Contribution
Bercé par les brises marines et fluviales, le Sénégal est un pays démocratique, stable. Un havre de paix aux multiples îles paradisiaques bordées de mangroves. Idéalement placé au bord de l’océan atlantique, il ne compte pas moins de 750 kilomètres de côtes. Quelle aubaine ! Quelle bénédiction !
Voilà des raisons parmi tant d’autres qui font que les Sénégalais se complaisent à l’appeler affectueusement pays de la Téranga (c’est-à-dire de l’hospitalité, de l’ouverture). En Afrique, beaucoup de pays (ses voisins surtout) ont connu soit une spirale de coups d’Etat, soit une période de conflits ou de guerres fratricides. Beaucoup d’étrangers au Sénégal, ont miraculeusement échappés aux affres de la guerre dans leur pays d’origine où nombre de leurs proches ont malheureusement perdu la vie. Pas étonnant alors qu’ils envient au Sénégal son climat propice aux affaires et favorable aux investissements. Pas surprenant, non plus, qu’ils admirent et jalousent l’hospitalité légendaire des Sénégalais, basée sur le commun vouloir de vie commune, introuvable chez eux.
Force est de reconnaître cependant que les Sénégalais doivent cette attractivité au génie des pères fondateurs qui lui ont bâti une nation (une et indivisible) dans une diversité culturelle, ethnique, politique, confessionnelle et confrérique. Quelle richesse fécondante ! Quelle cohésion sociale et quelle concorde nationale que tant de pays aimeraient avoir !
Pourtant, à ouvrir les yeux et à tendre les oreilles, on a la fâcheuse impression que les Sénégalais sont lassés de cette paix-stabilité. D’une part tenaillés par leurs passions et leurs tensions politico-sociales, d’autre part pris entre le marteau d’une opposition belliqueuse et l’enclume d’un pouvoir-policier, ils entretiennent un rapport ambigu avec leur être, pas toujours reflet de leur paraître ostentatoirement affiché. Un rapport quasi pathologique. Ils sont apparemment fatigués de vivre ensemble dans la paix et l’harmonie et ont imprudemment envie d’une autre aventure, une aventure nouvelle. A leurs risques et périls. Ce qui ne manque d’ailleurs pas d’étonner les hôtes étrangers établis au Sénégal. A dire vrai, ils ne comprennent pas que les hommes et femmes du pays de Senghor fassent comme s’ils étaient inconciliables, incompatibles avec la paix.
Ils sont d’autant plus dubitatifs que les Sénégalais se comportent comme s’ils voulaient goûter au désordre constitutionnel, à la confrontation, à l‘affrontement, à la guerre fratricide, bref à la violence sous toutes ses formes. C’est comme s’ils avaient perdu leur lucidité, leur sagesse, leur sens du discernement, de la mesure ; tellement ils peinent à s’accommoder à cette paix si précieuse qu’elle est devenue dans beaucoup de zones d’Afrique et d’ailleurs, une denrée rare. Si rare que des dizaines de milliers de personnes fuient leur pays pour recouvrer la paix en terre étrangère. Pourtant, au même moment, les Sénégalais confortent ceux qui les suspectent ou les accusent de vouloir vivre l’expérience de l’instabilité, de la montée/remontée des haines et des passions folles. Sinon pourquoi tant d’empressement et d’emportement dans le quotidien de leurs leaders ? Pourquoi autant de violence verbale dans toutes les couches sociales ?
Le Sénégal regorge d’homme d’éclats et de détails, mais manque d’hommes d’Etat recherchés, avares en paroles et riches et généreux en actions. Il foisonne d’exégètes et de prédicateurs autoproclamés pendant qu’il est frappé d’une grave pénurie de personnes qui traduisent en acte la parole de Dieu et se conduisent en exemples vivants des textes sacrés (toutes confessions et confréries confondues). C’est le pays où la défaillance politique des leaders les expose à la défiance de leur peuple. Pays de la palabre futile et inutile. Pays des passions puériles et des intentions stériles. Pays des prétextes festifs et des paradoxes d’endettement chronique, sources de tensions. Ceux qui disent la vérité, sont voués aux gémonies pendant que les menteurs professionnels sont couverts, couvés et même hissés au sommet de la hiérarchie sociale. C’est le pays où le front social est en ébullition constante. Pays où l’on ne produit pas de thé, mais où son cérémonial de préparation-consommation est facteur permanent d’oisiveté, mère de tant de vices. Pays où tout est prétexte à des festivités (fiançailles, mariage, naissance, circoncision, initiation, funérailles ….) pour paraphraser le Professeur Oumar Sankharé. Encore faudrait-il avoir l’honnêteté et l’humilité de le reconnaitre.
