L’histoire se passe à Rufisque, à la mosquée de Sant Yalla. Le titulaire au poste d’imam, absent depuis des semaines pour cause de maladie, se pointe un beau jour, un vendredi, pour imposer son propre remplaçant.
Ses intérimaires s’y opposent avec véhémence. Et ce qui était parti pour être une communion avec le Créateur vire à une guerre de succession. Ce jour-là, les fidèles n’ont pu accomplir leur obligation religieuse, la prière du vendredi. Du moins, pas dans cette mosquée. Ils plient leurs nattes et rebroussent chemin.
Comme pour les mosquées, les successions, dans les partis politiques, sont aussi souvent très difficiles. La plupart des leaders n’ont pas fait leur cet adage wolof qui dit : ‘’Kou ignane sa ndono, ca dee win niaw’’ (tout chef qui rechigne à se choisir un héritier risque d’avoir une vilaine succession).
Ainsi, de Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et consorts, presque tous les partis ont, à un moment de leur histoire, été confrontés à un problème de transition. Souvent tumultueux, parfois débouchant même sur des pugilats aux conséquences néfastes.
Au Parti démocratique sénégalais (PDS), il n’y a pas eu d’échanges de coups de poing entre Abdoulaye Wade et son ‘’très fidèle’’ compagnon Madické Niang. Mais les mots ont volé très bas. ‘’Je jure devant Dieu et Khadim Rassoul’’, professe Madické pour alléguer de sa bonne foi. Il réagissait ainsi à une déclaration dans laquelle son mentor l’accusait de lui avoir administré un coup de couteau dans le dos. Un gros coup qui venait de s’abattre sur l’ancien parti au pouvoir qui n’en finit plus avec la saignée. Le patron, Wade, s’entêtant coûte que coûte, selon nombre d’observateurs, à vouloir imposer son fiston en tentant, comme l’accusait Idrissa Seck, ‘’de détruire et punir tout fils d’emprunt’’ qui n’accepterait de servir le fils après le père. Ainsi la bombe Karim qui a explosé à l’arrivée du Pds au pouvoir, n’en finit pas de provoquer des conséquences désastreuses.
L’ancien maire de Kanel, Amadou Tidiane Wane, regrette avec amertume les évènements qui secouent le parti de Wade. ‘’Ce qui leur arrive est vraiment malheureux. Car le PDS, comme le PS, c’est devenu un patrimoine commun à tous les Sénégalais. Ces partis n’appartiennent plus à une personne. Il faut éviter d’exclure des gens parce qu’ils ont juste des avis contraires. Abdoulaye Wade doit savoir que le Sénégal, le PDS n’est pas une royauté. Il ne peut faire comme faisaient Lat Soucabé Fall, Alboury Ndiaye… Il faut qu’il arrête de vouloir imposer son fils et essaie de promouvoir ses cadres’’.
Mais les problèmes de gouvernance du PDS sont plus vieux que l’entrée en politique de Karim Wade. Abdoulaye Wade, selon nos interlocuteurs, a toujours eu des difficultés avec ses seconds. Et souvent, cela a occasionné des ruptures brutales encore fraiches dans les mémoires. Selon les cas, Me Wade est tantôt dans les habits de victime, trahi par ses plus fidèles compagnons, tantôt dans ceux du coupable qui veut écraser tous ceux qui lui sont hostiles. Un vrai monarque dans la république PDS.
‘’Dévolution monarchique’’
Le porte-parole de la Ligue démocratique (LD), Moussa Sarr, témoigne : ‘’Wade a toujours eu des problèmes avec ses adjoints. Il s’est toujours arrangé à les liquider parce que, pour lui, le parti lui appartient. Il y fait ce qu’il veut. Et comme c’est sa propriété, il veut y instaurer ce qu’il n’a pu faire au sommet de l’État, c’est-à-dire une dévolution monarchique. C’est inacceptable’’.
