Démissionnaire de la magistrature, le désormais ex-substitut du procureur général près la Cour d’appel de Dakar est candidat à la présidentielle de 2019.
Dans cet entretien qu’il a accordé à Walf Quotidien, Ibrahima Hamidou Dème trouve que le Procureur de la République a l’obligation de s’autosaisir dans l’affaire qu’il est convenu d’appeler Prodac Gate. Aussi, il a prévenu les autorités quant à l’organisation d’un scrutin libre et transparent. Avec le maintien du ministre Aly Ngouille Ndiaye au ministère de l’Intérieur, il souligne que les autorités ne doivent pas prolonger le pays dans des crises dont personne ne peut prédire l’ampleur.
Walf Quotidien : Vous annoncez votre volonté de combattre le régime, cela signifie donc que vous allez participer à la présidentielle de 2019 ?
Ibrahima Hamidou DEME : Effectivement, je serai candidat aux élections présidentielles de 2019. Ma candidature est tout à fait logique dans la mesure où après avoir démissionné de la magistrature, j’ai décidé immédiatement de faire de la politique, mais au sens noble du terme. C’est-à-dire être au service des populations et non la politique politicienne qui a perverti tous les secteurs de notre société. C’est ainsi que nous avons décidé de mettre en place un mouvement politique, mais ce n’est pas aussi pour faire la politique de demi-mesure c’est-à-dire d’être un mouvement de soutien à un quelconque candidat. Nous avons une offre politique nouvelle à laquelle les sénégalais adhèrent massivement qui, à notre avis pourra porter le véritable changement dans notre pays.
A neuf mois des élections, n’est-il pas trop tard pour présenter votre candidature ?
Neuf mois, c’est près de 300 jours. Même avec 100 jours, on peut faire beaucoup de choses. Pour lancer notre mouvement, il nous a fallu que 20 jours de visites de proximité dans la commune de Thiès pour drainer des milliers de personnes dans un stade. Depuis lors, nous sommes dans une dynamique extraordinaire. Notre mouvement bénéficie d’un soutien local très important, mais aussi national et international. Nous ne pouvons par conséquent qu’être optimistes quant à nos résultats aux prochaines élections.
Que comptez-vous apporter comme innovation dans la gestion de la cité ?
Notre projet de société est simple. Nous n’allons pas réinventer la roue. Nous ne croyons pas aux programmes préétablis ou conçus dans des laboratoires rien que pour fasciner l’électeur avec des promesses qu’on ne peut pas tenir. La politique de rupture que nous voulons incarner c’est non seulement tenir un langage de vérité aux populations, mais aussi être très pragmatique. Nous estimons que les populations ont des besoins vitaux, des besoins primaires tels que l’eau, l’alimentation, la santé, l’éducation etc. qui ne sont pas encore satisfaits. C’est pour cela que nous pensons que la priorité dans ce pays, c’est d’abord de satisfaire ces besoins vitaux partout dans le pays, mais aussi de rétablir l’autorité de l’Etat en instaurant, notamment, la justice sur tous ses plans en assurant son indépendance afin que la justice économique et sociale soit rétablie. Cela nous permettra par la même occasion de restaurer la discipline, de combattre la corruption pour réussir un développement harmonieux et durable du pays.
Vous venez d’énumérer un certains nombres de griefs, est-ce à dire que rien ne va dans ce pays ?
C’est un euphémisme de dire que «rien ne va». Le pays est en crise. Nous sommes dans une crise profonde qui a touché tous les secteurs de la société. Il y a d’abord une crise des valeurs qui fait qu’actuellement les valeurs cardinales d’honneur, de dignité, de probité et de loyauté ne sont plus respectées. La crise économique que nous vivons n’est que la conséquence de cette crise morale. Actuellement, aucun secteur de l’économie n’est épargné par la précarité. Tout le monde le constate. La consommation des sénégalais a beaucoup diminué parce qu’ils n’ont plus les moyens. Alors que paradoxalement le train de vie de l’Etat ne diminue pas, au contraire. Les opérateurs économiques nationaux ne peuvent plus investir parce que l’Etat ne paie plus à temps la dette intérieure. Ainsi, ils ne peuvent plus faire face à leurs obligations, vis-à-vis de leurs employés, mais aussi investir pour la pérennité de leur entreprise.
Parlant toujours de la présidentielle, vous allez y aller seul ou en coalition ?
Ibrahima Dème est candidat et sa candidature est portée par le mouvement Ensemble d’abord, mais il y a d’autres mouvements locaux à Thiès et même des élus locaux qui nous soutiennent. Ensuite nous sommes ouverts à d’autres mouvements ou partis politiques qui partagent nos valeurs et croient à notre idéal. Notre mouvement s’appelle «Ensemble» nous sommes donc ouverts à toutes les entités de la société qui veulent changer le Sénégal.
