CONTRIBUTIONBarack Obama n’avait-il pas tort de dire que l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes ? Les institutions modernes en Afrique sont la partie visible de l’iceberg de notre socialisation traditionnelle. Le droit d’aînesse et la chefferie sont des exemples probants de cette socialisation traditionnelle en Afrique. Aujourd’hui encore, des croyances fortes sont entretenues, de tout bord, au sujet de la sagesse du plus âgé et des pouvoirs mystiques du chef. Il se disait que le président Senghor avait des pouvoirs surnaturels, d’où le fait que celui qui avait tenté de l’assassiner n’ait pas pu appuyer sur la gâchette.
Le courage moral à l’Africaine
Dans une perspective culturelle, en Afrique, le leader affiche en tout lieu et en toute circonstance un courage physique et un courage moral. C’est ce qui explique que beaucoup de rois africains, dont la mort a été prédite par les oracles, refusèrent d’abdiquer devant le destin. L’exemple de la reine du Walo qui a préféré d’être consumée par le feu en lieu d’une servitude à l’ennemi est encore chanté au Sénégal du Nord au Sud. Lors de la prise de Sikasso au Mali, Bebemba se donna la mort qu’il préféra à la honte. Ces illustrations sont importantes parce qu’aujourd’hui encore, les dépositaires des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) sont considérés «spéciaux». En conséquence, on peut dire que l’Afrique a besoin d’hommes forts, d’hommes ayant le courage moral d’assumer leurs fonctions.
Quand les juges sont jugés
Aujourd’hui, l’institution judiciaire au Sénégal est «jugée» par le peuple, l’outrage à des magistrats est de plus en plus commis. Pourtant, tout Sénégalais reconnait le rôle majestueux des magistrats dans les dossiers courants : vol, viol, meurtre, etc. Mais quand il s’agit de dossiers sensibles, pour ne pas dire politiques, le peuple semble insatisfait. Le peuple ne cesse de réclamer le même traitement pour toutes les autorités de l’Etat dont la gestion a été indexée par les corps de contrôle de l’Etat, le Forum du justiciable avait même saisi le procureur de la République à ce sujet.
Des dossiers sensibles ont toujours existé au Sénégal, mais cette nouvelle tendance du peuple, à «juger les juges», est toute nouvelle. A mon humble avis, même si tout ce qui se fait est légal, il est temps que le pouvoir judiciaire reprenne le chemin tracé par le juge Kéba Mbaye. Ce dernier nous a tellement parlé d’éthique que beaucoup de Sénégalais pensent que l’éthique est le droit, qu’elle n’en est pas uniquement une source. On ne peut pas seulement brandir l’argument de la légalité. Martin Luther King disait que tout ce que faisait Hitler en Allemagne était légal.
De l’importance de l’abstention militante
Le juge, en tant que régulateur social, devrait reprendre son rôle de modèle incarnant l’éthique. Dans le pire des mondes, un modèle ne se fait pas insulter. Mais l’entrée en politique de certains juges, promus à des postes de directeurs d’agence par le pouvoir exécutif, pose un défi au corps des magistrats dans son entièreté. En effet, la scène politique sénégalaise ne ménage aucun intervenant, fut-ce un marabout ou un juge «en disponibilité». Au nom de la crédibilité de l’institution judiciaire, des lois devraient être aménagées pour empêcher la possibilité aux juges en «disponibilité», de militer au sein du parti au pouvoir. Une fois qu’on a le pouvoir de juger ou de faire condamner, on ne doit appartenir à aucun parti.
Cheikh Tourad TRAORE
Militant de la Société civile