saisis sont ensuite incinérés, à l’occasion d’une cérémonie annuelle à la gare de Touba, en présence des autorités religieuses et administratives, des chefs de service et diverses organisations basées dans la cité de Bamba. Safinatoul Amane fait des perquisitions si nécessaire et procède à des arrestations. «Nous collaborons avec la police et la gendarmerie qui nous accompagnent dans nos opérations. Si nous arrêtons une personne prise en flagrant délit, soit un trafiquant de drogue, un usager d’alcool ou autre, nous la remettons aux forces de sécurité qui la conduit devant le procureur», indique Mamadou Diop Diawbé, les menottes à la ceinture.
En 2017, 700 personnes ont été interpellées suite à des actions indécentes telles que les cérémonies folkloriques ou activités clandestines. Réputées «criminogènes», les zones plus couvertes par l’organisation en question sont : Gare-bou-Mak, Mbaari Madiyana, Garage Dakar, Marché Ocass, Oumoul Khoura, Marché Boubess, Rond-point Total Mbacké, Ndindi et ses environs ainsi que Darou-Keur-Kab.
Dans leurs actions, les membres de la police religieuse de Touba privilégient la sensibilisation. Mais ils n’excluent pas l’usage de la force lorsque les circonstances l’exigent. «Les auteurs d’interdictions du Khalife sont sensibilisés d’abord. Mais s’ils récidivent, ils sont expulsés de Touba, leur matériel confisqué en vue d’une destruction et leur domicile fermé jusqu’à nouvel ordre, en attendant une décision du Khalife. S’il s’agit, cependant, d’infractions à la loi pénale, nous faisons appel à la police ou à la gendarmerie car les délits et les crimes relèvent de leur compétence», explique l’interlocuteur de WalfQuotidien habillé en uniforme qui lui donne tout l’air d’un policier sans les insignes militaires.
Excès de zèle
A tort ou à raison accusée de se substituer à la justice et même de faire preuve de zèle, Safinatoul Amane fait trembler à Touba. Souvent, des personnes se plaignent de tortures et dénoncent les violences de ses «redoutables» éléments. «Quand j’ai eu un différend avec mon épouse qui s’est plainte auprès de Safinatoul Amane, j’ai été convoqué par certains agents qui m’ont séquestré et enfermé dans la salle de bain de leur siège. Trois agents m’ont déshabillé et m’ont violemment bastonné. J’ai été libéré plus tard sur intervention de mon marabout», dénonce Cheikh Bâ qui dit avoir été molesté pour avoir pris une troisième épouse. Seulement, les responsables inscrivent ces agissements sur le compte de cas isolés de quelques éléments zélés qui n’agissent pas en conformité avec leur démarche. «La loi interdit les tortures. Nous faisons souvent recours à la force, mais pas à la violence. Nous ne ripostons que si la personne interpellée oppose une résistance ou tente de s’en prendre à nous. Nous collaborons avec les autorités policières et judiciaires pour connaître les limites de nos prérogatives, pour ne pas empiéter sur celles de la force publique», explique sans convaincre le contrôleur général de Safinatoul Amane. A Touba et ses environs, les réactions des populations sont mitigées…
La collaboration entre populations et policiers fait souvent défaut, dans une société pas ancrée dans la culture de la dénonciation, fut-elle anonyme, par peur de représailles. D’où l’intérêt de l’action de Safinatoul Amane qui, selon ses responsables, sert d’interface entre les habitants de Touba et les forces de l’ordre et de défense.
La sécurité n’étant pas seulement son domaine d’intervention, Safinatoul Amane sert aussi de liaison entre le spirituel et le temporel, et fait également office de protocole, lors des grandes cérémonies religieuses. Elle mène également une croisade sans merci contre la perversion, la licence des mœurs, les affichages sauvages dans la cité.
L’organisation a tout d’une milice, avec même des agents du renseignement. A la tête de l’organigramme se trouve le président Serigne Modou Lo Ngabou nommé par le Khalife, suivi du contrôleur général Mamadou Diop Diaobé son second.
Le manque de moyens compromet l’exercice correct de la mission de Safinatoul Amane qui boucle, à ce jour, 21 ans d’existence au service exclusif du mouridisme, de son Khalife général qui en est le responsable moral et de Serigne Touba.
Pape NDIAYE
(Envoyé spécial)