Vous êtes optimistes quant au bon déroulement du scrutin de 24 février 2019
Je suis un homme optimiste. Tant qu’un projet est soutenu par la bonne foi et l’intérêt général, je pense qu’il va immanquablement aboutir. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que le pouvoir actuel met déroule toutes sortes de moyens et subterfuges pour rempiler alors que le pouls de la société sénégalaise qu’on a touché est résolument tourné vers le changement. Si les élections sont transparentes en aucune manière, l’actuel président de la République ne peut obtenir un deuxième mandat. Maintenant, il appartiendra à toutes les forces vives de la Nation, en conformité avec nos valeurs démocratiques et de paix, d’œuvrer pour des élections transparentes et sincères.
Mais peut-on avoir des élections transparentes et sincères si on a un ministre de l’Intérieur et organisateur d’élections qui est un responsable du parti au pouvoir (Apr)
Il est non seulement dans l’Apr mais il a clairement dit qu’il fera tout pour que le Président Macky Sall ait un deuxième mandat. C’est une déclaration qui avait suscité le tollé mais qui nous renseigne que lorsqu’on est dans une dynamique partisane et qu’on n’a pas des valeurs républicaines, on ne peut gagner la confiance des sénégalais quant à l’organisation d’élections transparentes. Il faudrait que toutes les forces vives de la Nation se dressent pour que ce qui s’était passé aux élections législatives ne se répète plus. Nous sommes un pays qui a beaucoup combattu pour que l’on ait des avancées démocratiques. Le Sénégal était cité partout en exemple. Malheureusement, nous régressons. Les autorités qui sont sur place doivent tout faire pour ne pas plonger ce pays dans des crises dont personne ne peut prédire l’ampleur. On dit souvent que le Sénégal est un pays de paix, mais il ne faut pas en même temps attiser le feu et la tension.
Depuis votre démission de la magistrature comment occupez-vous votre temps ?
Je suis enseignant à l’Université. Je fais aussi de la consultance en matière de droit de l’enfant. Mon temps est absorbé par mes activités professionnelles et celles politiques. Puisqu’on a décidé de faire de la politique de proximité, on est tout le temps dans des réunions, des rencontres. En tout cas, on n’a pas choisi la facilité, mais être au service de son pays est très motivant.
L’actualité c’est la démission avec fracas du ministre du Tourisme et son maintien par le Président Macky Sall, quelle analyse en faites-vous ?
Je ne connais pas les motivations profondes parce qu’il a soutenu qu’il a démissionné pour convenances personnelles. Mais c’est dans leur camp qu’on parle de détournement dans un projet. De toutes les manières, s’il est avéré qu’il a eu des manquements, le ou les auteurs doivent en répondre. Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que c’est dans leur camp que les accusations sont venues, il y a donc forcément quelque chose. Malheureusement, depuis 2000, on banalise les milliards détournés alors que cet argent pouvait financer des projets sociaux vitaux, c’est extrêmement grave. Nous devons davantage mettre l’accent sur cette obligation de rendre compte pour toute autorité exerçant un mandat public ou gérant des deniers publics. Le procureur de la République a par conséquent l’obligation de se saisir de cette affaire pour situer toutes les responsabilités.
De manière générale, que reprochez à Macky Sall ?
De n’avoir pas tenu ses promesses. D’avoir fait le contraire de ce qu’il avait proposé. Un pays qu’on gouverne avec un seul crédo, c’est à dire le mettre sur le droit chemin dans toutes ses composantes, ce pays va nécessairement se développer. Il n’a pas choisi la transparence et la bonne gouvernance. Il n’a pas non plus choisi de mettre les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. Il n’a pas choisi de mettre la patrie avant son parti. Ce sont ces manquements qui ont mis le pays dans l’état où il se trouve.
Croyez-vous à cette concertation sur le pétrole et le gaz ?
Nous sommes dans une entité qui s’appelle l’opposition. Toutes nos décisions doivent être concertées. On n’écarte pas le dialogue. Dans tous les pays du monde, on ne peut pas toujours être d’accord sur tout mais on doit discuter, l’opposition et le pouvoir doivent se rencontrer, discuter sur des sujets relatifs à d’intérêt général. Mais, il y a près d’un mois, le pouvoir avait fait un forcing pour imposer à l’opposition la loi sur le parrainage. Revenir pour dire qu’on est ouvert au dialogue, ce n’est pas cohérent. Il faut beaucoup de sincérité et de la constance de part et d’autre pour établir des rapports de confiance entre le pouvoir et l’opposition.
Propos recueillis par Magib Gaye