CONTRIBUTION
Aujourd’hui, l’inquiétude, l’émoi, l’angoisse et l’anxiété ont envahi toutes les chaumières du pays. Tous les Sénégalais de toutes les couches sociales, de toutes conditions s’interrogent sur ce qui est en train de se passer dans leur cher pays. Un pays qui s’est toujours prévalu d’être celui de la téranga, de la paix, de l’hospitalité et de la convivialité. Les populations, tant des villes que des zones rurales, sont confrontées au phénomène de l’insécurité et à une vague inédite de violences sans précédent qui semblent remettre en cause la paix sociale dont nous nous vantons.
1 – QUID DE LA NOTION DE SECURITE ?
La sécurité est définie comme «un état tranquille qui résulte de l’absence réelle de danger», ensuite «un état confiant et tranquille d’une personne qui se croit à l’abri du danger». Nous avons exprimé ici de manière simple et accessible la double dimension de la sécurité : un état, c’est la dimension objective et un état d’esprit qui traduit un sentiment, c’est la dimension subjective. Cette dernière peut être liée ou non à une situation objective. A ces deux dimensions, il faut ajouter une troisième non moins importante. En effet, le vocable sécurité renvoie non seulement à un état d’esprit (tranquillité d’une personne qui se croit ou se sent à l’abri) et à une situation concrète (qui résulte de l’absence de danger), mais aussi à une organisation, c’est-à-dire un ensemble de mesures matérielles et humaines prises pour assurer et garantir la protection des personnes et des biens. Ainsi donc, être en sécurité n’est pas un état naturel. Il s’agit d’une situation construite (il faut y consacrer des moyens) et fragile (un danger pouvant surgir et ébranler le sentiment de tranquillité). Sécurité et insécurité sont indissociablement liées.
L’insécurité, à partir de la définition faite de la sécurité, serait également un état (tout ce qui met en péril, que le risque soit réel ou non, la sécurité) et un champ d’intervention (celui de la lutte contre les atteintes à son intégrité dont un individu est ou risque d’être victime de la part d’un tiers). Pour l’heure, il faut reconnaître que l’inquiétude est grande et légitime et les questionnements ainsi que les interrogations si prégnants qu’ils portent même sur notre sécurité ontologique ; c’est-à-dire la confiance de la plupart de nos compatriotes dans la continuité de leur propre identité et dans la constance des environnements d’action sociaux et matériels. Et il est important de signaler que le sentiment de fiabilité des personnes et des choses, si essentiel à la notion de confiance, est à la base du sentiment de sécurité ontologique. Paul Valery disait que «l’ordre déplaît à l’homme mais le désordre lui fait désirer la police ou la mort». C’est vous dire toute l’importance et la centralité de la sécurité dans la vie des hommes.
Au-delà de l’émotion, de l’émoi et de l’effet de sidération, il faut oser poser le vrai débat, le vrai problème, la question essentielle. Où se situent les responsabilités ? Celle de la société elle-même dans la manière de gérer les relations interpersonnelles de ses différentes composantes ? Et quelle est celle de l’Etat dans la présente situation qui lui donne l’occasion et l’opportunité de montrer, de démontrer et de prouver sa réelle capacité à prendre sérieusement en compte et en charge les préoccupations majeures des Sénégalais, notamment, leurs besoins sécuritaires ? En effet, une des missions essentielles de l’Etat est d’assurer et de garantir, sur l’ensemble du territoire national, le respect des règles de droit, la protection des libertés publiques et la tranquillité des citoyens. Ce rôle fondamental de l’Etat est affirmé avec force dans la constitution qui consacre la sacralité et l’inviolabilité de la personne humaine.
Pour assurer, assumer et exercer ses prérogatives régaliennes, l’Etat s’appuie sur les autorités administratives et judiciaires ainsi que sur les forces de défense et de sécurité. Au plan opérationnel, la protection des personnes et des biens est confiée, à titre principal, à la Police et à la Gendarmerie qui, dans le cadre des textes qui les régissent respectivement, sont investies des missions suivantes : Assurer la protection des personnes et des biens ; lutter contre la grande délinquance, la criminalité transnationale, la cybercriminalité, le trafic de drogue ; protéger le pays contre les menaces extérieures, notamment le terrorisme ; maintenir l’ordre public. Ainsi ces missions assignées à la Police et à la Gendarmerie, assorties des moyens humains et matériels, sont une des formes de réponses apportées par l’Etat face au phénomène de la délinquance multiforme et multidimensionnelle.
