CONTRIBUTION
Monsieur le Ministre, cela fait cinq mois que vous avez été nommé à ce poste. Quelle est la durée de votre période de grâce ? Un ministre de la Santé d’un régime qui est là depuis six ans, a-t-il droit à un délai de grâce ? Les syndicats y ont répondu en déterrant la hache de la lutte. Si les syndicats éternuent, c’est que leurs membres, les travailleurs du secteur de la santé et de l’action sociale pris individuellement sont enrhumés depuis longtemps. Tel est mon cas. Monsieur le Ministre, la politique de santé et de l’action sociale au Sénégal est malade. Conséquence, les structures sanitaires et sociales sont malades.
Carence importante en structures et travailleurs
Le Sénégal compte 35 hôpitaux, 98 centres de santé, 1 257 postes de santé. L’Oms recommande un hôpital pour 150 000 habitants. Autrement dit, les 35 hôpitaux couvrent 5 250 000 habitants sur les 15 millions d’habitants que compte notre pays. Que deviennent alors les 9 750 000 habitants ? Ils vont dans ces structures de santé et, du coup, la charge de travail est trop importante pour les sages-femmes sénégalaises dont chacune s’occupe de 2 500 à 2 684 femmes en âge de procréer au lieu des 300 recommandées par l’Oms. Ainsi au 19 février 2017, la région de Tambacounda avait besoin de 70 sages-femmes, 72 infirmiers et des médecins dans toutes les spécialités médicales. Au samedi 6 janvier 2018, il n’y avait ni chirurgien, ni pédiatre, ni anesthésiste ni gynécologue à l’hôpital régional de Tambacounda. Au 4 octobre 2017, l’hôpital de Matam était sans cardiologue, pédiatre, réanimateur et pharmacien. Au 4 août 2017, Kaffrine, Fatick, Foundiougne et Passy évacuaient leurs cas pédiatriques à Kaolack qui est la seule à avoir un pédiatre. La situation est la même dans la majeure partie des régions et départements.
Au 14 octobre 2016, le Sénégal était resté 5 ans sans recruter de médecins ophtalmologues. Au Sénégal le ratio est d’un médecin dentiste pour 100 000 habitants, ce qui est loin de la norme Oms de 1 médecin pour 10 000 habitants. Comment ne pas imputer les 361 décès néonataux sur les 694 enregistrés à Kaolack en 2015 et en provenance de Passy, Foundiougne, Kaffrine et Fatick à cette absence de pédiatre ? Comment accabler Dieu des 48 décès maternels enregistrés dans les structures sanitaires en 2017 à Kolda, du taux de mortalité de 89 pour 1 000 naissances à Sédhiou, des 80 décès maternels recensés à Thiès en 2016, des 4 femmes qui décèdent chaque jour en donnant la vie et des 30 autres qui souffrent d’affections handicapantes, des plus de 25 000 enfants (je dis bien vingt-cinq mille) qui meurent chaque année avant leur 5e anniversaire ? Monsieur le Ministre, pourquoi au lieu de 1 500 à 3 000 médecins n’avons-nous que 789 médecins, soit un déficit de 711 à 2 211 médecins ?
Cartes d’insuffisance des chances
Monsieur le Ministre, récemment, vos services ont crié victoire pour avoir «distribué» 50 006 cartes d’égalité des chances sur un objectif de 50 000 cartes. Pouvez-vous rassurer que la délivrance au faciès que l’on a notée au niveau des cartes d’identité biométrique, n’a pas cours au niveau des cartes d’égalité des chances ? Avec 10 500 albinos au Sénégal, 165 000 aveugles…, 885 000 de nos concitoyens atteints de handicap, pourquoi le Sénégal ne peut faire que 50 000 cartes ? Pourquoi, avec un nombre si réduit, ces cartes sont données indistinctement aux plus vulnérables des personnes atteintes de handicap comme aux personnes handicapées qui sont moins vulnérables que des personnes dites valides ?
