CONTRIBUTION
Le diagnostic que nous avons précédemment tiré de la situation actuelle de l’Ecole sénégalaise, dans une première vidéo postée sur notre page Facebook nommée PRESYSE, avait permis de faire des propositions de transformation de notre système éducatif. L’accent fut mis sur la nécessité d’une nouvelle gouvernance de l’Ecole, pour qu’elle soit en conformité avec nos réalités socioculturelles, tout en intégrant l’évolution mondiale actuelle, essentiellement marquée par la vitesse, la proximité spatiale, l’immatériel, l’éphémère, l’incertitude et les exigences du développement de soi. La prise en compte de ces nouvelles donnes passe nécessairement par un élément de transformation qui devra mettre fin aux crises cycliques de l’Ecole sénégalaise : la suppression du ministère de l’Education nationale et son remplacement par un grand ministère fédérateur, chargé de la Valorisation du capital humain (Mvch) qui paraît plus adapté, au regard de notre potentiel démographique (essentiellement marquée par sa croissance rapide, sa jeunesse) et des réalités actuelles d’un monde globalisé en perpétuelle évolution.
Une semaine seulement après l’enregistrement de notre seconde vidéo, la Banque mondiale a confirmé une telle option en tenant une importante session, le 11 octobre 2018, à Bali, Indonésie, portant sur sa volonté de faire du capital humain, «un projet mondial». Dans une lettre ouverte au monde, parue dans The Financial Times et signée par plusieurs leaders, on peut lire le passage suivant dans Twitter : «Si nous voulons un monde meilleur, stable, prospère et plus équitable, où les populations réalisent leur plein potentiel, les pays doivent commencer à investir davantage et plus efficacement dans l’humain aujourd’hui».
S’agissant du Sénégal, qui fait partie des 28 pays pilotes de ce projet de la Banque mondiale, un important changement de paradigme devra être opéré, tant par l’esprit que la lettre. Mais il trouve déjà son ancrage dans l’Axe 2 du Plan Sénégal Emergent et dans une nécessaire transversalité qui concerne tout l’attelage gouvernemental. Car, comme le soutient la Banque mondiale, «si nos pays agissent maintenant, les enfants nés aujourd’hui pourraient être en meilleure santé, plus riches et plus productifs à l’âge adulte». Et le sommet de Bali d’étayer son argumentaire en le fondant sur l’indice du capital humain, un tout nouvel étalon qui «mesure le niveau de capital humain qu’un enfant né aujourd’hui est susceptible d’atteindre d’ici ses 18 ans, compte tenu des services de santé et d’éducation dans son pays». Cet indice «mesure la distance qui sépare un pays d’une situation optimale de scolarisation et de santé», à partir de trois critères d’appréciation : la Survie qui s’interroge sur la possibilité ou non d’atteindre l’âge d’accéder à l’école pour un enfant né aujourd’hui ; la Scolarité qui renvoie aux acquis dans les apprentissages et à la durée de la scolarité de l’enfant ; la Santé qui interpelle sur l’état de santé de l’enfant sorti du système scolaire, articulé à ses chances de poursuivre ses études ou d’entrer sur le marché du travail à l’âge adulte ?
Ces trois «S» ne sauraient être l’apanage d’un seul ministre, fût-il celui de l’Education nationale, et posent la problématique de la cohérence dans la conception et la mise en œuvre d’un nouveau mode de gouvernance qui exige que, sur la base de la vision du chef de l’Etat et sous la responsabilité du Premier ministre, chaque ministre se sente concerné par l’éducation et la formation de notre jeunesse, base de tout développement. Les pouvoirs publics devront ainsi plaider ensemble auprès des partenaires extérieurs du Sénégal, agir sur la fiscalité, inciter à mobiliser l’épargne nationale, collaborer avec les partenaires privés pour trouver des financements nécessaires aux investissements sur l’Education, implanter des ouvrages et des infrastructures pour éliminer les abris provisoires, couvrir les besoins des écoles en eau potable, en murs de clôture, en toilettes séparées respectueuses du genre, en électricité, en soins de santé, en espaces numériques, etc. Ces mesures systémiques permettront aussi d’intégrer la formation des enseignants, la planification et le suivi de leurs plans de carrière, leurs régimes salariaux et indemnitaires, la facilitation de leur accès à des logements décents, leur prise en charge psycho-sociale, de façon durable pour réaliser un environnement scolaire propice à la paix sociale. Elles auront, en outre, le mérite d’atténuer la pénibilité des travaux des femmes, de promouvoir la scolarisation, le maintien et la réussite des enfants, y compris ceux à besoins éducatifs spéciaux, du formel comme du non formel tout comme les filles, en particulier, au terme de leurs cycles respectifs d’apprentissage. Avec cette approche participative et inclusive, de telles conditions transformatrices, parce que génératrices d’une éducation équitable et de qualité permettront, enfin, de familiariser précocement l’enfant avec les liens entre l’environnement d’apprentissage (école formelle ou daara) et celui de l’entreprise, entre le physique et le numérique, afin de le guider dans le choix de son futur métier, et ce modèle doit soutenu et territorialisé progressivement.
Au demeurant, les sous-secteurs de l’éducation préscolaire, de l’enseignement élémentaire, du moyen, du secondaire, de l’enseignement technique et professionnel et du non formel devront être regroupés au sein de ce ministère intégrateur, pour assurer la cohérence, la continuité du système et préparer les jeunes qui en seront issus soit à l’enseignement supérieur, soit aux métiers professionnels et techniques dont le Sénégal a besoin pour émerger vers 2035. Surtout, les taux d’échec scolaire pourront être amoindris considérablement.
Avec un ministère chargé de la Valorisation du Capital Humain, tel que nous le proposons, il est tout à fait possible de progresser, parce que le capital humain est, comme le reconnaît la Banque mondiale, le moteur de la croissance inclusive. Il reste juste à accepter le dialogue sur les politiques en matière de capital humain au sein de l’attelage gouvernemental puis, entre le gouvernement et les autres acteurs et de définir les priorités nationales pour accélérer les progrès en la matière, en nous appuyant sur le Plan Sénégal Emergent. Tout compte fait, parier sur le capital humain, aujourd’hui, n’est-ce pas conquérir le monde, demain.
Papa Moustapha GUEYE
Inspecteur de l’Education et de la Formation,
Spécialiste en Planification de l’Education,
Certifié en Leadership dans les TIC et KS