Trente-cinq ans après la loi «obsolète» sur la publicité de 1983, les régulateurs sont pour le ménage du secteur qui attire politiques, commerciaux et industries. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) a ouvert les discussions, hier à Dakar.
La publicité est régie au Sénégal par la «Loi 83-20 du 28 janvier 1983». Trente-cinq ans après, les acteurs constatent un déphasage total avec la réalité du moment. Pire, il n’existe aucun décret d’application pour la mise en œuvre effective de ladite loi. S’y ajoute un vide juridique source de toutes les dérives dans le secteur de la publicité, lesquelles ont pour noms : publicité mensongère, déguisée ou trompeuse ; «utilisation abusive et dévalorisante» des images impliquant la femme et de l’enfant, entre autres. Le nouveau Code de la presse consacre pourtant des dispositions qui encadrent la publicité, mais les textes d’application ne sont pas encore entrés en vigueur pour freiner les abus constatés dans le secteur en question. Voilà ainsi campé l’état des lieux dressé par les différents acteurs concernés par la question, hier à Dakar. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) a ouvert une concertation, dans l’optique de prendre de nouvelles mesures. Cette révision de la loi s’impose à cause du danger que représente la publicité dans les familles, souligne Babacar Touré, président du Cnra qui rappelle que «la famille est le premier régulateur et que nous devons être tous responsables». De l’avis de Babacar Touré, il faut agir parce que «la publicité peut faire des ravages parce qu’on veut être comme tel pour exister». De même les complaintes d’injures écœurent Babacar Touré qui laisse entendre : «Nous n’y pouvons rien du tout, les affaires privées cela ne regardent pas le Cnra. Mais utiliser les moyens de communication de masse est condamnable». D’après M. Touré, si tout le monde s’y met à injurier, c’est parce qu’ «il y a une guerre souterraine». Mais le modèle démocratique fait qu’on ne peut pas verrouiller internet comme cela se fait ailleurs.
Pour M. Touré, il faut éduquer les gens dans leurs rapports aux medias pour qu’ils sachent faire le tri. En effet, dit-il, l’education par les media est devenue le parent pauvre au moment où les divertissements prennent le pas. Dans son diagnostic, M. Touré souligne même que les programmes sont définis en fonction de la publicité, les guest-star sont commandées par la publicité. On retrouve par ailleurs la publicité d’exposition (quand on met des produits à l’émission, Ndlr), la publicité politique sous forme d’interview dans les animations. Une nébuleuse profitable aux politiques, d’après M. Touré. Qui révèle que, certaines émissions, pour y participer, il faut passer par le service commercial. Ce qu’on ne peut pas tout le temps prouver. Babacar Touré précise toutefois que le Cnra n’est pas contre une publicité politique payante. Il faut juste encadrer cela car qui paye commande.
Le Cnra pour la libération du marché de la Pub’
Le bouillon, la dépigmentation ou encore le charlatanisme passent mal aux medias. M. Touré a, à l’occasion, posé le problème des charlatans qui, d’après lui, sont des «dangers pour les sociétés». Cela à cause des medias qui leur ouvrent leurs canaux. M. Touré s’est, en outre, indigné que le Cnra ne puissent rien faire face aux annonceurs qui se tournent vers les réseaux d’affichage. Reprenant la parole, Babacar Touré pose le problème de la publicité des produits de dépigmentation, appelés le Xessal. D’après lui, la responsabilité des propriétaires d’organe est première. «Si vous ne lui permet pas d’accéder il n’y aura rien. Le canal est une propriété du peuple. C’est comme si les hommes et femmes de media se mettent en situation d’irresponsabilité, on ne sent pas qu’ils sont concernés», avise-t-il.
Sur un autre volet, M. Touré a plaidé pour la libéralisation du marché de la publicité au secteur prive. «Il y a un pourcentage qui est reliquataire. Cela permet de refléter la diversité. Le secteur privé pourra être plus dynamique. Seuls les bon resterons», dit-il. Dans la présentation de l’état des lieux du secteur de la publicité, l’expert en publicité Lamine Diakhaté et Meisssa Aw du cabinet Nexus Group sont revenus t sur leurs études portées sur 1200 individus et menées du 11 juillet au 4 novembre 2017. Les personnes interrogées ont mis à l’index la qualité des messages, l’absence de tarifs de base, les agents qui opèrent sans agréments, les contenus folkloriques, les jeux de hasards, le tabac, les guérisseurs, la dépigmentation. D’après les experts, Dakar Thiès, Mbour et Touba sont les zones ciblées. Sur la totale des sociétés de publicité comptées, 32 ne sont pas classées.
Emile DASYLVA
Babacar Touré, président du Cnra
MOUHAMADOU BADIANE, SG DE L’ASSOCIATION DES REGIES PUBLICITAIRES
«Ce qui se passe à Dakar est incroyable»
«Ce qu’on vit, c’est une absence de réglementation. Il y a des gens qui investissent. D’autres implantent des panneaux et payent comme ils veulent. La chaine de valeur a été beaucoup perturbée. Il y a tendance à internaliser la communication. Les entreprises préfèrent elles-mêmes faire leur propre plan de communication. Ce qui créé un désordre dans le secteur. Il faut réguler les conditions d’ouverture de ces agences. Il faut un régulateur dans cette chaine de valeurs. Les tarifs varient on ne sait pas sur quelle base. Il faut une harmonisation de ces tarifs. Aujourd’hui, chaque commune délivre des autorisations comme elle veut. L’implantation de panneaux et d’affiches publicitaires se fait de manière anarchique. Sur la Vdn, les supports sont devenus dangereux, ils ne respectent aucune règle. Aujourd’hui, il y a des annonceurs qui remplacent des régies. Ils viennent implanter les panneaux publicitaires illégalement alors que ce sont les régies qui payent des impôts et des salaires. En Côte d’Ivoire ou au Mali, on n’imagine même pas que quelqu’un puisse faire de la publicité sans avoir d’autorisation requise. Ici, à Dakar ce qu’on voit est déplorable. Ce qui se passe au Sénégal, c’est incroyable. Les députés ont du boulot. Si on ne fait rien, cela deviendrait de l’anarchie. Depuis 1984, il n’y a aucune loi. Il suffit juste qu’il y ait un décret d’application et le code est réglé. Ce qu’on vit, c’est une absence de réglementation. Vraiment, il est temps qu’on s’en occupe, c’est un problème. Il y a des jeunes qui travaillent, qui investissent et payent des salaires et des impôts. Il y a des gens qui ne sont pas des acteurs, ils sont amis ou parents du maire et font de l’anarchie. Il nous faut nous motiver au lieu de laisser les annonceurs se comporter comme un régis. Ce sont des problèmes qui sont là, nous le vivons tous les jours. On ne peut pas aller ailleurs, parce qu’on est Sénégalais, on travaille ici».
Emile DASYLVA