CONTRIBUTION
Au concours des scandales au prorata de sa durée au pouvoir, le président Macky Sall devrait remporter la palme sans coup férir. Voilà un chef d’Etat élu à une très large majorité qui frise le plébiscite mais qui, à peine installé au pouvoir, collectionne les scandales et ne tarde pas à faire regretter à bon nombre de Sénégalais d’avoir porté leur choix sur lui à l’élection présidentielle de 2012. C’est en effet, sous son magistère que le vocabulaire du landerneau politique sénégalais s’est enrichi de nouveaux concepts jusque-là inconnus, comme «réthiou» (regret) ou «Deuk bi dafa Macky» (le pays va mal). Porté par un formidable élan populaire, le jeune président, né après les indépendances, a tôt fait de doucher l’enthousiasme des Sénégalais qui en avaient ras le bol d’un certain type de politiciens ringards, grabataires et inamovibles. En s’entourant de «bois mort» comme Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Abdoulaye Bathily ou encore Amath Dansokho, des vieux de la vieille et dinosaures politiques qui ont traversé les temps et mangé à tous les râteliers, le président Macky Sall a (dé)montré à quel point il fait peu cas du souci de renouvellement du personnel politique sénégalais en adoubant des reliques du passé qui ne sauraient en aucune manière incarner l’avenir du pays. C’est pourquoi son fameux slogan de «rupture» n’a été qu’une vile imposture. Les autres slogans portant «La patrie avant le parti» ou «La gouvernance sobre et vertueuse» sont mis à mal tous les jours par des actes posés par le régime dit de la deuxième alternance.
Il faut aussi dire que le président Macky Sall a pris un mauvais départ car se signalant là où personne ne l’attendait. Alors que les Sénégalais étaient impatients d’entendre un discours nouveau et plein d’espoirs, voilà que le président Macky Sall déclare urbi et orbi qu’il a «des comptes personnels à régler avec le Pds» pour ainsi inaugurer son mandat par une chasse aux sorcières qu’il a cherché à légaliser sous le couvert de «la traque des biens mal acquis» avec la réactivation d’une Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) alors désuète depuis Mathusalem.
A peine élu, déjà il pense à sa réélection. Et cela va déteindre sur tous les actes qu’il va poser désormais. Tout y passe. Jusqu’à remettre en cause des acquis de la démocratie sénégalaise dont un des rouages essentiels, à savoir l’opposition, n’a plus droit de cité. C’est le sens de la triste sentence tendant à vouloir «réduire l’opposition à sa plus simple expression». Anti-démocrate jusqu’au bout des ongles, la présence d’un opposant pur et dur lui donne des urticaires. C’est ainsi que Macky Sall va essayer de faire le vide autour de lui. Les opposants susceptibles de l’enquiquiner lors de la prochaine élection présidentielle subiront un traitement à la carte. Avec la «traque», le cas Karim Wade est très vite réglé : emprisonnement puis exil. Le parti Rewmi d’Idrissa Seck est décimé avec ses rangs dégarnis par le régime qui utilise là la grosse artillerie. Khalifa Sall tombe sous le piège de l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar.
Avec le «wax waxeet» sur la réduction du mandat présidentiel, Macky Sall s’est aménagé une prolongation de deux années qu’il mettra à profit pour essayer de faire des réalisations concrètes et étoffer son bilan pour 2019. D’ici là, ses engagements électoralistes de 2012 ont été oubliés les uns à la suite des autres. La promesse d’un gouvernement de 25 ministres a fait pschitt. Aujourd’hui, la République du Sénégal compte pas moins de 80 ministres, ministres d’Etat ou ministres-conseillers. Les conseillers spéciaux et chargés de mission sont des espèces en pleine expansion dans la faune républicaine. Une république régentée par la famille présidentielle, la dynastie Faye-Sall, qui fait la pluie et le beau temps au Sénégal. La véritable icône de cette cour royale, en l’occurrence Aliou Sall, frangin de qui vous savez, est éclaboussée par une série de scandales (Petrotim, Bnde). Mais, son frère de président de la République n’en a cure, qui va le bombarder à la tête de la très liquide Caisse des Dépôts et Consignations, après avoir usé de toute son influence pour le faire élire tour à tour à la mairie de Guédiawaye, à la présidence de l’Association des maires du Sénégal (Ams) et de celle de l’Union des association des élus locaux (Uael). Excusez du peu !