Ainsi, apparaît-il clairement que par rapport à la crise sécuritaire qui prévaut actuellement, la première responsabilité engagée est celle de l’Etat chargé de la mission régalienne exclusive de veiller, d’assurer et de garantir la protection des personnes et des biens de la malveillance secrétée par la société elle-même. Toutefois, il me semble nécessaire de faire la part des choses, notamment de faire le distinguo net entre les notions de violences et d’insécurité. Il est bien vrai que la frontière qui les sépare, est tenue et qu’on les retrouve souvent dans la même sphère de représentation. Une étude étiologique des deux phénomènes fait apparaître à la fois des causes communes et des causes particulières et singulières propres à chacun des phénomènes.
La série de violences meurtrières dont la presse s’est fait largement l’écho amplificateur, n’a jamais été enregistrée dans notre pays en une si courte période. Des meurtres qui ont profondément ébranlé plus d’un et dont la fréquence et l’absurdité ont conduit certains concitoyens à y trouver des explications irrationnelles, mettant ces comportements dans le cadre de pratiques rituelles et sacrificielles pour l’atteinte d’objectifs inavoués ou du moins inconnus. Cependant, il y a lieu de reconnaître que la plupart de ces violences, notamment celles domestiques, et de ces meurtres échappent le plus souvent au champ d’intervention des forces de sécurité, tout simplement parce que commis dans des circonstances de lieu ou de temps hors du domaine de surveillance et de contrôle de la Police et de la Gendarmerie.
C’est le lieu d’éviter l’amalgame qui consiste à considérer toute violence, tout meurtre comme constitutif d’insécurité. De par leur fréquence, leur ampleur et leur violence quelquefois gratuite, ces meurtres ont plus qu’ému les populations qui, à l’occasion, ne pouvaient que légitimement interpeller l’Etat à travers ses structures en charge de la protection des personnes et des biens. Toutefois, il y a lieu de reconnaître que certaines violences domestiques auraient pu être évitées si la police avait fait montre d’anticipation et de prévention. C’est le rôle fondamental assigné aux Asp qui avaient ou plutôt qui ont pour mission d’investir les quartiers.
En tout état de cause, il faut nécessairement mener la réflexion et faire des études sur ces déviances comportementales qui alimentent le débat sur l’insécurité. Il s’agit aussi de responsabilités sociétales évoquées supra. Le premier élément d’analyse sur l’insécurité, porte sur les effectifs des forces de sécurité, plus particulièrement sur la police qui ne dispose pas des ressources humaines nécessaires et suffisantes pour remplir correctement ses missions de protection des personnes et des biens. La police sénégalaise, depuis des décennies, connaît un déficit structurel de ses effectifs qui ne permet guère d’assurer un taux d’encadrement sécuritaire, conformément aux standards et normes internationaux qui exigent 1 policier pour 1 000 habitants en tant de paix et 1 policier pour 500 habitants en période de troubles et de crise.
Concernant la police, il faut refuser l’amnésie collective pour évoquer la responsabilité du régime socialiste qui a eu à procéder à la radiation définitive de 1 247 membres des forces de police en 1987. Auparavant, dans le cadre d’une mesure provisoire, tous les 6 250 agents qui constituaient l’ensemble des forces de police du Sénégal avaient été radiés. Ce qui veut tout simplement dire qu’à un moment donné de son histoire, le Sénégal est resté sans police. Et plus grave encore, toujours habitées par la rancœur et la rancune envers les policiers, les autorités de l’époque ont, pendant une période de 6 ans, refusé à la Police de procéder à des recrutements, creusant davantage le déficit en personnels. Et pendant ce temps, la Gendarmerie nationale recrutait. C’est ce qui explique aujourd’hui que les effectifs de la Gendarmerie soient supérieurs à ceux de la Police.
