CONTRIBUTION
Le commentateur chinois Zheng Ruolin de la chaîne de télévision chinoise Cgtn, certainement pour répondre au concert de commentaires désobligeants émis par la plupart des médias occidentaux suite à l’élection du Président Xi Jinping à la présidence à vie, a posté sur les réseaux sociaux une petite capsule pour édifier l’opinion sur la conception chinoise du pouvoir. Il nous éclaire sur les conditions nécessaires et les qualités requises pour y accéder. Il taille ainsi en pièces les clichés, présentés comme universels, de la démocratie à l’occidental. Ecoutons-le : «L’Assemblée nationale populaire chinoise a le pouvoir de réviser la Constitution et aussi celui d’élire le président de la République ainsi que le Premier ministre. C’est sur ce dernier point que les politologues français expriment souvent leurs réserves. Ils sont persuadés que l’élection est juste formelle car il y a un seul candidat, proposé d’ailleurs par le Parti communiste chinois. Ils ne comprennent pas notre conception concernant le leader (dirigeant) de l’Etat et ils ne comprennent pas, non plus, la situation de la Chine.
«Pour nous chinois, nous estimons que la direction d’une grande Nation, d’un grand pays, doit avoir certaines qualités indispensables : la loyauté, l’honnêteté, la responsabilité, un esprit de grande envergure, la fermeté, la vertu, l’intelligence et de l’expérience, en plus de la compétence. Par exemple, pour élire le candidat au poste de président de la République, en Chine, il faut avoir été gouverneur de deux grandes provinces. Car, les Chinois pensent que la gouvernance d’un pays, c’est comme un médecin soignant un patient. On ne peut pas élire n’importe qui par une élection au suffrage universel pour guérir une maladie. Il faut d’abord sélectionner des experts qui ont la compétence nécessaire et puis on vote parmi l’un d’entre eux pour devenir le médecin désigné. Cette façon de sélectionner le leader (dirigeant) de l’Etat est liée à la tradition de notre civilisation.
«Dans un pays comme la France, on élit une personne dans une élection au suffrage universel direct. Mais en Chine, il s’agit plus d’une sélection que d’une élection. Une sélection effectuée par le Parti communiste chinois ressemble en réalité au système de sélection traditionnel des mandarins par l’examen. Tout un chacun, qu’il soit paysan, commerçant ou lettré pouvait devenir mandarin. Un mandarin de premier rang même. Cela serait équivalent aujourd’hui au rang de ministre, voire celui de Premier ministre, s’il a réussi à son examen. Aujourd’hui, un politicien chinois, voulant devenir candidat au poste de président de la République doit, lui aussi, passer un examen. Avoir géré au moins deux grandes provinces, et avoir obtenu de bons résultats, est justement l’une des conditions indispensables. Cette sélection est très sévère, très longue et très rigoureuse. Une fois le candidat sélectionné ce sera au tour de l’Assemblée nationale populaire de voter.
«La Chine est un grand pays. Nous sommes un milliard trois cents millions d’habitants. Avoir un pouvoir central fort, efficace et juste est très important. La Chine n’est pas un pays dominé par les puissances financières. Le pouvoir politique en Chine est la garantie du bon fonctionnement de l’Etat. Ce n’est pas comme l’Allemagne, par exemple, qui peut vivre sans gouvernement pendant presque 100 jours. Comment est-ce possible ? (…) J’imagine souvent ce qui serait le résultat potentiel si on devait organiser une élection au suffrage universel direct pour élire le président dans notre pays. Aujourd’hui qui aurait la chance de gagner ? Le président actuel ou Jackie Chan ? Je ne suis pas sûr du résultat ! Mais avec le double système, sélection puis élection, Jackie Chan n’aura aucune chance de devenir président de la Chine ! Vous allez me dire : et Ronald Reagan ? Mais justement ! La Chine n’est pas les Etats-Unis. La Chine ne sera jamais les Etats-Unis.»
Cette longue citation est un véritable cours de droit comparé entre deux systèmes qui ne reposent pas sur les mêmes paradigmes et ne s’inspirent pas des mêmes sources ! Cela se comprend aisément car, les Etats-Unis comme Etat indépendant ne date que de 1776… Fille naturelle de l’Europe, qui elle a produit de grandes et prestigieuses civilisations, les Usa aujourd’hui prétendent pourtant gouverner le monde. Mais cette domination se construit essentiellement sous la menace d’une supériorité militaire et non par le rayonnement des idées et le jaillissement d’une pensée féconde et généreuse. Même la culture y est mercantilisée au point d’être ravalée au rang de loisir. D’ailleurs, «l’entertainment» est une des premières industries productrices de revenus des Usa … Mais quelle âme, quelles valeurs véhiculent les industries culturelles américaines à travers le monde ? Jugez vous-même !
