CONTRIBUTION
Après une année de tourments infligés au peuple laborieux, de gouvernance exécrable, d’instrumentalisation de la justice, de violations graves des normes démocratiques, notre pays s’achemine – si les choses restaient en l’état – vers une période pré-électorale lourde de menaces pour la paix civile. 2017 a également été l’occasion de confirmer la rupture unilatérale, par le chef de l’Etat, du contrat de confiance conclu avec le peuple sénégalais. Cela a abouti à la non-tenue de l’élection présidentielle prévue en février dernier et au sabotage du processus de refondation institutionnelle, comme conséquences de la tragi-comédie référendaire du 20 mars 2016. Nous avons affaire à un régime en perte de légitimité, qui aura du mal à rempiler en 2019, à moins de confisquer, une nouvelle fois, le suffrage populaire, comme cela a été le cas lors des dernières législatives.
Sur le plan de la gouvernance politique, les citoyens sénégalais sont habités par un profond malaise du fait des scandales récurrents dans lesquels des militants et proches du chef de l’Etat sont cités. Les organisations de la société civile sont loin d’être rassurées par l’implication suspecte du frère du président dans la gestion de nos nouvelles ressources pétrolifères et gazières, sans parler des forts relents de népotisme qui entourent sa nomination à la Caisse de dépôts et de consignation. Ces pratiques peu vertueuses ont eu raison du processus de reddition des comptes, qui s’est transformé en redoutable arme pour liquider des adversaires politiques.
Une demande sociale plus forte que jamais
Se drapant du manteau usurpé d’Etat social, notre gouvernement vient de décréter, 2018, année sociale avec de manifestes arrière-pensées électoralistes. Mais il est de plus en plus évident aux yeux des citoyens sénégalais, que la trame de fond de cette politique prétendument sociale, est constituée d’effets de manche et de saupoudrage électoraliste.
Le coup de tonnerre de la panne de l’unique appareil de radiothérapie dont disposait notre pays est un exemple typique du hiatus entre les discours dithyrambiques sur les progrès fulgurants en matière de politique sanitaire d’un côté et la grande misère dans laquelle se débattent nos structures sanitaires, de l’autre. La couverture maladie universelle que certains assimilent de plus en plus à une «catastrophe médicale universelle», a fini de plomber le fonctionnement des structures sanitaires à cause des arriérés de paiement des factures échues, non honorées depuis plus d’un an. La situation n’est guère meilleure pour les mutuelles de santé auxquelles l’Etat a promis des subventions qui tardent à être décaissées. Rien d’étonnant alors, dans ce contexte délétère, qu’on puisse assister à des drames tels que celui dont a été victime l’infortunée Aïcha Diallo, à l’hôpital de Pikine, au mois d’octobre dernier ! Tant que la politique socio-sanitaire sera sous-tendue par des préoccupations politiciennes et populistes, on ne réussira qu’à désarticuler davantage le système sanitaire souffrant déjà d’un manque notoire de cohérence.
Quant aux bourses de sécurité familiale, elles ont été utilisées comme armes de chantage contre nos braves paysans, à l’occasion des dernières législatives. Leur extension à 100 000 nouveaux ménages renseigne sur l’accentuation de la pauvreté dans notre pays et l’absence de perspectives d’autonomisation des couches vulnérables. Enfin, les quelques succès du Pudc montés en épingle n’arrivent pas à masquer l’immense gap dans l’accès aux services sociaux de base.
Des institutions caporalisées
Durant cette année 2017, on a également assisté à une offensive en règle contre le maire Khalifa Sall et ses amis, dont les relations avec la direction du Parti socialiste se sont détériorées depuis les évènements du 5 mars 2016 ayant abouti au vote négatif au référendum du 20 mars 2016. Au-delà des arrestations arbitraires de nombreux hommes politiques du Parti démocratique sénégalais et de Taxawu Senegaal depuis l’accession du président Macky au pouvoir, la mainmise de l’Exécutif sur le pouvoir judiciaire est attestée par la complicité flagrante du Conseil constitutionnel dans le sabotage des dernières législatives et les débats houleux lors du récent colloque de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) sur l’indépendance de la Justice. S’y ajoutent les bisbilles au sein de la coalition au pouvoir portant sur les montants recouvrés par l’Etat, lors de la traque des biens mal acquis, qui a fini d’être complètement décrédibilisée.
La défiance populaire majeure contre le pouvoir yakaariste constatée lors du référendum de mars 2016, qui s’était traduite par un faible taux de participation, a été mal vécue par les dirigeants de la coalition Benno Bokk Yaakaar, qui ne pouvaient concevoir une défaite électorale aux législatives du 30 juillet 2017. C’est ainsi qu’ils élaborèrent une stratégie de manipulation du processus électoral avec une distribution sélective des cartes dans leurs fiefs électoraux, tout en empêchant les jeunes électeurs de voter (rétention).