Le deuxième élément d’analyse porte sur le fait que le Sénégal n’a vraiment pas misé sur une véritable politique de prévention comme levier essentiel dans la lutte contre la délinquance. Pour preuve, notre pays ne dispose jusqu’à présent pas d’un véritable plan de prévention et de lutte contre la délinquance. Pourtant, l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan national de prévention et de lutte contre la délinquance figure parmi les missions de l’Agence d’assistance à la sécurité de proximité (Asp). Cependant, ayant compris la nécessité d’une politique préventive et d’un besoin de proximité, la Police nationale avait initié le concept de Police de Proximité à la fin des années 90. Il a été compris que la proximité était une aspiration profonde de la population et que la police devait y répondre en trouvant les moyens d’une organisation efficace. Il fallait renouer les liens entre police et population, réinsérer la police dans le tissu social local et redonner à la police une autorité véritable au quotidien.
D’abord concept, la notion de police de proximité devient une doctrine d’emploi qui s’articule autour de 3 objectifs et de cinq modes d’action :
1 – Trois objectifs doivent être recherchés par la police de proximité
- Savoir anticiper et prévenir les difficultés pour ne plus seulement réagir à l’événement
- Connaître son territoire et être connu par ses habitants
- Répondre au mieux aux attentes de la population par un dialogue constant et une écoute attentive
2 – Pour atteindre ces objectifs, il faut promouvoir de nouveaux modes d’action au nombre de cinq :
- L’action policière est territorialisée
- Le principe de la responsabilisation
- Un contact permanent avec la population
- L’exercice de la plénitude des missions de police
- Le service rendu à la population doit être une préoccupation constante
Ces cinq modes d’action ne sont ni alternatifs ni hiérarchisés. Ils ne constituent pas un libre-service où chacun viendrait y trouver ce qui l’intéresse : ils sont indissociables et doivent être appliqués partout avec une égale détermination.
Seulement, après plus de 20 ans de pratique sur le terrain, la politique de la police de proximité n’a jusqu’à présent pas été évaluée de manière sérieuse et approfondie pour en tirer les enseignements nécessaires en vue d’une réorientation qui me paraît obligatoire et nécessaire. La police a mis l’accent sur la proximité géographique au détriment de la proximité sociétale, voire affective. C’est ce qui explique les résultats mitigés de la police de proximité.
Il y a urgence et nécessité à réhabiliter la prévention comme mode opérationnel privilégié. Prévention et proximité doivent désormais constituer les deux leviers sur lesquels s’appuieront les forces de sécurité (Police, Gendarmerie) pour une meilleure prise en charge et une gestion efficace des besoins sécuritaires des populations. Une telle option a d’ailleurs été à la base de l’initiative de Monsieur le Président de la République de promouvoir le concept de gouvernance sécuritaire de proximité qui devrait apparaître comme une véritable rupture paradigmatique dans la politique sécuritaire. Et c’est dans la même foulée qu’a été mise en place l’Agence d’assistance à la sécurité de proximité (Asp).
Malheureusement, il a été constaté que l’Agence d’assistance à la sécurité de proximité en tant que structure d’appui dédiée exclusivement à la prévention et à la proximité, n’a jamais su ni pu exécuter correctement sa mission, encore moins atteindre les objectifs qui lui ont été fixés par l’Etat. La faute à une direction générale qui n’a pas su mettre en place une bonne organisation ni une structuration fonctionnelle judicieuse, efficace et pertinente. De même qu’elle n’a pas su définir de manière claire, précise et cohérente des orientations stratégiques qui auraient dû permettre d’atteindre certains objectifs. Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que, quelque part, l’Etat a failli en ne mettant pas suffisamment de moyens à la disposition de l’agence. L’agence pendant longtemps a fonctionné avec un budget de survie.
