Ils sont aujourd’hui de plus en plus nombreux les Sénégalais qui ne font plus confiance à la presse qu’ils qualifient de «presse de contribution » ou de « presse de complaisance ».
Accusations fondées ou pas, Macky SALL n’en demeure pas moins le président de la République qui s’est le plus appuyé sur les journalistes pour gouverner et berner.
«La presse avait pensé que j’étais minoritaire, mais ce ne sont pas les journalistes qui font les élections. Leur opinion n’est pas celle des électeurs (…) Je ne connais pas un journaliste qui a fait une observation juste sur le Sénégal ». Quand le président Wade, qui venait juste d’être réélu à la tête de l’Etat du Sénégal pour un nouveau mandat, tenait ses propos, Macky SALL était à sa droite. L’actuel président de la république était alors le Premier ministre ayant conduit la campagne victorieuse du leader du PDS. L’opposition de ce dernier avec la presse, Macky SALL en a beaucoup appris. Elu à la magistrature suprême, le leader de l’Alliance pour la république (APR) va jeter son dévolu sur eux, les maintenant à ses côtés contre vents et marées.
Macky SALL n’a pas attendu d’être élu à la tête de l’Etat pour s’entourer de journalistes. Alioune FALL Yakham MBAYE et Madiambal DIAGNE ont publiquement revendiqué leur amitié avec l’opposant qui s’était vigoureusement s’appuyé sur eux pour se distinguer des autres candidats à la présidentielle de 2012. Journalistes et patrons de presse, ils vont accompagner Macky SALL à la tête de l’Etat sous diverses formes. Arrivé au pouvoir, Macky SALL va immédiatement nommer Youssou NDOUR ministre de la Culture et du Tourisme dans son tout premier gouvernement, dirigé par Abdoul MBAYE. Le leader de Fekke Maci Bollé n’est certes pas journaliste ; mais patron du groupe Futurs Médias (GFM) il est d’une grande utilité pour le régime. Quelques mois plus tard, en novembre 2012, Babacar TOURE est nommé président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA). Cofondateur, en 1986, de Sud hebdo devenu Sud Quotidien en 1993, Babacar TOURE était alors patron du groupe Sud Communication (Sud FM, Sud Quotidien…). Avant lui, les journalistes Abou Abel THIAM et El Hadji KASSE avaient déjà leurs quartiers à la présidence de la République.
Mais, les cas d’Abdoulatif COULIBALY et de Souleymane Jules DIOP sont d’un autre acabit et renseignent pertinemment sur la démarche d’un Macky SALL cherchant un bouclier. L’ancien maire de Fatick ne s’est pas contenté de les enrôler, il leur a enlevé toute envie de critiquer son régime. En effet, les deux journalistes ont, sans doute, été les plus acerbes à l’encontre des WADE. Le premier ne s’est pas contenté d’écrire un livre de plus de 200 pages à charge contre WADE-fils. Il a également consacré de nombreuses lignes à la magouille qui, selon ses accusations, enveloppait la vente de la troisième licence de téléphonie du Sénégal. Avec l’arrivée au pouvoir de Macky SALL, il va amorcer un virage à plus de 180 degré.
