CONTRIBUTION
Beaucoup d’hommes et d’analystes politiques avaient acquis depuis 2000, la forte conviction que le Sénégal est à l’abri de lendemains d’élections chaotiques, comme c’est souvent le cas en Afrique. Depuis la première alternance démocratique au Sénégal, on vote le dimanche et le lundi suivant, on va tranquillement au travail. Les élections législatives de 2017 ont montré cependant que le Sénégal n’est pas tout à fait à l’abri de violences postélectorales, car le tripatouille du fichier électoral et du vote des citoyens, semble encore possible chez nous.
Si en 2000, le Sénégal a connu sa première alternance démocratique sans coup férir, c’est incontestablement grâce d’une part au code électoral consensuel de 1992 et d’autre part, à la nomination d’une personnalité neutre et crédible au ministère de l’Intérieur et à la création de l’Onel, une institution chargée de superviser les élections. Ainsi, en 2000, toutes les conditions étaient réunies pour des élections transparentes, libres, démocratiques et crédibles, aux résultats incontestables. Très bien élu en 2000, le président Wade n’a pas fait moins que son prédécesseur pour tous les scrutins organisés sous son magistère. A la demande pressante de l’opposition, il a toujours confié l’organisation des élections à une personnalité neutre et crédible. Toujours pour une meilleure supervision et un contrôle des élections, il avait transformé l’Onel en Cena. Ainsi, en 2007 et en 2012, les Sénégalais ont voté le dimanche et travaillé le lundi suivant, sans violence et sans contestation du verdict des urnes.
Pour les élections de 2019, les signes de lendemains d’élections violents sont réunis. En effet, sans code électoral consensuel et la nomination d’une personnalité neutre en charge de l’organisation des élections, les germes d’une contestation des résultats de l’élection présidentielle de 2019 s’accumulent de jour en jour. A cela s’ajoute le manque de confiance de l’opposition à la Cena, qui n’a pas été à la hauteur de sa mission lors des législatives de 2017. Le président Macky Sall ne devrait pas faire moins que ses prédécesseurs pour consolider notre démocratie. Pour l’intérêt du Sénégal et pour la postérité, il doit favoriser le dialogue entre acteurs politiques de tous les camps afin d’obtenir comme les présidents Diouf et Wade, un code électoral consensuel permettant d’aller aux élections dans un climat serein et apaisé. Le président Sall a tout à perdre s’il ne parvient pas à organiser un dialogue politique avec l’opposition significative autour du code électoral.
Concernant l’organisation de l’élection présidentielle de 2019, le président Macky Sall a l’obligation de faire mieux que ses prédécesseurs. Sans mettre en doute la compétence du ministre Aly Ngouille Ndiaye, le chef de l’Etat a intérêt à nommer une personnalité neutre comme ses prédécesseurs pour organiser le prochain scrutin. Il est perdant dans le bras de fer actuel entre son pouvoir et l’opposition. La nomination d’une personnalité neutre pour organiser l’élection présidentielle est maintenant une tradition bien établie au Sénégal que tout président de la République a le devoir d’honorer. Le président Macky Sall n’a pas le choix, il doit accéder à la revendication de l’opposition en choisissant au plus vite, un ministre de l’Intérieur neutre pour organiser la présidentielle de 2019. Si le bras de fer entre le pouvoir et l’opposition continue, le président candidat sera le plus grand perdant. Sans doute des collaborateurs pourraient l’encourager à ne rien céder dans ce bras de fer avec l’opposition. Suivre de tels collaborateurs, c’est prendre le risque de se mettre les électeurs sur le dos et ainsi hypothéquer sérieusement, sa réélection en 2019 qui est loin d’être acquise. Le président Sall ne doit pas oublier que si les présidents Diouf et Wade ont perdu le pouvoir, c’est entre autres à cause de leurs entourages.
D’autres analystes politiques plus autorisés que moi l’ont déjà dit, certains collaborateurs du président Macky Sall, des jusqu’au-boutistes incompétents et sans base, sont des obstacles à sa réélection. C’est le cas de beaucoup de ministres et autres promus, très impopulaires et grands manipulateurs, qui gagneraient à s’inspirer du Premier ministre qui allie flexibilité, discrétion, écoute et efficacité.
Depuis 2000, les Sénégalais ont montré plus d’une fois qu’ils sont politiquement matures et qu’aucun homme politique ne peut les embrigader ou les berner. Les politiciens de tous bords doivent savoir que nos compatriotes sont très attachés à leur démocratie pour laquelle ils ne toléreront aucun recul. Tout président de la République a l’obligation de consolider notre système démocratique ou de perdre le pouvoir quelles que soient ses réalisations économiques et sociales. Les Sénégalais sont tout aussi attachés à la démocratie, à la bonne gouvernance, au respect des valeurs républicaines qu’aux réalisations économiques et sociales. Ils sont insensibles à la manipulation, à la communication mensongère et à la diabolisation des adversaires.
La maturité des sénégalais a atteint un niveau tel que, le 24 février 2019, ils vont choisir librement, en connaissance de cause, le président de la République du Sénégal pour 5 ans. En suivant les échanges virulents entre le pouvoir et l’opposition, les Sénégalais ont l’impression que les politiciens veulent jouer avec leur pays. Hier, le président Macky Sall refusait qu’un ministre de l’Intérieur partisan organise la présidentielle de 2012, aujourd’hui, il veut confier l’organisation de l’élection présidentielle de 2019 à un ministre partisan. A quel jeu joue le pouvoir ? L’opposition d’aujourd’hui dénonce l’arrêté de l’ancien ministre de l’Intérieur M. Ousmane Ngom. Génitrice de ce document quand elle était au pouvoir, on ne comprend pas l’attitude de cette opposition en 2018. Qu’est-ce qui a changé pour que le Pds et ses alliés s’attaquent à un texte qu’ils avaient validé quand ils étaient aux affaires ?
Le pouvoir et l’opposition doivent faire leur introspection et arrêter de se jouer des Sénégalais. Il faut que nos hommes politiques nous respectent et qu’ils assument leurs choix, indépendamment de leur position par rapport au pouvoir. On ne peut pas accepter que nos politiciens soient pour quand ils sont au pouvoir et contre quand ils sont dans l’opposition, pour une même affaire. C’est un jeu qui met à nu soit leur immaturité politique soit leur manque de sincérité quand ils parlent aux Sénégalais.
Pr Demba SOW
Ecole Supérieure Polytechnique UCAD