Un Sénégalais de 31 ans a reconnu lundi devant un tribunal de Dakar avoir reçu de l’argent de membres de l’Etat islamique (EI) et de Boko Haram, affirmant toutefois avoir ignoré leur appartenance aux deux groupes jihadistes.
Le procès, le premier de cette ampleur au Sénégal, s’est ouvert le 9 avril et entre cette semaine dans une phase décisive avec l’interrogatoire des deux principaux prévenus. Il concerne 29 personnes, dont trois femmes, poursuivis notamment pour “actes de terrorisme” et complot visant à l’instauration d’une base jihadiste par la réalisation d’attentats qui auraient en particulier visés des intérêts français.
Après l’interrogatoire de 27 premiers prévenus, Makhtar Diokhané, alias Abou Anwar, a comparu lundi. Il est accusé d’avoir joué un rôle pivot entre Boko Haram et des Sénégalais présents dans des fiefs de Boko Haram au Nigeria. Le principal prévenu, un imam connu de Kaolack (centre du Sénégal), Alioune Ndao, devrait être interrogé dans le courant de la semaine.
M. Diokhané, marié à trois épouses et père d’une fille, est apparu lundi souriant à la barre, en boubou blanc et barbe légère. Il a affirmé être allé au Nigeria pour enseigner le Coran, à la suite d’un contrat avec un Sénégalais alors basé en Arabie Saoudite, Moustapha Diop, qui devait lui payer 1.500 euros par mois. Il a ajouté que M. Diop lui avait donné 65.000 euros avant son départ pour le Nigeria, début 2015 selon l’accusation, mais affirmé avoir ignoré que son contact était membre de l’EI comme le soutient la justice sénégalaise.
“Deux éléments de Boko Haram se présentaient régulièrement pour vous remettre votre salaire”, lui alors dit le président du tribunal, Samba Kâne.
“Je ne savais pas que c’était des gens de Boko Haram. Je n’avais pas de relation avec le chef de Boko Haram (Abubakar Shekau). Je ne le connaissais pas. Je n’ai recruté personne pour aller au Nigeria”, s’est défendu M. Diokhané.
Mais il a reconnu avoir reçu six millions de nairas (12.000 euros) d’Abubakar Shekau, dont la moitié devait, selon lui, servir à financer le rapatriement de Sénégalais, tandis que l’autre moitié était un don en sa faveur. “Je ne sais pas pourquoi il m’a donné cet argent”.
Il a aussi expliqué avoir rencontré Abubakar Shekau pendant plusieurs heures pour aider à faire sortir du Nigeria des Sénégalais en difficulté après “avoir été abusés” en venant dans ce pays. “Je devais faire quelque chose pour eux parce que je suis sénégalais comme eux”.
Depuis l’ouverture du procès, plusieurs prévenus ont affirmé avoir séjourné dans les bases de Boko Haram pour notamment y “approfondir leurs connaissances coraniques”. Ces prévenus sont “des combattants”, selon l’accusation.
L’insurrection de Boko Haram dans le nord-est du Nigeria a fait plus de 20.000 morts et 2,6 millions de déplacés depuis 2009. Le groupe frappe également dans les pays voisins: Tchad, Cameroun et Niger.
Ces prévenus ont dit au tribunal avoir contacté M. Diokhané pour intercéder auprès de M. Shekau afin de retourner au Sénégal, certains d’entre eux expliquant avoir reçu des fonds par l’intermédiaire notamment d’une de ses trois épouses, dont deux comparaissent à ses côtés.
Makhtar Diokhané a par ailleurs reconnu avoir reçu sur son téléphone portable un projet, devant être financé par l’EI, visant à instaurer un Etat islamique au Sénégal. “Les Français étaient les cibles prioritaires de ce projet” qui comportait “des attentats-suicides” contre des “bâtiments administratifs, banques et casernes militaires”, a affirmé M. Diokhané.
Mais il a expliqué avoir reçu ce document parce qu’il était membre d’un forum sur l’islam et assuré n’avoir jamais adhéré à ce projet, qui prévoyait également un coup d’Etat en Gambie afin de permettre à ses promoteurs de s’étendre ensuite dans les pays voisins comme le Sénégal.
Makhtar Diokhané a été interpellé en novembre 2015 au Niger à la suite d’une affaire de fausse monnaie puis remis au Sénégal.
Avec Seneplus