Invité de l’émission « le Grand Jury » de la RFM du dimanche 15 mars 2009, Abdoulatif COULIBALY observait : « Ma fonction première est d’être potentiellement, continuellement et perpétuellement en conflit avec le pouvoir politique (…) Ma mission, c’est de regarder ce que le pouvoir fait, de l’analyser, de le critiquer pour que les citoyens aient une grille de lecture lisible de ce qui se passe. Si cela peut être interprété comme une opposition, je l’assume totalement (…) Je suis contre la dépénalisation des délits de presse (…) pour moi, c’est un piège dans lequel tous les journalistes se sont jetés parce que c’était une vague. C’était à la mode dans les années 90 ». Dimanche 8 avril 2012, quelques jours après la formation du premier gouvernement, le fondateur de l’hebdomadaire La Gazette retourna devant le « Grand-Jury ». Et, pour cette autre sortie, il se fit plus remarquer quand il s’est agi d’apprécier la composition du nouveau gouvernement. Le journaliste déplora énergiquement la nomination de Mbaye NDIAYE au poste ministre de l’Intérieur. De son avis, un homme aussi coloré politiquement que Mbaye NDIAYE ne devrait pas être à la tête d’un département aussi stratégique que sensible. Ce fut la dernière fois qu’il critiquait publiquement les choix de Macky SALL. Le 29 octobre de la même année, il devenait ministre de la Promotion de la bonne gouvernance et porte-parole du gouvernement. Le 9 novembre, c’est-à-dire 10 jours après la nomination de COULIBALY, Macky SALL porta un premier coup à sa réputation. Le chef de l’Etat déclara, en effet, être d’accord pour la dépénalisation des délits de presse parce que son ministre l’a convaincu de sa pertinence. Souleymane Jules Diop a, quant à lui, passé plus de 4 ans en dehors du Sénégal avec comme principale activité, vilipender Abdoulaye WADE et son fils. Deux fois chaque semaine, le journaliste enchainait les scoops, gratifiant ses compatriotes d’informations les unes plus croustillantes et dangereuses que les autres. Souleymane Jules DIOP réitérait, au cours de ses émissions, ses propos indiquant ne guère être intéressé par le pouvoir. Une précision qui participait à rendre davantage crédible son discours devenant chaque jour un peu plus digeste malgré les nombreuses insultes. Elu président de la République, Macky SALL fit appel à lui. Nommé dans un premier temps à l’ambassade de Bruxelles, il finit par élire domicile au palais de la République s’occupant de la communication du maître des lieux. Et quand celui-ci reconnut lui-même les manquements de sa communication, Souleymane Jules DIOP eut une promotion et devint secrétaire d’Etat chargé des Sénégalais de l’extérieur avant de gravir d’autres échelons avec le Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC).
La liste des journalistes et patrons de presse proches de Macky SALL n’est pas fermée par Souleymane Jules DIOP et Abdoulatif COULIBALY. Aminata Angélique MANGA n’est pas comptée parmi ceux qui tiraient sur l’ancien régime et qui couvent celui de Macky. Mais elle est passée de journaliste à la RTS à Directrice générale de l’Agence Nationale pour la Relance des Activités Economiques et Sociales en Casamance (ANRAC) avant d’occuper le poste de ministre de l’Economie Solidaire et de la Microfinance dans le gouvernement Dionne Bis. Les hommes d’affaires Cheikh AMAR et Serigne MBOUP, qui se sont également lancés dans la presse, sont devenus, par la magie des marchés, aussi proches du leader de l’APR.
Mais, cette proximité entre le président SALL et les journalistes et patrons de presse dicte-t-elle de facto une complicité ? Pour Barthélémy DIAS, il n’y a qu’un petit pas à franchir. «Nous dénonçons la complicité de certains organes de presse. Avec tout le respect que j’ai pour la presse, faire fuiter des procès-verbaux dans un complot aussi vulgaire que celui-ci cela n’honore pas la profession de journaliste. Il est inadmissible qu’une autorité actuellement dans les liens d’une procédure qui relève d’une enquête et que ses avocats ne disposent pas de possibilités de l’assister, qu’ils n’ont pas accès aux procès-verbaux et qu’on se permette de divulguer ou d’organiser des fuites dans la presse. Cela relève d’un vaste complot », martelait le maire de la commune de Mermoz/Sacré-Cœur, au lendemain de l’inculpation de Khalifa SALL. Me El Hadji DIOUF ira plus loin que Barthélémy DIAS. «Il y a des journaux qui sont payés, certains, leurs patrons sont même dans le gouvernement, nous ne sommes pas fous, nous savons qu’ils leur (les journalistes, ndlr) font écrire des mensonges. Ils ne font que mentir. Chaque jour, ils inventent des choses sur Khalifa, ils le calomnient », fulminait l’avocat du maire de Dakar.
Pourtant, cette proximité dénoncée est loin de faire les affaires de la presse de manière générale. En plus d’écorcher sa crédibilité, elle laisse de nombreuses plumes à chaque face-à-face avec le régime de Macky SALL. Le dernier exemple en date : Le Code de la presse. Les responsables de la Coordination des associations de presse (CAP) ont indiqué que sur les 233 articles dudit Code, 52 sont répressifs et peuvent hypothéquer une entreprise de presse. En outre, à chaque fois qu’il est question de faire face à la presse, Macky SALL trouve le malin plaisir à aller se faire interviewer par des médias étrangers. Alors que, quand il a annoncé qu’il allait solliciter l’avis du Conseil constitutionnel concernant son engament de faire un mandat de cinq au lieu de sept ans, un patron d’un organe de presse privé a payé à tous ses journalistes présents ce jour-là des pizzas. Tellement il était heureux de la volte-face de Macky SALL.
A suivre…
Mame Birame WATHIE