Aux hommes politiques de rester sur le terrain politique.
C’est le message que Buuba Diop lance aux politiques. C’était, hier, en marge de la présentation des recommandations du colloque de 2017 sur le thème : «prévenir les extrémismes par le dialogue et la solidarité». Une façon d’appeler à l’apaisement dans la polémique qui enfle ces temps ci entre hommes politiques et chefs religieux.
«Chacun prend des risques. Quand un politique se lance dans un débat sans maitriser l’ensemble des conséquences, bonjour les dégâts. Vous prenez un gros risque. Parce qu’il y a des débats exégétiques. Il faut être philologue (spécialiste de l’étude historique des textes, Ndlr), linguiste, historien pour s’engager dans ce débat», précise d’emblée Buuba Diop, professeur de civilisations à l’Ucad et membre de la Société civile. C’était ce mardi en marge de la présentation des actes et recommandations du colloque, tenu en décembre 2017 sur le thème : «Prévenir les extrémismes par le dialogue et la solidarité», initié par le Fondation Konrad Adenauer, autour d’un Ndogou (repas pour rompre le jeûn au Sénégal, Ndlr). M. Diop était chargé de faire une présentation, titrée : «L’utilisation des textes religieux dans les batailles politiques et idéologiques».
C’est la raison pour laquelle il «conseille aux hommes politiques de rester sur le terrain politique». Car, prévient l’ancien médiateur de l’Université, «dans le terrain religieux, il y a des gens qui sont experts. Il faut faire attention».
Interpelé en revanche sur l’attitude des religieux qui abordent la politique, le Professeur d’Histoire des civilisations dit que «les religieux qui font la politique, dès fois, ils n’arrivent pas à mobiliser parce que, au fond, le choix des populations est clair. Cela ne va être sur des références religieuses, mais sur la base des résultats concrets sur le terrain. Est-ce que vous réglez les problèmes existentiels, concrets, de nourriture, de maison ? C’est sur cette base que les gens vont voter».
Buuba Diop a montré que le religieux ne peut pas toujours compter sur ses coreligionnaires ou fidèles en donnant en exemple Léopold Sédar Senghor, premier Président du Sénégal. «On a eu un premier Président chrétien. Vous savez comment Senghor a fait pour gagner ? Les marabouts ont voté pour Senghor contre Lamine Gueye qui était musulman. C’était sur la base des discours. Lamine Guèye a été, en un moment, le porte-parole des quatre communes. Il a élargi la citoyenneté mais Senghor avait ratissé les campagnes avec son discours ‘Barigo Diouné’», rappelle-t-il. En réitérant par ailleurs qu’ «il faut être réaliste, car les gens suivent sur la base de problèmes concrets. Il ne faut pas se faire d’illusion».
Les religieux ne sont pas exclus, mais il y a des conditions à remplir. «S’ils n‘ont pas de forme d’organisation, des médias puissants. Si vous ne réglez pas ces deux problèmes vous allez vous casser la figure», prévient-il.
Dans son analyse, le professeur d’histoire des civilisations a rappelé que tous les débats sur les religions naissent dans des contextes sociaux déterminés et que la politique est un autre mode de gestion des affaires de la cité. «La religion, c’est un rapport de l’être humain avec son environnement écologique, social, politique, économique. Le problème c’est de savoir comment faire la part des choses. De faire en sorte qu’on soit d’accord sur l’objectif de coexistence. C’est cela le débat», indique l’un des rédacteurs des Assises nationales.
Il remonte le passé pour montrer le rapport entre la politique et religion. «Chez les Chrétiens, il y a la théorie de la libération, chez les Musulmans, il y a des passages du Coran qui sont utilisés pour libérer l’individu. Il y a des passages qu’on peut prendre pour justifier le statu quo. L’islam, c’est une religion, c’est aussi la politique. Mais le rapport des religions avec la politique peut être nuancé».
Concernant le christianisme, l’historien dit qu’«il est né dans un contexte où le rapport du chrétien avec la politique était un peu plus complexe». D’ailleurs souligne-t-il, «c’est l‘Etat romain qui a sévi contre les premiers chrétiens. Il y avait un moment où les empereurs, étant devenus chrétiens, ont eu des tendances autoritaires, anti hérétiques. Cela déteint aussi sur la dynamique des religions».
Dans tous les cas, affirme-t-il, «il y a des choix à faire. Si vous prenez des passages très conflictuels, vous allez appeler les gens à s’entretuer», déduit-il. Mais selon l’ancien médiateur de l’université, «l’être humain a une capacité, c’est de prendre des dynamiques positives».
Emile DASYLVA