L’Agence d’assistance à la sécurité de proximité a échoué dans l’atteinte de son objectif tel que défini dans le cahier de charge. En effet, les Asp ont pour mission essentielle et fondamentale d’être en relation permanente et en contact régulier et quotidien avec les populations, notamment les relais sociaux de base que sont les délégués de quartier, les associations sportives et culturelles, les guides religieux, imams et responsables d’église, les organisations communautaires de base, etc. Ils doivent exercer une mission de surveillance générale dans les quartiers et servir d’interface entre les populations et les forces de sécurité. Malheureusement, ils ont été dédiés à d’autres tâches. Aujourd’hui les populations les considèrent comme des agents répressifs et non comme des éléments de réconfort devant cultiver de bons rapports de proximité susceptibles d’induire la confiance si nécessaire pour amener les citoyens à reconsidérer leur regard et leur perception sur les forces de police afin d’asseoir une collaboration franche, sincère et productive. Une réorientation stratégique de la mission de l’Agence me parait un impératif. Le cas échéant, cela exigera une redéfinition tactique dans l’utilisation des Asp.
2 – QUE FAIRE ?
Au-delà des dénonciations, des indignations, des récriminations, des complaintes et des plaintes, il s’agit de faire des préconisations et de proposer des pistes de solutions susceptibles d’amener les pouvoirs publics à prendre les mesures énergétiques à même d’inverser et d’infléchir de manière sensible et notable la tendance.
- a) – Les effectifs
L’Etat doit faire de l’augmentation des effectifs une priorité. Aussi me paraît-il judicieux de procéder au recrutement de 1 000 policiers chaque année et ce, pendant 10 ans d’affilée. Une telle programmation permettrait de réduire le déficit et de s’approcher d’un taux d’encadrement correct. Il faut reconnaître les efforts que l’Etat est en train de faire en procédant à des recrutements massifs au niveau de tous les corps en vue d’une résorption progressive du déficit en personnels. Il faut asseoir une gestion prospective des ressources humaines.
C’est l’occasion de proposer un changement de politique au sujet des opérations de maintien de la paix. Il faut privilégier l’envoi de retraités suivant certains critères et procéder au redéploiement des éléments actifs dans les différentes unités opérationnelles à l’intérieur du pays. De même qu’il me paraît judicieux de procéder au retrait immédiat des éléments en garde statique au domicile de certaines autorités. C’est l’occasion de dire que plus de la moitié des autorités qui disposent de policiers, n’en ont pas droit. Il faut revenir à l’orthodoxie ; il faut éviter de privilégier la sécurité des autorités au détriment de celle de la grande masse des populations.
- b) – Les moyens
Comme mesure urgente et obligatoire, l’Etat doit procéder à une augmentation plus que sensible des moyens d’intervention des forces de police engagées dans la lutte contre la criminalité. Il s’agit d’abord de réparer immédiatement tous les véhicules en panne dont certains sont immobilisés pendant longtemps pour de petites pannes. Ensuite, il faudra augmenter le parc automobile, avec l’acquisition de véhicules d’intervention adaptés, notamment des tout-terrains pour la banlieue. Un effort très conséquent est en train d’être fait dans ce sens avec une Direction du budget et du matériel très consciente et au fait des enjeux de l’heure qui demandent, pour ne pas dire exigent une adaptation permanente de la logistique. Toutes les brigades de recherches du Sénégal doivent être dotées d’au moins un véhicule banalisé.
La police sénégalaise, à l’instar de la gendarmerie, doit aujourd’hui disposer d’hélicoptères et de drones pour une surveillance efficace des territoires relevant de sa compétence sans discontinuité. Une telle logistique permettrait d’assurer une meilleure surveillance générale, notamment les zones à haut niveau de criminalité, une rapidité d’intervention et la capacité d’une projection en profondeur pour les unités d’élite. Il est évident que tout ceci aura comme conséquences une augmentation du niveau de dotation en carburant de tous les services. De même qu’elle assurera une meilleure gestion et une surveillance plus efficace de la circulation routière, notamment les nombreux points de conflits en zone urbaine.
- c) – La création de nouvelles unités
La création de nouvelles unités s’impose comme un impératif. L’implantation de commissariats de police doit être accélérée. Pour un maillage efficace, il faut programmer l’implantation d’au moins un commissariat de police dans toutes les capitales départementales. De même qu’il faudra implanter un groupe opérationnel dans chaque capitale régionale. Il faut une remise en cause des orientations des politiques publiques initiées par l’Etat. Tout récemment, le chef de l’Etat a évoqué la construction d’un nouveau palais. Cela n’est point pertinent par rapport aux préoccupations et besoins des populations. On semble privilégier le confort personnel au détriment de la tranquillité publique.