Si, aujourd’hui, l’actualité du PDS survole l’espace public, les problèmes liés à la gouvernance des partis politiques transcendent les limites du parti libéral. Relativement jeune, l’Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse s’est récemment signalé de fort belle manière dans ce registre. Durant ses 20 ans d’existence, ledit parti aura connu pas mal de départs sur fond de polémiques. Mais, à n’en pas douter, celui de Malick Gakou a été le plus abracadabrantesque. S’adressant indirectement à son ex-homme de confiance, Moustapha Niasse n’y était pas allé avec le dos de la cuillère. Allant jusqu’à les traiter de ‘’djinns, de salopards et d’imbéciles’’. Le clash était dès lors inéluctable. Gakou et ses amis quittent la barque et créent leur propre parti politique. Hélène Tine, elle, n’a pas attendu d’être jetée à la porte. Bien avant Gakou, l’ancienne progressiste avait lâché l’enfant de Keur Madiabel et son parti. Elle fustige, elle aussi, le mode de gouvernance des partis politiques. Interpellée sur les raisons de son départ de l’AFP, elle explique : ‘’J’ai préféré m’arrêter quand j’ai vu que le parti est devenu la propriété d’un groupe d’amis qui ont cheminé pendant un bon bout de temps. Ce sont d’anciens copains du Parti socialiste qui rodaient autour du secrétaire général et qui décidaient de tout. Soit tu acceptes d’être à leur solde ou tout simplement tu claques la porte. J’ai choisi cette dernière option.’’
Ils sont nombreux, à l’AFP, à avoir été confrontés à l’intransigeance de leur président. Mais comme Moustapha Niasse et Wade, même Macky Sall, fondateur de l’Alliance pour la République (APR) semble être hostile au n°2. Après s’être débarrassé de son compagnon Alioune Badara Cissé, il a opté laisser le vide s’installer autour de lui.
Aujourd’hui bourreau de Gakou et consorts, Moustapha Niasse a auparavant été lui-même victime du manque de démocratie qui gangrène tous les partis politiques. Dans leur ouvrage ‘’Le Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société’’, 1990, pp.384, Momar Coumba Diop et Mamadou Diouf attribuaient les propos suivants à l’actuel président de l’Assemblée nationale, à l’époque membre du Parti socialiste : “Si l’on n’a pas pu changer le parti de l’intérieur depuis dix ans, il faut envisager sérieusement de créer un nouveau parti qui intégrerait l’expérience et les acquis historiques du PS et qui s’adapterait mieux au contexte actuel et aux mutations indispensables de la société sénégalaise.” Ce parti verra finalement le jour environ 8 ans plus tard.
Comme quoi, la pandémie qui gangrène la démocratie dans les partis ne date pas d’aujourd’hui. L’ancêtre des formations en a également souffert. D’ailleurs, Abdou Latif Coulibaly, dans ‘’Le Sénégal à l’épreuve de la démocratie ou L’histoire du Ps de la naissance à nos jours’’, pp.161, 1999, disait : “Un parti ne peut pas être une armée, où les généraux doivent commander et les hommes de troupe doivent se mettre au garde-à-vous, agir avant de réfléchir.’’ Pourtant, dans la plupart des cas, cette règle de subordination chère aux militaires, prévaut. Avec des militants souvent disciplinés qui disent oui à tout ce que veut le président-fondateur. Ainsi au PDS, pendant très longtemps, personne n’avait honte de se réclamer variable. Wade étant la seule constante. Au Ps également, il est une règle tacite qui veut qu’Ousmane Tanor Dieng, après Senghor et Diouf, soit l’unique constante. Avant lui, Senghor et Abdou Diouf ont régné sans partage à la tête du Ps. L’un et l’autre se sont choisis eux-mêmes des remplaçants. L’un et l’autre ont été à l’origine des départs de Babacar Ba, ancien ministre des Finances sous Senghor (1979), Moustapha Niasse et Djibo Ka (suite au Congrès sans débat de 1996), explique Amadou Tidiane Wane.
