CONTRIBUTION
Dans la mythologie romaine, Minerve, autre nom d’Athéna, était la déesse de la sagesse et de la connaissance, symbolisée par la chouette, un oiseau qui ne prend son envol qu’à la tombée de la nuit. Cette nuit qui marque l’instant où l’esprit prend conscience de ses limites. C’est pourquoi le président Senghor, écoutant le chant de Minerve, rendit le pouvoir le 31 décembre 1980, pour disait-il, «ne pas être président à vie». La jonction entre la connaissance (il est agrégé de grammaire et écrivain) et la sagesse, fit naître l’étincelle qui allait le propulser dans les annales de la grande Histoire comme étant le premier président africain à avoir quitté le pouvoir volontairement, surtout en ces périodes troubles et sombres des dictatures, guerres civiles et partis uniques. Le Sénégal en sera auréolé advitam eternam.
On a espéré et à juste titre que ses successeurs se feraient un devoir de ne pas faire moins et de maintenir haut et vivant le flambeau. Hélas, mille fois hélas. Son dauphin Abdou Diouf, écrasé par la personnalité et le rayonnement international de son mentor, ne rêvait que d’une chose : sortir de l’ombre où le maintenait, par-dessus tout, sa personnalité effacée et sans charisme. Il voulait lui aussi briller comme le soleil, mieux, il voulait être soleil à la place du soleil. Voilà pourquoi, dès son accession au pouvoir, il entreprit une vaste politique de désenghorisation qui jetait les bases de l’ingratitude et de l’aveuglement.
«Plus rien ne sera comme avant», claironnait-il sans arrêt, comme pour se convaincre lui-même. A l’arrivée, tout fut pire qu’avant, car Abdou Diouf n’avait ni la sagesse de reconnaître les réalisations de son prédécesseur et les consolider, ni les connaissances pour bâtir sur les ruines de ce qu’il détruisait. Socialiste, mais d’obédience nihiliste, il plaça son règne sous le signe de l’immobilisme et de l’inertie. Vingt années de pouvoir pour revenir, tête basse et le regard fuyant nous apprendre, dans un aphorisme qui valait aveu d’échec et de renoncement, que «ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin». En vérité, jamais il ne trouvera ledit chemin.
Il finit naturellement par se couper de la réalité et de son peuple, avouant même ne pas savoir le prix d’un kilo de riz alors que les Sénégalais mouraient de faim. Du haut de l’arbre où il s’était retranché, il fit fi des conseils de l’oiseau de Minerve qui lui chuchotait de ne pas se présenter aux élections de l’an 2000, et tira ce qui devait être sa dernière salve : «Je ne scierai pas la branche sur laquelle je suis assis». Ce fut le tronc qu’il scia et sa chute fut mémorable.
Abdoulaye Wade ne fit pas mieux. Pourtant, rarement chef d’Etat aura suscité autant d’espoir de la part de ses concitoyens. Malheureusement, l’homme à l’ego surdimensionné, omniscient et omnipotent, se lança corps et âme dans une autodestruction inexplicable pour tout esprit rationnel, surtout qu’il avait en main tous les leviers pour améliorer le sort de ses compatriotes. Economiste, on attendait de lui une gestion saine de nos finances et une bonne gouvernance qui soulagerait les populations de la misère et de la précarité. Au contraire, il se jeta dans la bamboula et se mit à dilapider l’argent comme s’il lui brûlait les mains.
Juriste, on a cru qu’il mettrait l’accent sur le respect de la constitution, des lois, la liberté d’expression. Or jamais que sous Wade, nos lois n’ont été aussi bafouées, allant jusqu’à envisager d’être remplacé par son fils Karim. Mathématicien, on l’a cru partisan de la logique et de l’ordre. Il se révéla tellement dissipé et brouillon qu’on finit par dire qu’il clignote à gauche et tourne à droite. La sagesse et la constitution voulurent qu’il ne se présentât pas aux élections de 2012. Son ego surdimensionné le convainquit du contraire. Résultat, plutôt que de partir par la grande porte comme un seigneur, il sortit par un trou de souris.
L’âme, nous dit Alain, c’est ce qui refuse d’abandonner quand le corps a horreur, ce qui refuse de boire quand le corps a soif, ce qui refuse de prendre quand le corps désire, ce qui refuse de frapper quand le corps s’irrite, ce qui refuse de fuir quand le corps tremble. Le total refus, c’est la sainteté, l’examen avant de suivre, c’est la sagesse.
Alexandre le Grand, à la traversée d’un désert, reçoit un casque rempli d’eau. Il prit le casque, remercia, regarda ses soldats et versa l’eau par terre. Il ne pouvait pas partager ce peu d’eau et ne voulait pas non plus boire seul et laisser ses hommes mourir de soif. Cette grandeur d’âme, si elle est la marque des grands esprits, doit être un viatique pour tout chef d’Etat. Ne pas détourner l’argent du peuple même si on rêve de s’enrichir, ne pas mettre ses opposants en prison même si on ne veut plus les entendre, ne pas réprimer même si on est en colère, dialoguer quand on a envie de soliloquer, pardonner quand on peut punir.
En ce jour de fête nationale Monsieur Sall, en ce jour de souvenir, et de commémoration, en ces heures de méditation et de sérénité arrachées à l’effervescence et aux tumultes de la vie politique, on formule le vœu que l’oiseau de Minerve s’envolera de son nid pour venir se poser sur vos épaules afin de vous faire entendre raison. Sous votre magistère, tout ce pour quoi nous nous sommes battus, a été foulé au pied. L’opposition morcelée, la société civile laminée, la justice assujettie, la liberté d’expression muselée.
Seulement, il y a quelque chose qui échappera toujours à votre pouvoir corrosif : l’esprit du peuple sénégalais. Demandez à Diouf ou à Wade si besoin.
Aussi Monsieur Macky,
écoutez l’oiseau de Minerve
avant que le peuple ne s’énerve.
Serigne Mbacké NDIAYE
Ecrivain