- d) – La révision des modes opératoires
Des changements doivent être apportés dans les modes opératoires de la police, notamment les rafles et les opérations ‘’coup de poing’’ qui font souvent l’objet d’une médiatisation à outrance. Les nouvelles orientations dans ce domaine doivent aller vers une plus grande responsabilisation des commissariats de police dans leur zone de compétence. Il s’agit de permettre aux différents commissaires de police chefs de service d’exercer la plénitude de leurs fonctions et de leurs responsabilités territoriales. Et pour accomplir correctement leurs missions, ils doivent disposer de l’effectif minimum nécessaire et adéquat, des moyens y afférents et de la prise d’initiative. Ils organiseront les rondes, les patrouilles et les rafles en fonction des nécessités du moment et des impératifs de l’heure. Il faut multiplier ce qu’on appelle dans le jargon policier les «descentes » qui, par le passé, ont prouvé leur efficacité ; de même qu’il faudra revisiter certaines techniques de surveillance de la voie publique telles que l’ilotage et le ‘’va et vient’’. Toutefois, une plus grande autonomie et responsabilisation doit exclure tout cloisonnement de leurs activités. Une dynamique de collaboration doit toujours prévaloir entre les différents commissariats, notamment ceux qui sont mitoyens et qui partagent souvent le même bassin d’apparition du même phénomène délinquant.
Les RG doivent davantage être mis à contribution dans la lutte contre la délinquance. Ils doivent jouer un rôle déterminant dans la prévention.
La police doit revoir l’utilisation des auxiliaires dans certaines interventions. Ils n’ont souvent ni l’expérience, ni l’expertise nécessaire parce que tout simplement n’étant pas des professionnels. Il faut bannir l’emploi des Asp dans les opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre lors des manifestations comme le prouvent les captures d’images à la télévision, non seulement c’est contraire aux dispositions statutaires régissant les Asp, mais c’est exposer la vie des jeunes non formés à cet effet.
La police de proximité a été un choix stratégique de la Police pour une meilleure prise en charge des besoins sécuritaires des populations. Il y a lieu aujourd’hui de procéder à son évaluation. Compte tenu de la situation qui prévaut aujourd’hui, il me semble nécessaire de reconsidérer le concept pour une meilleure doctrine opérationnelle. La police de proximité est un mode opérationnel qui cadre parfaitement avec les nouvelles orientations fixées par la loi d’orientation sur la sécurité intérieure (Losi).
Il faut aller au-delà de la police de proximité qui ne peut être aujourd’hui, compte tenu des mauvais paradigmes sécuritaires qui s’imposent partout dans le monde, qu’une variante d’une vision plus large, plus globalisante et plus holistique qu’est la sécurité de proximité. Il faut également noter l’absence d’une plateforme de concertation entre les forces de sécurité (police-gendarmerie) et l’Agence d’assistance à la sécurité de proximité. Il n’y a pas une véritable synergie de stratégie pour la mise en œuvre d’une politique de prévention efficace. Les Asp sont employés à des taches qui ne correspondent souvent pas à ce à quoi ils sont destinés, quelque fois à la lisière de l’illégalité. Aujourd’hui, les populations se demandent où sont les Asp censés investir les quartiers. Ils doivent opérer une immersion communautaire pour une meilleure surveillance territoriale. Contre toute logique, les Asp sont déployés, moyennant rémunération, dans les quartiers des riches au détriment des quartiers pauvres abandonnés à eux-mêmes. Là où justement on viole et tue allégrement. La politique menée est censitaire, discriminatoire et exclusive, créant une rupture d’égalité des citoyens devant la charge publique. C’est d’autant plus dangereux que cette forme de politique crée des enclaves sécuritaires et laissent les quartiers pauvres à la merci des délinquants et des criminels.