L’alternance générationnelle, une chimère
Pendant que les papys s’accrochent à leurs privilèges, les jeunes loups trinquent.
Au Sénégal, les présidents-fondateurs ne lâchent jamais prise. Refusant de partir à la retraite et de laisser émerger la jeune génération. Gare à ceux qui tentent de remettre en cause leur leadership. Ils sont nombreux, les jeunes à être sacrifiés à l’autel des dinosaures boulimiques. Moustapha Niasse, lors d’une réunion du Bureau politique de son parti en décembre dernier, bottait en touche de telles accusations et se défend. ‘’Je ne demande pas à être reconduit. Je souhaite que des jeunes montent au sommet du parti’’, disait-il. Il était alors ferme quant à sa volonté de lâcher les rênes, en Congrès, en 2018.
Depuis huit ans, informait-il, il se serait évertué à provoquer un changement générationnel dans sa formation politique. De telles promesses, espérons-le, n’engageront pas que ceux qui y croiraient. Niasse, à 78 ans, reste toujours seul commandant de bord à l’AFP. Il fait ainsi partie de la race des chefs de parti ayant fait au moins plus de 20 ans à la tête de leurs structures. Dans la même catégorie, on retrouve Ousmane Tanor Dieng qui est à la tête du Ps depuis le Congrès sans débat de 1996, Abdoulaye Wade depuis la naissance du Pds en 1974, Madior Diouf, Rnd… Landing Savané, lui, qui refusait également de céder le fauteuil d’Aj, a connu un putsch de la part de son binôme Mamadou Diop Decroix. Malgré la décision de justice en faveur de son camarade, il s’arcboute toujours à son titre de chef de parti. Comme certains vieux, dans certains hameaux, s’accrochent à leur qualité de chef de quartier.
Ainsi, plusieurs fois théorisée, l’alternance générationnelle devient une chimère à la tête de la plupart des formations politiques sénégalaises. Souvent, les jeunes qui veulent franchir la ligne rouge sont poussés vers la sortie et n’ont aucune autre alternative, sinon de créer leur propre cadre, comme l’a fait Gakou. Comme l’aurait fait Khalifa Sall déjà exclu du PS originel.
Les bons élèves
Toutefois, convient-il de souligner, dans cet océan de dirigeants boulimiques, ont émergé, quelquefois, des leaders plus raisonnables qui, à un moment donné de leur existence, ont compris la nécessité de passer le témoin. Même s’ils ont auparavant fait plus de 20 ans dans leurs partis respectifs sans jamais remporter la moindre bataille, Abdoulaye Bathily et Amath Dansokho ont su partir à point, alors qu’ils auraient bien pu s’accrocher comme Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng ou Moustapha Niasse.
Deux autres leaders, un peu de la même génération, se sont aussi signalés de fort belle manière. Il s’agit de Magatte Thiam (SG du Parti de l’indépendance et du travail de 2010 à 2016) et Mamadou Ndoye (SG Ligue démocratique de 2013 à 2017). Ces derniers avaient remplacé respectivement Dansokho et Bathily. Moustapha Niasse, lors de la réunion de son Bureau politique, avait d’ailleurs confié : ‘’Je demanderai à Abdoulaye Bathily comment il a fait pour se libérer de la tête de son parti.’’
Pour Moussa Sarr, le principal problème, c’est le manque de volonté. ‘’Il y a, dit-il, une insuffisance de solidarité générationnelle. Les générations qui ont créé les partis manquent souvent de générosité envers les générations actuelles. Il faut le corriger pour qu’il y ait plus d’alternance dans les partis. Ce qui va influer un souffle nouveau à la vie politique dans notre pays’’. A en croire Hélène Tine, le problème, ce n’est pas seulement les SG. ‘’Parfois, argue-t-elle, ce sont des groupuscules qui, certainement, ont fait leurs 400 coups ensemble et qui se liguent pour sacrifier tout jeune qui émerge’’.
Mor Amar, EnQuete