Grand théoricien de la gouvernance sobre et vertueuse ou de la réduction du train de vie de l’Etat, le président Macky Sall se complait en revanche à s’adonner à des dépenses de prestige avec la dilapidation des maigres ressources du pays par la mise en place d’institutions aussi inutiles que budgétivores (Cese, Hcct, Cndt) qu’il confie à des alliés pour mieux les ferrer. Dans la même veine, ce régime qui a un mal fou avec le sens des priorités, engage des dépenses somptuaires pour un Train express régional (Ter) à l’utilité incertaine. Pendant ce temps, le Sénégal ne dispose plus d’appareil de radiothérapie. Ainsi, les malades du cancer sont condamnés à une mort certaine, à moins que les plus «chanceux» d’entre eux fassent partie du cercle restreint des patients référés dans des hôpitaux du Maroc. Au même moment, faute de semences, les agriculteurs, abandonnés à eux-mêmes, n’ont pas grand-chose à attendre de l’hivernage, surtout que le peu de récolte qu’ils vont faire sera bazardé dans les marchés hebdomadaires car l’Etat ne leur a pas laissé le choix en fixant le prix de l’arachide à la modique somme de 210 francs Cfa/kg. Pendant que les opposants irréductibles sont pourchassés, arrêtés et emprisonnés, des voleurs patentés de la trempe de Awa «Coudou» Ndiaye ou Baïla Wane sont blanchis par la justice des vainqueurs. Les plus coopératifs dans la fameuse liste des «25» dignitaires de l’ancien régime poursuivis par la Crei retrouvent le sourire. Le président Macky Sall va même jusqu’à se déplacer en personne pour présenter ses condoléances à Me Ousmane Ngom ou à Samuel Sarr le «Wadiste éternel», qui ne se sont pas fait prier pour faire leur immersion totale dans le Macky.
Il a suffi que l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) épingle dans son rapport 2014-2015, rendu public, des proches du président Macky Sall, en l’occurrence Aliou Sall, Cheikh Oumar Hanne, Pape Siré Dia et tutti quanti, pour que sa présidente de l’époque, Nafi Ngom Keïta, soit limogée sans autres formes de procès. Attendu sur la question des valeurs, une variable qui a, entre autres, perdu l’ancien régime, le président Macky Sall a beaucoup déçu son monde en faisant l’apologie de la transhumance politique. Il s’y ajoute que, jamais dans l’histoire du Sénégal, un régime n’a été autant chahuté par ses connexions supposées ou réelles avec l’homosexualité. De même, d’autres monstruosités comme l’ethnicisme ou la «Sénégalité» sont apparues avec le régime du président Macky Sall. C’est d’abord Souleymane Jules Diop qui avait accusé Macky Sall d’ethniciste. Pour sa part, le professeur Penda Mbow avait fait cet aveu de taille : «Il faut reconnaître que Macky Sall a bénéficié du vote ethnique Haal Pulaar». Par la suite, l’affaire Penda Bâ, du nom de cette jeune fille Hal Pulaar qui a insulté toute la communauté Wolof, peut paraître comme un corollaire du comportement dangereux et irresponsable d’un Etat qui joue avec le feu en réveillant et en stimulant les réflexes identitaires dont l’exacerbation a plongé dans le chaos pas mal de pays au monde.
En chute libre dans les résultats électoraux, le régime de plus en plus impopulaire du président Macky Sall excelle dans l’art d’organiser des «élections de la honte». Le référendum du 20 mars 2016 et les élections législatives du 30 juillet 2017 en sont une parfaite illustration. Pour ce dernier scrutin, l’ex-ministre de l’Intérieur Abdoulaye Daouda Diallo a dépensé plus de 52 milliards de francs Cfa pour arriver à un piètre résultat avec plusieurs millions de Sénégalais qui n’ont pas pu recevoir leurs cartes d’identité biométriques pour voter et accomplir leur devoir civique.