1 – Une synergie des stratégies et des interventions des forces de sécurité
Il faut optimiser les méthodes et les moyens d’intervention et pour ce faire, les services de sécurité intérieure doivent assurer entre eux un échange permanent d’information et mener des opérations conjointes. Les unités de gendarmerie et les services de police doivent mutualiser leurs moyens matériels et logistiques et établir des programmes communs d’entraînement et de formation de personnels ainsi que des stages d’état-major. Enfin la Police et la Gendarmerie doivent procéder au rapprochement de leurs fichiers et de leurs moyens de communication avec des possibilités de basculement. Dissiper la sourde et forte concurrence aux résultats que se livrent la Police et la Gendarmerie.
2 – Synergie de la chaîne pénale
Il faut une véritable solidarité entre les différents maillons de la chaîne pénale qui va de l’agent de police jusqu’au juge d’instruction, en passant par le Procureur de la République. Il arrive souvent que les policiers pensent ne pas suffisamment bénéficier du soutien de l’autorité judiciaire.
3 – La Loi d’orientation sur la sécurité intérieure (Losi)
Tenant compte de l’insécurité qui prévaut présentement et qui suscite moult commentaires de la part des populations, Monsieur le Président de la République avait demandé à ce que le projet de loi sur la sécurité intérieure soit rapidement examiné en Conseil des ministres pour son adoption et sa présentation à l’Assemblée nationale pour le vote. Cette loi réorganise toute l’architecture institutionnelle de la sécurité intérieure. Elle comporte des dispositions pertinentes dont l’application contribuera à réduire la criminalité. Le vote de la loi d’orientation sur la sécurité intérieure (Losi) s’impose comme une urgence.
Malheureusement réagissant plutôt qu’elles n’agissent, les autorités décident sans analyser et versent souvent dans l’émotionnel. Il n’y a pas point de logique ni de suivi dans leur décisions souvent pertinentes. En matière de sécurité il faut éviter de gérer par à-coup. Le sort réservé au projet de la loi d’orientation sur la sécurité intérieure semble traduire un manque de vision sécuritaire manifeste de la part de l’Etat. La Losi évoquée au Conseil des ministres, était une très bonne initiative. Elle aurait permis de mettre en place un cadre global d’action et des instruments, notamment des dispositifs territoriaux qui servaient de plateformes d’échanges, d’informations et de concertations entre les différents acteurs sociaux, au niveau local, intéressés et concernés par le phénomène de l’insécurité, de la délinquance et de la criminalité. Malheureusement, à l’instar d’autres bonnes idées, la Losi est resté en plan.
4 – Motivation des policiers
Il ne sert à rien d’acquérir des moyens matériels et logistiques adéquats, de créer des infrastructures pour l’exécution correcte des missions si les personnels qui en ont la charge ne sont guère motivés. Comme disait un auteur français, «il faut avoir l’enthousiasme de son métier pour y exceller». Cela revient à poser les conditions de vie des policiers qui, à mon avis, doivent être davantage motivés. Les sources de motivation sont diverses et nombreuses. On peut citer entre autres : l’amélioration de leurs émoluments, la nécessité de les protéger davantage dans leurs fonctions. Au niveau statutaire, il est temps de concrétiser certaines dispositions légales, notamment le bénéfice de la pension militaire pour les agents de police. Et pour tous les membres des forces de police, l’intégration de la charge de police dans la pension de retraite. Aujourd’hui, les policiers touchent une pension de retraite très en deçà de ce que gagnent leurs homologues des autres corps, bien qu’il faille reconnaître que quelques efforts ont été faits dans ce sens.
Il y a lieu de réfléchir sur la possibilité de décorer les policiers lors de la fête de l’indépendance du 4 avril. C’est un moment solennel et privilégié où la nation entière manifeste sa reconnaissance à certains de ses dignes fils qui ont œuvré pour la paix, la stabilité du pays en fournissant moult sacrifices. Les policiers méritent une telle reconnaissance.