Trop de discours va-t-en-guerre ! Trop d’injures, d’invectives, d’attaques personnelles, de dénigrements, de diffamations. Trop de lynchage médiatique. Trop de malhonnêteté et de lâcheté intellectuelles. Des aspirants à la magistrature suprême ne sont guère républicains. Toutefois, ils se comportent en Pharisiens. Ils n’emploient que de gros mots. Des mots qu’on apprend paradoxalement aux enfants à ne pas employer. Les comportements les plus inélégants et les actes les plus répréhensibles leur collent à la peau. Pour eux, la probité n’est point une sacralité. Par contre, la versatilité leur sert d’écharpe, de voile de pudeur hypocrite. Ils l’érigent en style, en mode de vie. Où va le Sénégal ? Les secrets d’Etat leur servent de mégaphone, d’armes de destruction massive. Combien sont-ils si prompts à divulguer, déballer, incapables de garder le moindre secret ? Comment d’ailleurs leur faire confiance ? Bruno Diatta ne se retourne-t-il pas déjà dans sa tombe ?
Tous ne disent que des médisances et ne rayonnement que par leur logorrhée, leur logomachie, leur logopathie et leur incontinence verbale. Beaucoup, dans un ton on ne peut plus arrogant, annoncent leurs marches avec ou sans autorisation. Les plus téméraires ne cachent plus leur intention de marcher sur le ministère de l’Intérieur et/ou sur le Palais de la république. Pire, des chefs religieux, incapables de prendre de la hauteur et d’être au-dessus de la mêlée, versent dans la violence verbale partout présente. Dans les radiodiffusions, les télévisions et particulièrement dans les réseaux sociaux quasi incontrôlables. Elle écume de la bouche des enfants, bouillonne de celle des éducateurs, tonne de celle des leaders politiques, détonne et fuse de celle des gouvernants. C’est le pays de la violence institutionnelle et de l’hypocrisie républicaine. Pays des tartuffes religieux et des faux-dévots patentés en prédication. Des gens qui, au contraire, ont tout à apprendre des autres s’érigent facilement en donneurs de leçons.
Jusqu’où la violence verbale de nos politiciens influe-t-elle sur le comportement des enfants et des jeunes au point de participer à l’affaissement des valeurs et à la dépravation des mœurs ? Pourquoi tant jouer avec le feu ? A force d’agir de la sorte, ne finira-t-on pas par mettre ce pays à feu et à sang ? N’y a-t-il pas lieu de craindre de se brûler et de se calciner ? Le volcan qui veille, sommeille dans le cœur des Sénégalais non épris de paix ne pourrait-il pas s’éveiller, entrer en éruption à tout moment ?
Tous oublient que la paix n’est pas un mot, mais un comportement pour s’abreuver à la sagesse du président Félix-Houphouët Boigny. Plus qu’un comportement, c’est une exigence vitale, virale. Elle sommeille dans les cœurs, s’éveille dans les consciences, mais doit prendre corps dans le vécu quotidien. Il ne saurait en être autrement. Sinon bonjour la jungle, la loi du Talion ou du plus fort. Est-ce le vœu des Sénégalais ? L’heure n’est-elle pas venue de se convaincre et de prendre conscience que tous les ingrédients d’une période de trouble sont réunis. La moindre étincelle pourrait embraser tout le pays. N’est-ce pas imprudent, aventurier et risqué que de concentrer entre les mains périssables du président de la République plus de pouvoirs institutionnels que celui des Etats-Unis ?
Les Sénégalais sont-ils pleinement conscients que des narco trafiquants, des terroristes, des mafieux affairistes, des Jihadistes profiteurs et des puissances étrangères sont à l’affût, suite aux importantes découvertes gazières et pétrolières, prêts à entrer en action ? Pourquoi ne pas rester dans leur tradition de concertation et de dialogue pour un consensus national unificateur fort qui rencontrerait l’assentiment de tous et préserverait l’exception sénégalaise dans la sous-région en Afrique et dans le monde ? Quel candidat fera-t-il de la prochaine décennie celle de l’industrialisation du Sénégal ?
Samuel SENE