Au même moment, des religieux comme l’Imam Alioune Ndao sont arrêtés et jetés en prison pour «apologie du terrorisme». Un cachot où le marabout va continuer à moisir le temps que le Garde des Sceaux, ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall trouve, avec ses services, comment gérer «l’infraction que constitue le fait de terrorisme qui, dit-il, est un délit nouveau dans l’armature judiciaire sénégalais. C’est la présomption d’innocence et les droits de l’Homme qui en prennent un sacré coup. C’est sur ces entrefaites que le président Macky Sall feint d’appeler au dialogue politique en tendant la main à la classe politique, une deuxième fois après la première comédie du 28 mai 2016. Alors que le Pds de Me Abdoulaye Wade avait sauvé cette première conclave en allant y participer, cette fois-ci ce sera un bide garanti car les deux plus grandes coalitions de l’opposition (Coalition gagnante Wattu Senegaal et Coalition Mankoo Taxawu Senegaal) ont très tôt fait de signifier à Macky Sall de ne pas compter sur eux pour participer à cette mascarade qui devrait finalement se tenir entre le pouvoir et du menu fretin. Ce sera ainsi un donné pour un rendu car avec un Macky Sall qui ne fait que ruser avec les acteurs politiques pour essayer de les amadouer avec la carotte ou d’utiliser le bâton selon les circonstances, et qui ne croit pas un seul mot à tout ce qu’il clame sur tous les toits, la seule réponse qui vaille face à ses différents invites, c’est NON ET NON ! La situation politique du pays est bloquée. Par sa faute. Il ne tient pas aux autres de le tirer d’affaire. Il n’a qu’à se débrouiller tout seul. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
La gouvernance de Macky Sall, c’est le règne de l’arrogance et de la désinvolture avec par exemple, Moustapha Cissé Lô qui jette par terre des billets de banque, devant Macky Sall himself. Mais aussi l’impunité avec le ministre Moustapha Diop qui éconduit, insulte et humilie une mission de magistrats de la Cour des comptes en les traitant de «petits magistrats de la Cour de règlement des comptes». La défunte 12ème législature passe pour être «la plus nulle de toute l’histoire du Sénégal».
Au plan économique, le régime en place ne fait guère mieux. Après avoir réussi la prouesse de ranger le Sénégal dans le cercle peu envieux des 25 pays les plus pauvres au monde, le président Macky Sall se paie le luxe, à travers un règlement à l’amiable, de faire perdre au Sénégal la manne financière de plus 2 500 milliards de francs Cfa prononcés par le Tribunal arbitral de Paris, pour ne se contenter que de 75 misérables milliards pour solde de tout compte, compromettant ainsi les intérêts du Sénégal. De là à accuser le président Macky Sall de haute trahison et de le trainer devant la Haute cour de justice, il n’y a qu’un pas que nous traverserons allègrement. Cette même légèreté doublée de ponce-pilatisme dans la préservation des intérêts et des biens de la Nation sénégalaise est apparue avec le bazardage des ressources minières nationales comme le pétrole, le gaz, l’or ou le zircon qui sont captés par le capital étranger ; ce qui risque de faire connaître aux Sénégalais la fameuse «malédiction du pétrole». De fait, les populations sénégalaises n’ont jamais profité de l’or de Sabodola, ni du zircon du site de Diogo ou de celui de Niafourang. Il en sera de même pour le pétrole, si l’on n’y prend garde. Déjà que des prédateurs comme Total se sont bien positionnés.
Besogneux au plan national, le président Macky Sall n’est pas conquérant au plan international comme en attestent les échecs diplomatiques répétés comme la défaite du Pr Abdoulaye Bathily à l’élection à la Commission de l’Union africaine, l’ostracisme de notre pays, de plus en plus isolé, et absent du G15. A l’opposé, les rares fois où le Sénégal prend des initiatives comme lorsqu’il accueille la 4ème édition du Forum sur la paix et la sécurité (13-14 novembre 2017), c’est pour constater le boycott de la plupart de ses homologues chefs d’Etat africains. Ces derniers n’ont sans doute pas vu d’un bon œil son manque de solidarité en octobre dernier lorsque, alors que certains chefs d’Etat des pays de la Cedeao étaient réunis à Niamey pour discuter de la création d’une monnaie unique de la sous-région, Macky Sall, lui, s’est débrouillé pour se retrouver en Afrique du Sud, vantant les mérites du… rail. Histoire de ne pas contrarier «son patron» d’Emmanuel Macron, le président français. En plus d’accorder les marchés parmi les plus juteux du pays aux entreprises françaises, qui se comportent au Sénégal comme en territoire (re)conquis, le président Macky Sall évite d’être présent à toutes les occasions où les intérêts de la France pourraient être remis en question.