5 – Actions concrètes à mener et d’application immédiate
- Démantèlement de tous les débits de boissons clandestins sur l’ensemble du territoire national
- Démantèlement de tout le réseau de trafic et de vente illicite de produits pharmaceutiques sans aucune exception territoriale
- Opérations «coups de poing» sans répit dans toutes les zones criminogènes identifiées comme à haut niveau d’insécurité ou constituant des repères de délinquants
- Imposer le port du casque sur toute l’étendue du territoire national
- Bannir le surnombre et la surcharge dans les transports en commun
- Contrôle des étrangers
6 – Ethique, déontologie et discipline
Un constat s’impose : la discipline a déserté les rangs des forces de police. La rigueur disciplinaire n’est plus de mise. C’est peut-être une affaire de génération parce qu’il est fait échos de la même complainte au sein des autres forces de défense et de sécurité. Les autorités hiérarchiques doivent s’employer à renverser la tendance pour que les uns et les autres comprennent que la noblesse du métier réside dans l’observation rigoureuse et stricte des règles d’éthique et de déontologie. S’il est un droit de réclamer de meilleures conditions de travail et de vie, il est également un devoir de se soumettre aux obligations morales et professionnelles.
Les mesures techniques et professionnelles évoquées supra ne suffisent pas à elles seules pour venir à bout du mal. Il faut nécessairement la mise de réponses sociétales, notamment pour lutter contre les diverses formes de violences qu’on ne peut pas imputer exclusivement à la défaillance des forces de sécurité. Les violences domestiques sont hors du champ de contrôle et de surveillance de la police.
Le socle de la sûreté est dans la citoyenneté elle-même, c’est-à-dire un ensemble de devoirs et droits indissociables. On ne peut mettre un policier derrière chaque Sénégalais. La police ne peut se substituer au lien social. C’est pourquoi l’éducation à la citoyenneté doit être en amont de toutes politiques de prévention.
7 – Réponses sociétales
Il faut renforcer davantage le contrôle social et raffermir les liens distendus entre les individus, notamment les enfants et les instances de socialisation. Par rapport aux réponses sociétales, je ne m’y étendrai pas outre mesure d’autant que plusieurs spécialistes en ont parlé avec la pertinence nécessaire, notamment des sociologues, psychologues, religieux et autres experts. Une majeure partie de la population pense qu’il y a lieu de privilégier les principes axiologiques et de revitaliser certaines valeurs morales, certaines pratiques traditionnelles, en tenant bien évidemment compte des changements irréversibles induits par la prégnance de la modernité. Les Japonais ont su allier valeurs traditionnelles et révolution technologique.
La précarité économique, l’exclusion sociale ainsi que certaines formes de discriminations sont à l’origine de beaucoup d’actes de criminalités. L’Etat doit assumer ses fonctions régaliennes de fournir aux populations un environnement favorable à leur épanouissement, à l’abri du besoin et de la peur. Le Mahatma Gandhi disait que «la pauvreté est la pire des violences», c’est dire toute la primauté à accorder au bien-être et à l’aisance économique. Il faut lutter contre la précarité, bannir l’exclusion sociale et mettre l’homme au centre des préoccupations de nos gouvernants.
La plupart du temps, le sentiment d’insécurité est alimenté par des faits et des situations objectifs qui en constituent la véritable source. Ce n’est pas un phénomène à négliger pour en faire un épiphénomène sécuritaire. Le sentiment d’insécurité doit être considéré et appréciée de la même manière que l’insécurité en tant que telle. Il ne faut surtout pas en faire, un ersatz. Il faut combattre le sentiment d’insécurité au même titre que l’insécurité elle-même.
Le sentiment d’insécurité se nourrit de la peur qui l’alimente. La peur dépend plus directement d’un risque encouru, surtout du risque d’agression. Son installation durable et sa grande et large propagation peuvent avoir des conséquences très nocives. Et c’est cela que, du reste, les terroristes ont compris, qui font de la peur un élément fondamental et paradigmatique de leurs actions. Francis Bacon disait que «rien n’est pire que la peur elle-même» et Franklin D. Roosevelt de renchérir : «La seule chose qu’il faut craindre c’est la peur elle-même». La peur est à la base du sentiment d’insécurité qui, à un certain niveau, peut entraîner ce que l’on appelle la victimisation indirecte, c’est-à-dire un changement de comportement, d’habitude et même de mode de vie pour éviter de s’exposer. Prenant une certaine ampleur, cela peut aboutir au traumatisme du corps social ou d’une partie de celui-ci. C’est pourquoi la lutte contre l’insécurité est tout aussi importante que celle menée contre le sentiment d’insécurité qui, comme cela a été évoqué dans les lignes précédentes, se nourrit à la fois de facteurs objectifs et subjectifs.
