CONTRIBUTION
Il y a quelques jours, j’ai été amené à évoquer devant des étudiants de l’Université de Dakar le parcours d’un Sénégalais exceptionnel, le président Mamadou Dia, signataire de notre indépendance en 1960. C’était à l’occasion du 9ème anniversaire de son décès. Je ne vous parlerai pas de lui. Je sais que vous le connaissez beaucoup mieux que moi puisque vous détenez les archives de cette période charnière de notre aventure nationale, auxquelles nous n’avons pas toujours accès. Ce jour-là, j’ai ressenti le besoin des étudiants de connaître le «Maodo», comme un clin d’œil de l’histoire. Ainsi, les efforts consentis depuis plus d’un demi-siècle pour travestir notre mémoire collective et en gommer les traces du père-fondateur de notre Etat, ont-ils été vains. Certes, Dia n’a aucune statue à son effigie. Mais son souvenir s’érige dans la conscience de la jeunesse. C’est David qui terrasse Goliath.
Quand vous irez à Saint-Louis, vous serez certainement fier de vous tenir devant la statue de Faidherbe. Et vous nous mépriserez peut-être pour cela. Mais pas trop, s’il vous plaît, car cette statue est une illusion : elle s’est déjà effondrée dans le cœur des millions de Sénégalais. Cependant, n’hésitez pas à le célébrer, Faidherbe. Car il a fait son travail, rasé au canon des villages entiers, kidnappé des enfants-otages, engrossé des jeunes filles, massacré des savants, brûlé de grandes bibliothèques et justifié ce carnage par la «petitesse des cerveaux des Noirs». C’est ainsi qu’il a «pacifié» la terre sénégalaise pour le plus grand profit des maisons de commerce françaises et des rois qui en étaient les commanditaires.
Je sais que mon propos serait délictuel chez vous. En effet, une loi française interdit d’évoquer la colonisation sans indiquer ses «bienfaits», notamment les routes qui ont été construites. Au Sénégal, la première route coloniale a été goudronnée autour de 1950, soit après 300 ans de colonisation. Et encore : elle reliait les ports de Dakar et… Rufisque. L’essentiel des routes dont nous aurions «hérité de la colonisation» ont été, en fait, réalisées à partir de 1957, sous l’égide du président Dia. C’est au cours de cette rencontre avec les étudiants que j’ai appris que les infrastructures administratives d’une ville comme Diourbel, que je croyais dater de la colonisation, sont aussi l’œuvre du maire Mamadou Dia.
Parler de Dia, ce n’est pas parler du passé. En l’an 2000, il a été l’un des acteurs de la première alternance démocratique de notre histoire, marquée par l’élection du président Abdoulaye Wade. Un autre bâtisseur que vos puissances d’argent ont vilipendé comme jamais. Un autre David coupable du crime – de lèse-majesté ? – d’avoir bousculé des situations de monopole héritées de la colonisation pour ouvrir l’économie sénégalaise à de nouveaux partenaires internationaux. Un autre David qui eut, comme Dia, la hardiesse coupable de remettre en cause des accords militaires et monétaires d’un autre âge. Tout a certes été fait, le ban et l’arrière-ban mobilisés, de gros moyens financiers et médiatiques déployés, pour l’évincer et l’humilier. Mais David a encore terrassé Goliath quand, en juillet dernier, des millions de Sénégalais sont sortis dans toutes les villes du pays pour l’accueillir et lui rendre hommage.
En 2012, on a sûrement sablé le champagne dans tous les châteaux de Goliath. L’espoir renaissait en effet pour les prédateurs. Je prendrai un seul exemple. Il existe un médicament essentiel pour les insuffisants rénaux qu’une maison française jouissant d’un monopole sur le Sénégal vend à 200 FCfa le comprimé. Au cours des années Wade, un appel d’offres international avait permis de l’importer d’Inde pour le vendre à 9 F le comprimé. Depuis l’alternance-restauration de 2012, ce dernier produit a fini par disparaître du marché. Une firme européenne a voulu le vendre à 10 F le comprimé. Elle a été obligée de le céder à 50 F pour amoindrir une «concurrence déloyale» à leur partenaire français.
On pourrait citer des milliers d’exemples de ce type dans tous les domaines d’activité. Partout, de simples coutumes – s’il existe des contrats écrits, publiez-les donc ! – enrichissent, sans cause économique, des milliardaires français et réduisent à néant tout espoir d’éradication de la pauvreté. Je ne parlerai pas des effets dévastateurs des Ape et du Franc Cfa que nos économistes ont fini de mettre au jour et dont les jeunesses africaines se sont emparées comme autant de raisons de leur engagement patriotique.
Vos collaborateurs vous ont certainement averti que le Sénégal a bien changé ces cinq dernières années et qu’un fort «sentiment antifrançais» y prédomine désormais. Il est exact que le débat sur les relations franco-sénégalaises habite toutes les conversations. Et que la colère est grande de voir les intérêts nationaux toujours sacrifiés au profit de quelques affairistes français. Mais vous ont-ils parlé, ces collaborateurs, de la boulimie de ces messieurs qui avalent tout, comme des hyènes restées affamées pendant 12 ans ? Cette boulimie est le meilleur propagandiste du programme patriotique que nous portons tous et que nous tentons de servir de notre mieux, dans l’opposition comme au pouvoir.
Enfin, voyagez-vous avec Nemo, votre gros chien noir ? Vous devriez, en hommage à Pierre Messmer de sanglante mémoire, grand massacreur des populations du Nord-Cameroun qui, lui, portait dans ses bras son gros chien noir pour recevoir les personnalités sénégalaises dans ce même palais, à Dakar, tenir en respect tous ces petits chiens noirs qui jappent contre les patriotes et dont nous savons bien qui les tient en laisse.
Voici donc ma pancarte : David étouffe dans son tête-à-tête tri-séculaire avec Goliath. Il s’est mis en marche. Rien ne l’arrêtera.
Mamadou Bamba NDIAYE
Ancien député
Secrétaire général du MPS/SELAL