Face au dévoiement du processus électoral, à la pesante chape de plomb et à l’atmosphère délétère au niveau de l’arène politique, les partis d’opposition les plus représentatifs se fixèrent l’objectif politique d’imposer la cohabitation à Benno Bokk Yaakaar, objectif largement à leur portée, comme on pourra le constater, à posteriori, au vu des résultats définitifs des élections législatives. Mais la grande coalition dénommée Manko Wattu Senegaal finira par imploser, à cause de tiraillements ayant trait à la tête de liste nationale.
Une action politique loin d’être désintéressée
Ces dissensions au sein de l’opposition sont révélatrices d’une des tares majeures de la classe politique sénégalaise consistant à mettre en place des coalitions ne reposant sur aucun socle programmatique solide, mais plutôt sur une philosophie de partage de privilèges et de prébendes. En outre, le foisonnement de listes lors des législatives a occasionné une absence de lisibilité du jeu politique, gênant considérablement la perception des enjeux sociopolitiques. Tout se passe, comme si l’écrasante majorité des acteurs politiques – de la majorité ou de l’opposition – cherchaient à s’affranchir de tout véritable contrôle populaire, afin de conduire des politiques publiques tournées essentiellement vers les desiderata du capital étranger et contraire aux intérêts bien compris des masses populaires.
De fait, on note une distanciation progressive entre démocratie électorale et lutte pour les droits économiques et sociaux du peuple laborieux. Avec la complicité des élites politiques, surtout celles se réclamant de la gauche, les centrales syndicales et les syndicats de branches se laissent endormir par de prétendus pactes de stabilité sociale, qui les plongent dans une léthargie profonde. La collaboration de classes est privilégiée par rapport à la défense des intérêts matériels et moraux des simples travailleurs.
Une autre régression majeure observée sur la scène politique est l’indifférence croissante de certaines forces politiques et de la société civile, aux questions de sauvegarde des intérêts populaires face au rouleau compresseur des grands projets présidentiels (autoroute Diamniadio, Aibd, Ter, Ila Touba), voire une tendance à justifier des mesures antisociales et antipopulaires (déguerpissements tous azimuts sans dédommagements conséquents, expropriations).
Quelles perspectives pour une véritable alternative en 2019 ?
Le discrédit croissant qui affecte l’élite politico-syndicale de notre pays et qui n’épargne pas les organisations de la société civile contraste avec la popularité croissante des forces religieuses, aussi bien celles d’obédience confrérique que celles incriminées – à tort ou à raison – dans des projets terroristes. Pouvoir et opposition (hormis les forces politiques gravitant autour de Sam Li Ñu Bokk) ont en commun d’occulter le remarquable héritage des Assises nationales complété par les recommandations et l’avant-projet de Constitution de la Cnri. On a parfois du mal à discerner les divergences programmatiques entre les différentes familles politiques et le pouvoir du président Macky Sall.
Les seules prises de positions audibles, en dehors des condamnations justifiées de la mal-gouvernance du régime, ont trait aux questions électorales et au funeste dessein du président Macky Sall d’écarter certaines personnalités politiques des prochaines élections présidentielles. Et pourtant, il y aurait beaucoup à faire dans le cadre de l’élaboration ou de la réactualisation d’un programme commun de gouvernement centré sur la satisfaction de la demande sociale, la refondation institutionnelle, l’émergence citoyenne et la souveraineté économique. Cela suppose que certaines forces politiques fassent leur mea culpa, quant à la façon cavalière dont elles ont géré l’Etat, quand elles étaient aux affaires.
Pour faire en sorte que les prochaines élections présidentielles débouchent sur une véritable alternative au lieu d’une simple alternance, il faut que, d’ores et déjà, les forces démocratiques et patriotiques, au-delà des questions électorales, soutiennent la bataille des masses populaires pour leurs droits économiques et sociaux, à travers les syndicats et organisations professionnelles. Il faudra également s’investir réellement pour mettre fin à l’hyperprésidentialisme obsolète et promouvoir le renforcement du pouvoir législatif ainsi qu’une véritable indépendance du pouvoir judiciaire. Il s’agit de responsabiliser véritablement les masses populaires et rompre avec ces politiques clientélistes en cours depuis notre accession à la souveraineté internationale. C’est seulement ainsi que nous éviterons le statu quo institutionnel et la régression démocratique observés au cours de nos deux premières alternances.
NIOXOR TINE