Gestion anti-démocratique des structures de santé
Monsieur le Ministre, le 27 mars 2013, s’est tenu à partir de 10 heures 25 minutes, une réunion du Conseil d’administration (Ca) de l’hôpital régional de Sédhiou. Le Président du Conseil d’administration donne la parole au nouveau directeur (le deuxième de l’hôpital régional de Sédhiou) qui n’est là que depuis le 19 février 2013. Celui-ci pétrifie les administrateurs de l’établissement public de santé hospitalier de Sédhiou présents avec les révélations qu’il fait sur la gestion du deuxième directeur de l’hôpital. Aucune comptabilité matière pour la gestion du carburant trouvée sur place. Une dette de carburant de 999 506 F Cfa (le prix de 20 kits de césarienne qui, à l’époque, coûtaient 45 000 F Cfa l’unité ; c’est l’équivalent de 666 consultations en médecine) découverte et contractée de manière nébuleuse alors que l’ancien directeur disait n’avoir laissé aucune dette en partant.
L’ancien et premier directeur et le Chef de service administratif et financier (Csaf) auraient eu chacun un carnet qui leur permettait de prendre du carburant comme bon leur semblait. Du matériel de l’hôpital n’a pas été trouvé sur place. Par exemple, du matériel médical de l’Eps1 de Sédhiou a été trouvé à Dakar dans une entreprise dénommée Drp. Patrimonialisation par l’ancien directeur de l’ordinateur portable de la direction. Il a même fallu que le nouveau directeur aille le reprendre chez l’ancien directeur à Dakar. Deux rapports des ventes de la pharmacie sont produits pour une même situation. Un premier rapport faisant état de 18 millions de francs Cfa de chiffres d’affaires avec des prix de l’ancien directeur. Un second rapport, remettant en cause le premier, de 8 millions de francs Cfa de chiffres d’affaires. Entre les deux, un fossé de 125 % ! Existence d’une dette sociale (Ipres et Css) d’un montant de 2 700 000F Cfa. «Même le discours dur de l’ordinateur avait été vidé !» Rien n’avait été budgétisé ! Qu’a-t-on découvert d’autre ? Que nous a-t-on caché ?
Après avoir dénoncé cela, le deuxième directeur, durant le premier trimestre de l’an 2014, restera pendant plus de 10 jours sans verser les recettes de l’hôpital au compte de la Caisse nationale de crédit agricole (Cncas). Soit un montant compris entre 2 et 4 millions de francs Cfa. Ce deuxième directeur, pendant 16 mois, ne présentera aucun rapport financier trimestriel (art 23 décret n° 98-702 du 26 août 1998 portant organisation administrative et financière des établissements publics de santé) aux travailleurs dans un contexte de polémique sur l’utilisation du carburant de l’hôpital. Ce deuxième directeur lancera le «Projet : Travaux de réhabilitation des bâtiments de l’Eps de Sédhiou pour le compte de la direction». Le budget de la réhabilitation de trois bâtiments de l’hôpital régional de Sédhiou (d’un bâtiment administratif et soins bucco-dentaires ; d’un bâtiment Hospitalisation et d’un bâtiment Maternité) s’élève à 9 521 002 FCfa Ttc. L’ordre de service «prend effet à partir du 03 juin 2013».
Les travaux démarrent par une fausse note. Un déjeuner et des prières payés par l’hôpital sont organisés. Certains diront que cet argent dépensé, c’est des vétilles et en parler c’est pinailler. Mais il y a un hic. Quelques mois après, en novembre 2013, on vient demander un avenant de plus de 5 millions. En lieu et place d’une réception définitive ou provisoire. Le plus gros problème est que le Code des marchés publics n’a pas été respecté en matière d’avenant. Ce code, à son 5e chapitre et en son article 24, stipule que : « -1. L’augmentation ou la réduction des fournitures, services ou travaux résultant d’un ou plusieurs avenants ne doit en aucun cas dépasser 30 % du montant du marché initial après application des éventuelles clauses d’actualisation et de révision. 2. Lorsque la modification envisagée porte sur des quantités de travaux, fournitures ou services supérieures à celles fixées au paragraphe 1 du présent article, il doit être passé un nouveau marché. Il en est de même lorsqu’en cas d’avenants successifs, le montant du dernier avenant à conclure doit porter le total cumulé des avenants au-delà desdites limites.»
