CONTRIBUTION
Dans la stratégie de la communication politique, l’avidité incline inexorablement à des lapsus et à des dérives de toutes sortes. Le henné sur les honorables mains de la Première dame a donc fait incursion dans le défilé du 04 Avril commémorant le 58e anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance. Heurtant la pudeur de la conscience commune, la télévision nationale a focalisé la caméra sur ce produit ordinaire que toutes les femmes sénégalaises appliquent avec soin et discrétion sur leurs mains laborieuses. Le message qu’on a voulu faire passer est que nous avons aujourd’hui une Première dame foncièrement sénégalaise. «Je suis comme vous» : c’est le message que la Première dame qu’elle-même a voulu délivrer à ses sœurs en exposant de façon ostentatoire son henné (elle a bien fait de la cacher par la suite). Mais ce qu’on a oublié c’est que soit la Première dame est une institution ; et elle ne mérite pas une instrumentalisation aussi ridicule, soit elle ne l’est pas ; et ses mains n’ont rien à faire dans un défilé du 04 Avril.
Le paradoxe de la communication politique, c’est qu’elle réduit parfois la conscience en simple chose : la valeur morale d’une personne, sa posture intellectuelle ainsi que ses sentiments sont ossifiés sous forme d’une image figée. La télévision est un moyen de publicité, elle enlève dès lors à la simplicité et à l’authenticité leur véritable nature. Le contact direct avec les populations et le mode de vie sobre de la Première dame auraient suffit pour la faire connaître comme sénégalaise pétrie des mêmes qualités que les authentiques femmes sénégalaises. C’est dire donc que lorsque la fête de l’armée et de la jeunesse devient une occasion pour faire la promotion de la «sénégalité» de la Première dame, on a dépassé les limites de la tempérance et de la décence républicaine. Le charme et la dignité d’une Première dame sont, dans tous les pays, un moyen et un décor dans la stratégie de communication d’un régime, mais il y a des circonstances qui ne s’y prêtent guère. La fête de l’indépendance d’une nation est l’occasion d’une communion de l’armée avec le peuple, d’une fusion de toutes les différences pour sublimer la nation et l’éterniser. Quand la nation se fête, c’est l’effacement des individualités, l’État lui-même n’a ici de sens que comme représentation physique de la nation.
Le problème de la communication à outrance, c’est qu’elle ne fait plus de distinction entre le dedans et le dehors, l’intime et le public, le naturel et l’artificiel. La folklorisation d’une fête aussi prestigieuse et solennelle trahit une conception très superficielle qu’on a de la nation. Pour une nation tout ce qui concourt au culte de la personnalité est un danger, un virus qui corrompt son unité et sa transcendance éternelle.
Alassane K KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal