CONTRIBUTION
Le soulèvement du peuple malien et le renversement subséquent du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keïta par l’armée, le 18 août 2020, est un témoignage éloquent que le pouvoir appartient au peuple et que les dirigeants ne sont que des mandataires.
La mobilisation populaire contre le régime en place, qui a commencé plusieurs mois auparavant sonne comme le compte à rebours d’un processus au cours duquel les Maliens ont révoqué leur président élu en 2013 et réélu en 2018.
Cette expérience malienne est emblématique et devrait inspirer tous les pays du continent où les mécanismes institutionnels de contrôle de l’action gouvernementale se sont effondrés et ne permettent pas aux élus de rendre des comptes pendant leur mandat. Dans la mesure où le peuple est le vrai dépositaire du pouvoir, les forces progressistes africaines doivent s’inspirer de l’exemple malien pour créer des jonctions et pour se dresser contre tout dirigeant qui tenterait de faire entorse aux règles du jeu démocratique.
La résistance en cours contre les tripatouillages de la constitution pour prolonger le mandat présidentiel doit être l’acte inaugural d’un sursaut continental pour mettre fin aux dérives anticonstitutionnelles et stabiliser les institutions, afin de mieux faire face aux grands défis structurels qui empêchent le décollage économique et social de l’Afrique. Le pouvoir appartient au peuple et certains dirigeants africains qui sont devenus sourds aux cris de détresse de leurs concitoyens continueront inexorablement de l’apprendre à leurs dépens.
La récente victoire démocratique du peuple malien, dont la pression populaire a précipité la chute d’Ibrahim Boubacar Keita, en est la preuve vivante. La destitution du président malien est intervenue après plus de deux mois d’affrontements entre une alliance d’acteurs politiques de l’opposition et de la société civile (le mouvement M5-RFP) et le régime corrompu au pouvoir. Le fait que les manifestants aient exigé et obtenu la démission d’IBK, puis sa déposition par l’armée démontre que la démocratie participative devient une exigence fondamentale sur le continent. C’est une réponse aux défaillances de la démocratie représentative qui a prévalu sur le continent depuis les transitions démocratiques des années 1990.
Après plus de trois décennies, les fondamentaux de la démocratie avaient commencé à s’effriter parce que les citoyens avaient perdu tout intérêt pour la vie politique. Ils avaient l’habitude d’exprimer leur volonté par l’intermédiaire de représentants corrompus qui, malheureusement, ne se soucient guère de la volonté générale, mais s’emploient plutôt à piller les ressources au profit d’une caste politique bien établie. Dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, le Parlement n’est pas représentatif de la diversité de la société et a cessé d’être une chambre de résonance du désarroi du peuple. Les élus sont déconnectés de la réalité quotidienne des citoyens-électeurs qui ont perdu confiance des hommes politiques. Le pouvoir judiciaire est subordonné à l’exécutif et ne jouit d’aucune autonomie, roulant pour les plus forts.
Dans ce contexte marqué par la faiblesse des contre-pouvoirs, la « repolitisation » du peuple et la démocratisation des luttes restent le dernier rempart contre la tyrannie des élites au pouvoir. C’est pourquoi nous exhortons les peuples africains à suivre le bel exemple de bravoure et de vaillance de la jeunesse malienne afin de mettre fin aux régimes corrompus et au règne de dirigeants qui veulent se maintenir au pouvoir en tripatouillant leur constitution. Les amendements constitutionnels visant à prolonger les mandats des présidents en exercice posent des défis à la démocratie africaine. En Guinée, le débat fait rage et les manifestants qui s’opposent à un troisième mandat d’Alpha Condé ont défié le régime au prix de leur vie.
En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara en violation flagrante de la constitution de son pays, défie les règles pour briguer un troisième mandat de cinq ans, et s’est donné les moyens d’éliminer du jeu une partie significative l’opposition. Cette situation machiavélique, d’inspiration sénégalaise, va encore plus loin. Il affirme fortement son désir de réprimer toute voix discordante de cette aventure, ce qui pourrait déboucher sur la déstabilisation de son pays et de la sous-région. Un des préalables de la démocratie est l’existence d’une opposition capable de proposer une offre politique alternative, la tenue d’élections régulières et inclusives, mais surtout la limitation dans le temps du mandat des dirigeants pour prévenir les abus autoritaires et la transmission héréditaire du pouvoir.
Dans les pays ouest-africains où les mêmes élites se sont succédé à la tête de l’État pendant une longue durée, le système politique et économique est structuré pour servir uniquement les intérêts d’une caste d’élites politico-affairistes. Conséquemment, le principe de reddition de comptes que les élections devraient aider à garantir est sapé tandis que les ressources publiques sont privatisées par les tenants du pouvoir qui refusent de les redistribuer de manière équitable. Ils les utilisent simplement pour alimenter des réseaux clientélistes. Aujourd’hui, nous tirons la sonnette d’alarme et invitons les peuples à briser ce cercle vicieux, car à mesure que ces réseaux clientélistes et politico-affairistes se solidifient, les perspectives du changement par les urnes s’amenuisent et la corruption s’érige en norme.
Par ailleurs, lorsque les hommes et femmes ne sont plus portés par l’espoir d’un changement par des moyens démocratiques, les tensions déstabilisatrices sont dangereusement attisées. Il est donc impératif que les forces politiques, sociales et progressistes construisent partout des jonctions pour mettre fin au syndrome du troisième mandat. L’expérience malienne nous apprend qu’aucun dirigeant ne peut tenir devant la mobilisation populaire et démocratique d’un peuple déterminé à mettre fin aux excès autoritaires des tenants du pouvoir. Par conséquent, nous sommes solidaires des luttes démocratiques sur le continent. Nous appelons les peuples guinéens et ivoiriens à se mobiliser partout pour mettre en déroute les projets « démocraticides » de Condé et Ouattara, afin de décourager définitivement certains autocrates déguisés en démocrates à répliquer impunément ce mauvais modèle.
Jusqu’à présent, au Sénégal, Macky Sall baigne dans le clair-obscur, laissant ses affidés de la coalition au pouvoir agiter l’idée d’un troisième mandat à son profit. Mais nous affirmons ici, devant l’histoire et la face du monde, que le coup de force ne passera pas au Sénégal. La tournure du débat sur le troisième mandat consécutif révèle que rien ne menace autant la stabilité des institutions et des processus démocratiques en Afrique que leur abus par ceux qui sont censés les préserver. Ces violations sont souvent perpétrées sous le regard indifférent d’organismes régionaux et continentaux dont les offres de médiation politique sont souvent faites au bénéfice de ceux qui sont au pouvoir. Si les pourparlers au Mali visant à trouver une issue à la situation politique, au lendemain du coup d’État du 18 août 2020, se sont terminés sans accord concret, c’est parce que la CEDEAO a adopté une ligne dogmatique et hypocrite en demandant le rétablissement d’IBK. Également, en prenant des sanctions contre le Mali, alors que le pays est économiquement à genoux et en proie à l’insécurité dans le nord et le centre du pays, l’organisation communautaire est un facteur aggravant de la crise.
La stabilité du continent est très sérieuse pour être laissée à la seule responsabilité des pays qui ont des structures étatiques faibles et des cultures démocratiques immatures ou inexistantes. L’intervention des organismes régionaux est parfois nécessaire et même cruciale. Mais les peuples de l’Afrique de l’Ouest ne peuvent pas confier leur destin à la CEDEAO des chefs d’État. L’organisation, devenue un club de dictateurs, a clairement indiqué qu’elle n’est pas du côté des Maliens qui se sont battus pour démettre un président qui a perdu toute légitimité dans le pays.
IBK a perdu toute emprise sur son pays qui, en réalité, est devenu un navire ivre et sans destination précise. La démarche de la CEDEAO est d’autant plus paradoxale que lorsque les dirigeants au pouvoir violent les constitutions de leur pays pour prolonger leurs mandats, l’institution devient aphone, validant ces forfaitures par le silence. Si les dirigeants de la CEDEAO ne travaillent pas pour trouver un consensus continental sur la limitation des mandats présidentiels et les dérives de mauvaise gouvernance, les forces progressistes (politiques et société civile) doivent prendre leur responsabilité et se constituer en un contre-pouvoir fort contre les méthodes « démocraticides ».
Nous croyons fondamentalement que seule la mobilisation populaire – à l’image de ce qui vient de se passer au Mali – constituera la force motrice permettant de stopper la propension des dirigeants à forcer le troisième mandat. Les peuples africains sont émancipés et sont soucieux de la préservation des acquis démocratiques. Rien ne sera plus comme avant sur le continent et il n’est plus question de retourner à l’âge de la pierre taillée de la démocratie. Vive la solidarité des peuples africains !
Dr Babacar DIOP
Secrétaire Général FDS