Dans le cas de la réhabilitation de l’hôpital de Sédhiou, nous avons à faire à plus de 50 % (beaucoup plus que les 30 % prévus) du montant du marché initial. Pourquoi le directeur de l’hôpital de Sédhiou n’a pas passé un nouveau marché ? Qu’en est-il dans les autres structures hospitalières ? Après avoir interpellé, alerté et dénoncé à l’interne en vain, j’ai informé l’opinion publique nationale de ces faits de gestion anti démocratique. Mon salaire ? Le ministère de la Santé, par votre prédécesseur, m’a affecté 3 fois en un mois. Depuis, je suis dans un service sans eau, ni électricité, ni toilette salubre, dans un bâtiment déclaré «menaçant de ruine» par les services de l’Etat. Et au même moment, le premier directeur de l’hôpital de Sédhiou est directeur de l’hôpital de Saint-Louis et le deuxième directeur de l’hôpital de Sédhiou est directeur de l’hôpital de Kolda où ils peuvent continuer leur besogne. Comment s’étonner alors de la grave crise qui prévaut dans nos hôpitaux ? Monsieur le Ministre vous devez dire si mon rapport sur la gestion de l’hôpital de Sédhiou est conforme à la vérité ou non.
Une action sociale politicienne
Monsieur le Ministre, l’actuelle directrice de la Direction générale de l’action sociale (Dgas) et son prédécesseur sont des médecins. Ceci est la cerise sur le gâteau du mépris gouvernemental en direction du travail social et de ses travailleurs sur lequel je reviendrai. Le gouvernement du Sénégal veut-il nous faire croire que, depuis 1960, il n’a pas formé de travailleurs sociaux ayant les compétences pour diriger cette direction ? De la même manière que cela ferait désordre de voir des gendarmes dirigés par un douanier et des policiers par un agent des eaux et forêts, de la même manière cette injustice dont sont victimes les travailleurs sociaux, heurte à tout point de vue.
Que faire ? (…) Monsieur le Ministre, tant qu’il n’y aura pas de gestion démocratique de nos structures de santé avec les travailleurs et les populations comme premier rempart en tant que vigies, sentinelles, sonnettes d’alarme…, le Sénégal ne sortira pas de ce système sanitaire et social profondément malade. Le peuple, celui qui n’a ni double nationalité, ni passeport diplomatique, doit être au cœur – d’amont en aval – du système par un contrôle populaire. La gestion démocratique, c’est aussi celle du personnel. Au nom de quoi, tel ou tel autre agent est affecté ou nommé à telle station ? Les enseignants ont leur miroir, les magistrats se battent légitimement pour l’indépendance de la justice avec des critères objectifs pour pouvoir affecter les magistrats. Le président de la République a dit être prêt à aller le plus loin possible dans la prise en charge des préoccupations des magistrats. Il est inacceptable que cette gestion anti démocratique des travailleurs de la santé et de l’action sociale qui ne bénéficient qu’aux politiciens et aux syndicalistes affairistes et carriéristes perdure.
Monsieur le Ministre, quand on donne 9 milliards de fonds politiques chaque année au président de la République, au président de l’Assemblée nationale, au président du Haut conseil des collectivités locales, qu’on attribue des salaires aux conjoint(e)s des diplomates, qu’on laisse l’impérialisme piller nos ressources…, il n’en restera pas suffisamment pour avoir suffisamment de structures et de travailleurs de la santé et de l’action sociale, de cartes d’égalité des chances, de budgets pour les différents programmes de votre ministère… Voilà pourquoi il y aura toujours très peu de ressources pour financer la santé. Et à partir de là, on peut dire que les 27 740 enfants de moins de 5 ans et les 1 460 femmes qui meurent chaque année au Sénégal d’infection respiratoire aiguë, de diarrhée, de grossesse ou de suite de grossesse ne meurent pas de la volonté divine. Ils meurent assassinés !
Guy Marius SAGNA
NB : Cette lettre a été déposée au bureau du courrier du ministère de la Santé et de l’Action sociale et enregistrée sous le numéro 1143.