Et pour ne pas fâcher l’ancien pays colonisateur, Macky Sall a fait expulser le panafricaniste Kémi Seba, comme il l’avait fait auparavant avec les opposants Kukoï Samba Sagna puis Cheikh Sidya Bayo pour faire plaisir au président Yaya Jammeh, ou avec le blogger tchadien Makaïla Nguebla pour les beaux yeux du président Idriss Déby Itno. Evidemment, les Sénégalais ont encore au travers de la gorge la fermeture des écoles Yavuz Selim par Macky Sall pour faire plaisir au donneur d’ordres Recep Tayyip Erdoğan, le tout-puissant homme fort de Turquie à qui notre Macky national obéit à l’œil et au doigt. C’est la souveraineté et la fierté nationales qui en prennent un sacré coup.
Alors qu’on pensait avoir fait le tour des incartades et des contre-performances du chef de l’Etat, voilà que Macky Sall se signale à nouveau avec une autre facette malveillante de sa personnalité : la rancune tenace. Pour avoir usé de sa liberté d’expression et joué son rôle d’opposant, le président Abdoulaye Wade, depuis Touba où il s’était rendu à bord d’un hélicoptère affrété par l’Etat du Sénégal, avait flétri la politique de (sur)endettement du Sénégal. Il n’en fallait pas plus pour que tous les hâbleurs de la galaxie Gouvernement du Sénégal-Apr-Benno Bokk Yaakaar se muent en répondeurs automatiques pour descendre en flamme le «Pape du Sopi». L’on croyait que l’incident était clos ; c’était ignorer que chez le revanchard Macky Sall, qui aime faire dans le «défanté» même dans la gestion des affaires de l’Etat, la vengeance est un plat qui se mange froid. Et les représailles sont tombées lorsque le président Abdoulaye Wade a voulu se rendre à Léona Niassène pour une visite de condoléances. Triste.
Maintenant qu’il est coincé partout, Macky Sall fait feu de tout bois. Il fait dans la récupération politique avec la qualification des «Lions» du Sénégal au Mondial de 2018 en Russie. Pour se donner bonne conscience et essayant de se racheter une conduite après tout le mal qu’il fait à un Abdoulaye Wade à qui il doit tout en politique, Macky Sall essaie de se rattraper en proposant de rebaptiser l’aéroport international Blaise Diagne de Diass en lui donnant le nom de Abdoulaye Wade. Peine perdue, car selon l’intéressé, le baptême a déjà été fait et il n’est pas question d’y revenir. A tous les émissaires qui sont envoyés chez Me Wade, une fin de non-recevoir ferme et sèche leur est servie.
Désavoué par ses pairs de chefs d’Etat, snobé par l’opposition significative de son pays, boudé par son prédécesseur, le président Macky Sall est en très mauvaise posture. Il reste au peuple sénégalais souverain de faire le reste pour qu’il dégage. D’ici là, Macky Sall peut encore compter sur Cheikh Kanté, ministre du Pse, alias le «Baye Fall de Macky» qui, à l’occasion de la visite du chantier du Pôle urbain de Dimaniadio, le 15 novembre dernier, s’est fendu d’un : «Macky Sall est le Napoléon III et le Haussmann d’Afrique !». On en a vu et entendu d’autres. N’est-ce pas Macky Sall qui faisait les louanges du président Abdoulaye Wade en ces termes dithyrambiques : «Vous êtes pour le Sénégal et l’Afrique, ce que Napoléon fut pour la France. A chaque fois que l’on eut besoin d’un homme et d’un seul, tous les esprits se sont tournés vers vous, Maître (…). Comme Roosevelt qui, en 1929, tira l’Amérique de la grande récession par la politique des grands travaux, vous avez mis le Sénégal sur orbite, pour en faire un pays émergent, grâce à vos vastes chantiers qui ont fini de redonner aux éléphants leurs couleurs naturelles». Sans commentaire.
Pape SAMB