Aujourd’hui le service public de la police, comme tous les autres services publics, doit s’adapter pour répondre à la délinquance de masse qui s’est développée depuis quelques années et qui pourrit la vie de nos quartiers et maintenant de nos villages. Il faudra nécessairement apporter des changements notoires et notables dans la relation entre l’institution policière et les populations, trop nourrie encore de méfiance, de défiance et d’incompréhension réciproques. Il faut développer la proximité comme mode de contact entre police et population. En effet, la proximité brise le rempart de l’altérité et installe la confiance si nécessaire au partenariat et à la compréhension mutuelle. Une fois installée, la confiance permettra de s’attaquer facilement à l’insécurité et au sentiment d’insécurité et de les infléchir, à défaut de les faire disparaître, à un niveau d’existence correct.
Il faut toutefois reconnaître qu’au Sénégal, on n’a pas encore atteint le niveau de menace et le seuil d’alertes susceptibles d’installer la panique, mais pas la polémique. Cependant, compte tenu de la survenance de certains comportements inédits et de la récurrence de beaucoup d’actes relevant de la criminalité, les populations sont parfaitement en droit d’évoquer l’insécurité et de manifester subséquemment un sentiment d’insécurité. En effet les fonctions de sécurités sont de trois ordres : Protéger, rassurer, et pacifier. Elles sont cumulatives et leur défaut ne peut que susciter un sentiment d’insécurité.
Il n’y a pas de responsable exclusif à désigner du doigt. C’est une responsabilité partagée et collective avec évidemment une grande part imputable à l’Etat qui a la mission régalienne d’assurer et de garantir la sécurité des personnes et des biens. Pour l’heure, il s’agit de fournir les efforts nécessaires en terme de renforcement des capacités humaines et matérielles des forces de sécurité et de s’évertuer à une parade efficace et à prendre les mesures adéquates et durables qu’exige la nécessité d’une meilleure prise en compte et d’une gestion efficace des besoins sécuritaires des populations. A tout prendre, il s’agit de réduire l’insécurité et de dissiper le sentiment d’insécurité.
Dans la lutte contre l’insécurité, policiers et gendarmes doivent descendre de leur piédestal et faire montre d’humilité et de modestie pour considérer les populations comme de véritables partenaires sociaux d’égale responsabilité dans la gestion de la chose sécuritaire. Et c’est à cette condition seule que celles-ci pourraient s’investir volontairement et spontanément dans la production de sécurité qui, aujourd’hui par rapport à l’immensité et à la complexité de la tâche, doit être une œuvre collective d’engagement citoyen de toute la communauté. La notion d’un monopole et la violence légitime par l’Etat est dépassée, cela relevait d’un fétichisme institutionnel qui ne correspond plus à la réalité. La sécurité est devenue une co-production impliquant des facteurs hybrides.
Aux populations, je demande davantage de soutien aux forces de sécurité et à celles-ci une plus grande ouverture et davantage d’accessibilité pour donner un sens à la nécessaire collaboration et au partenariat avantageux qui doit exister entre elles.
La sécurité doit être érigée en priorité parce que, sans elle, rien ne peut être apprécié à sa juste valeur. Cheikh Anta Diop disait que «la sécurité précède le développement» et l’ancien président François Mitterrand de renchérir : «La sécurité sans le développement, c’est des prémices, mais le développement sans la sécurité est un sursis». Vivement une sécurité bien assurée, garantie et pérenne pour que les fruits du développement puissent être savourés. Dans la tranquillité, la sécurité et la paix. La sécurité a un coût, quelquefois exorbitant, mais elle n’a pas de prix. Le sacrifice en vaut la peine au nom de l’intérêt supérieur du peuple.
Boubacar SADIO
Commissaire de police divisionnaire
de classe exceptionnelle à la retraite
Ancien Directeur général adjoint de la police nationale
e-mail : [email protected]