En face, la Chine est forte d’une histoire pluri millénaire. Elle a développé, au fil des siècles, une capacité de surmonter ses difficultés en ne «comptant d’abord que sur ses propres forces». Depuis plus de 4 000 ans, le peuple chinois a élaboré un corpus de valeurs spirituelles et morales qui constituent le socle inaltérable de l’identité chinoise. Même le communisme dont les principes ont été acclimatés par Mao Tse Toung, n’est considéré que comme une modalité de gestion de l’Etat. Il est conçu comme perfectible, mais toujours au prisme des valeurs de civilisation chinoises. Et toujours au mieux des intérêts de la Nation chinoise. La Chine se paie ainsi le luxe de devenir la plus grosse usine du monde. Elle envahit le monde entier de produits conçus ailleurs, mais qu’elle fabrique à des prix imbattables ! Du gadget le plus insignifiant au matériel hi-tech le plus sophistiqué, la Chine développe toute une gamme de capacité de production allant du pire au meilleur. Et voilà ce qui devrait inspirer l’Afrique !
Héritiers de valeurs ancestrales et de civilisations fortes, nous les avons délaissées au profit de prêt-à-penser produits par une sous-culture occidentale. Celle-ci, destinée essentiellement à nous dompter et à nous apprivoiser, est une forme de castration de nos intelligences. La traite des esclaves comme la colonisation, symboles les plus achevés de la pire barbarie humaine, semblent avoir brisé nos ressorts. Incapables de surmonter nos peurs pour conquérir nos libertés et penser au mieux de nos intérêts, notre continent est à la merci de tous les prédateurs du monde. Le pire c’est que ce sont des «élites» africaines bon teint qui, aujourd’hui, font le sale boulot de détrousseurs de nos peuples au profit de pays et d’intérêts qui nous ont apportés plus de malheurs que de bonheur. Et si on faisait les comptes ?
Le Sénégal va célébrer la cinquante-huitième édition de son accession à la souveraineté internationale le mois prochain. Depuis la douloureuse parenthèse de l’éclatement de la Fédération du Mali, suivie de la crise politique majeure de 1962, notre pays navigue… Bon an, mal an. Dirigé par des élites fascinées par le modèle occidental, et plus particulièrement français, de gouvernance, nous n’avons pas su faire de l’indépendance un outil de libération des intelligences et des énergies créatrices de notre peuple. Confinés dans les frontières héritées de la colonisation, nous traînons les séquelles douloureuses de la balkanisation. Un projet conçu pour nous neutraliser par la division ! Sénégalais, une partie de ma famille est mauritanienne, une autre malienne, une autre guinéenne… Dans une vraie vie et pour ressembler vraiment à mes ancêtres ante-coloniaux, je serais en fait un Ouest-Africain ! Comme la majorité de nos compatriotes.
Les vrais chantiers post-indépendances de reconstruction de nos identités, et de mise en place d’espaces de fraternité sous-régionale, qui vont bien au-delà des organismes économiques et politiques existants, n’ont pas été abordés sous ce rapport. Il serait temps. Si nous voulons véritablement changer le destin de l’Afrique !
Ces tâches urgentes imposent, dans notre pays, la quête d’une vraie alternative aux alternances successives qui ont montré leurs limites. Elles se sont réduites, en effet, à un jeu de chaises anglaises à l’intérieur d’une classe politique fossilisée dans un discours conflictuel entre acteurs vieillissants et peu inspirés. La vieillesse, ici, étant moins relative à l’âge qu’à une longue pratique de méthodes éculées de complots et de trahisons selon le sens du vent… La fin de l’ère de la politique politicienne et alimentaire est un donc un chantier prioritaire. Hâtons-la, pour mettre notre pays dans une autre orbite au service d’une Afrique nouvelle décomplexée et conquérante.
Par la force des réseaux sociaux, les frontières physiques sont déconstruites. Il est même possible de mettre en place des outils sophistiqués d’action politique et citoyenne à dimension sous-régionale ! Il faut simplement faire attention à ce que le web-activisme ne soit piégé par des intérêts stratégiques qui seraient inspirées par la même volonté de domination qui, depuis des siècles, poursuit son projet sans désemparer. Des organisations politiques, à la dimension de l’Uemoa, pour commencer, doivent pouvoir naître, coordonner leurs actions, aller à la conquête du pouvoir dans chaque pays et se donner comme objectif de gommer les frontières physiques coloniales. Après, on pourra rêver d’une fédération des Etats-Unis d’Afrique et d’un Gouvernement continental ! Je vois d’ici nos enfants et petits-enfants avec un passeport africain !
«Oser lutter, oser vaincre», avait dit Mao Tse Toung aux Chinois… Regardez ce qu’est devenue la Chine depuis sa révolution de 1949… Rien n’est donc impossible à des peuples sachant se doter de dirigeants honnêtes, sérieux, visionnaires et travailleurs. Il nous reste à inventer les mécanismes vertueux par lesquels nous pourrions les identifier, les choisir et les désigner ! Au moins, nous savons ce qu’il nous reste à faire !
Amadou Tidiane WONE