CONTRIBUTION
Samedi dernier, des milliers de Dakarois ont protesté aux Parcelles assainies contre les pénuries d’eau. Le succès populaire de cette marche marque un tournant significatif. La brutalité policière, utilisée pour intimider l’opposition et apeurer les citoyens, a pris l’eau. C’est une défaite de la tentative d’étouffement des droits et libertés en œuvre depuis 2012. Et une première victoire conférant un avantage psychologique indéniable aux démocrates en lutte pour une présidentielle 2019 sans exclusion ni fraude.
Les marcheurs ont proposé et réclamé les mesures politiques minimales devant permettre de résorber le déficit structurel d’approvisionnement en eau de Dakar. Car les diagnostics et solutions techniques brandis par le gouvernement ne sont que poudre aux yeux et mauvais prétexte. Le secteur de l’eau a besoin d’investissements conséquents que M. Bouygues et les groupes financiers qui contrôlent la Sde ne consentiront pas, leur seul souci étant de gagner du temps pour tirer le maximum de profit de l’exploitation qui leur est confiée. La solution de cette carence commence donc, comme l’ont dit les marcheurs, par le départ immédiat de M. Beau-Frère, visiblement dépassé par la situation, la remise en cause du contrat de la Sde et un schéma innovant de gestion du secteur rompant avec les paresses de la privatisation tous azimuts.
Il y a dans cette crise une leçon urgente à tirer pour éviter une catastrophe qui s’annonce dans nos campagnes. En effet, le schéma mis en place au profit de la Sde est en train d’être étendu à l’ensemble du monde rural dans le cadre du Pepam, le programme-phare de la Banque mondiale au Sénégal. Dans les régions où cette privatisation des forages a déjà commencé comme Diourbel et Thiès, le prix de l’eau a doublé voire triplé. Les paysans de Léona, Ngohé, Ngoundiane, Lambaye,… ont déjà exprimé leur colère par des marches. Ils ont bien compris que les prix exorbitants qui leur sont imposés provoqueront des coupures d’eau fréquentes et massives, pour défaut de paiement, au grand dam de leur santé et de leurs activités maraichères et pastorales.
L’attribution des contrats de l’exploitation de ces forages soulève de pertinentes interrogations. A ce propos, les organes de la Banque mondiale chargés de la surveillance éthique sont interpellés. Si, comme on le révèle, des experts deviennent par la suite des opérateurs et tirent un bénéfice économique de la mise en œuvre de leurs propres recommandations, une suspicion de délit d’initié ne serait-elle pas légitime ? Les milliards générés par les forages ruraux ont mis l’eau à la bouche d’adeptes de l’enrichissement facile. Quant à la Sde, elle a fini de calculer les profits juteux à engranger en vendant l’eau à Touba. Et M. Beau-Frère piaffe d’impatience.
Plus que le pétrole, l’eau est le nouveau produit stratégique international. Elle sera le grand enjeu des prochains conflits mondiaux. En attendant, au Sénégal, un pouvoir sans vision ni ambition brade à tout va cette denrée de souveraineté.
Mamadou Bamba NDIAYE
Ancien député
Secrétaire général du Mps/Selal