CONTRIBUTION
En matière de communication et de marketing politique, la «Lettre d’outre-tombe à la Oumma Islamique» est un chef d’œuvre. Elle est par contre, pour un homme politique, depuis l’indépendance du Sénégal, la tentative la plus obséquieuse et la plus calamiteuse de remise en cause de la cohésion de la communauté musulmane nationale et partant, de la nation toute entière. Elle a fini, aussi, comme toute communication bien scrutée grâce à une grille d’analyse, par trahir son auteur en révélant ce qu’il ne voulait nécessairement pas laisser transparaître. Des instruments d’auscultation tels que l’attitude corporelle si on communique oralement ou la graphologie ou même parfois l’agencement des idées si on écrit, laissent deviner la personnalité du communicateur. Décidément l’écriture est aussi révélatrice de notre identité que le sont nos empreintes digitales. En apparence, même la photo illustrative du document, montrant M. Idrissa Seck recevant des prières de sa défunte maman, est un bijou en termes de communication : le fameux nianou waadiour !
Dans le fond, la ligne doctrinale de la lettre est structurée autour de deux éléments essentiels en communication : La recherche d’alliés et le focus sur son principal adversaire. A côté du débordement de l’ego de l’homme qui parle de lui à la troisième personne du singulier, par la technique de faire parler sa défunte mère qui aurait visité le paradis en rêve quand elle était enceinte de lui, il y a un aveu de taille : l’impatience d’attendre, comme promis, la fin du Ramadan avant de croiser le fer avec ses contradicteurs. Cela prouve qu’il y avait urgence d’arrêter la saignée provoquée par une sortie aussi violente qu’inattendue d’un éminent contradicteur, le Khalife général des tidianes en personne, dont l’attaque frontale contre les propos de M. Seck fut tellement vigoureuse qu’elle nous aurait paru disproportionnée si la foi musulmane n’était pas en jeu. Face à cette bourrasque presque passionnée, Idrissa n’a rien trouvé de mieux que d’utiliser une arme aussi dangereuse que machiavélique. Il a cherché insidieusement et inlassablement tout au long de sa communication, le soutien d’une partie de la tarikha du Khalife qui l’a attaqué et celui des mourides. Il a d’abord amadoué la frange du tidjanisme liée à Serigne Cheikh Al Makhtoum pour au minimum la neutraliser, avant d’adouber le mouridisme et son guide spirituel Cheikh Ahmadou Bamba. En communication on appelle cela, la recherche d’alliés.
Cette recherche d’alliés est d’ailleurs apparue dès les premières communications lorsqu’il répondait au ministre Bamba Ndiaye et à M. Sidy Lamine Niasse. Il a, pour la première fois et publiquement, proclamé son allégeance au mouridisme. Durant toute cette nouvelle communication, l’appel aux mourides est constant et se traduit trivialement par : Je suis attaqué parce que je suis un des vôtres ; défendez-moi !
Il s’est ensuite focalisé sur son principal adversaire politique, en l’occurrence le président Macky Sall car personne d’autre ne pourrait être son alter ego dans ce débat ; il est allé jusqu’à affirmer que le Khalife général des tidianes est manipulé. Tous ceux qui se sont élevés contre ses propos blasphématoires ne l’ont pas fait parce qu’ils sont musulmans, mais parce ce sont des aspirants au «ndogou» présidentiel ou parce qu’ils n’ont pas le niveau pour le comprendre. Fortement contrarié par ce crime de lèse-majesté, il est allé jusqu’à insulter en mettant en cause la légitimité de la naissance de certains de ses contradicteurs et en se cachant encore une fois derrières des versets coraniques. Sacré Idy ! Chassez le naturel, il revient au galop. Ce sont ces mêmes versets qu’il avait convoqués pour répondre à certains frères de son ex-parti, le Pds, dont le fondateur fut traité dans un passé récent, d’«ancien spermatozoïde et futur cadavre».
M. Idrissa Seck a encore raté une bonne occasion de se taire d’autant plus que le porte-parole de son parti, M. Diouf, avait fait une bonne communication qui pouvait lui servir de porte de sortie, mais comme le dit l’adage, l’habitude est une seconde nature.
Au total, il faut lire cette lettre attribuée à sa défunte mère par M. Idrissa Seck, mais de laquelle suinte, à toutes les ponctuations, sa mégalomanie légendaire, pour savoir jusqu’où il est prêt à aller pour devenir le cinquième président du Sénégal. Il faut cependant, de grâce, immédiatement la déchirer. Cette lettre a le tranchant d’une lame de rasoir sur le tissu de la cohésion sociale. Au Sénégal, nous sommes arrivés à créer une nation dans nos diversités ethnique, religieuse et confrérique. Les noms transcendent les ethnies et les religions. Les dignitaires des familles maraboutiques sont tous parents et parfois cousins. C’est là une richesse à ne pas dilapider. Il y a des limites à ne pas franchir pour de simples ambitions présidentielles.
Dr Massirin SAVANE
Membre du Secrétariat Exécutif
And Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme/Authentique (Aj/Pads/A)