Ce dimanche 19 novembre marque l’anniversaire de l’assassinat de Fatoumata Moctar Ndiaye. Présumé auteur des faits, son chauffeur et homme de confiance, Samba Sow dit Bathie, vient de boucler un an de détention sans jugement. Plusieurs péripéties ont jalonné le dossier. Le point sur l’enquête.
C’est ce dimanche que la famille de Fatoumata Moctar Ndiaye célèbre le premier anniversaire de l’assassinat du cinquième vice-président du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Elle a été égorgée comme un mouton à son domicile, au quartier de Khourounar de Pikine. Elle ignorait sans doute que sa vie allait prendre un tournant tragique, en ce jour de Magal 2016. Horrible fin d’une responsable politique de l’Apr qui, pourtant, n’occupait aucun poste de responsabilité officiel, ni au sein de sa formation politique, ni dans l’appareil d’Etat. Mais qui constituait un obstacle politique à ses camarades de parti. Cette mort atroce on s’en souvient, a poussé le peuple a plaidé pour le retour de la peine de mort, abolie depuis 2004 par le régime libéral, en remplacement de la perpétuité (prison à vie). Un an après cette mort tragique, l’instruction se poursuit. L’auteur présumé, Samba Sow dit Bathie (32 ans), chauffeur et «homme de confiance» de sa défunte patronne, est toujours en détention provisoire, à la chambre 14 de la Maison d’arrêt de Rebeuss. Célibataire sans enfant, il a été inculpé le 25 novembre dernier, pour «assassinat», «tentative de vol avec effraction et usage d’arme» et «tentative d’assassinat», en rapport avec les blessures occasionnées sur le fils de la victime, Adama Bâ, dont le seul tort a été de tenter de sauver sa mère.
Selon sa famille, Samba Sow est malade et est en proie à des crises. «Sa santé se dégrade de jour en jour. Récemment, on lui a amené un bol et au contact, il a contacté des boutons sur tout le corps. Il est malade depuis ce jour et curieusement, l’auteur de ce repas n’est pas enregistré sur les registres, conformément à la règlementation. Nous craignons sérieusement pour sa vie car ses ennemis sont en train de tout faire pour l’empêcher de parler, de dire la vérité sur la mort de Fatoumata Moctar Ndiaye. Il a agi sur ordre des commanditaires de l’assassinat», avertit sa sœur. L’instruction du dossier aura été marquée par l’audition sur le fond et la confrontation entre Bathie, sa tante et le policier auteur de l’enquête. Parce que Bathie avait refusé de signer le procès-verbal d’enquête, au motif que les déclarations consignées ne reflètent pas ses dires, le policier en charge de l’enquête préliminaire a été convoqué par le juge d’instruction. Un face-à-face au cours duquel Bathie a nié les aveux qu’on lui a prêtés tout au début de l’histoire, notamment le mobile financier du crime. Toujours à l’audition, l’accusé a posé la condition selon laquelle il ne parlera pas sans la présence de trois personnalités politiques et un journaliste qu’il a nommément cités dans une lettre adressée à son juge. Mais ce dernier n’a pas jugé utile de les convoquer, sous prétexte que «l’un d’entre eux est un ministre de la République en fonction».
Sa famille balaie le «mobile financier»
Coup de théâtre, après quelques semaines de détention. Sentant l’étau judiciaire se resserrer contre lui, Samba Sow décide de faire éclater la vérité au grand jour. Ce sera d’abord par le biais d’une lettre où il nie les premiers résultats de l’enquête qui lui attribue les aveux selon lesquels le mobile du crime est qu’il voulait compléter la dot de 300 000 Frs Cfa qu’on lui a demandée pour son mariage. «On dit que j’ai pénétré dans la chambre de la dame (Fatoumata Moctar Ndiaye) pour voler de l’argent. On dit aussi que je visais l’argent du Gie, mais je dis que c’est faux. L’argent du Gie a été versé aux banques bien avant l’incident et c’était un mercredi. Si je voulais de l’argent, je savais où le trouver. J’étais le bras droit de la femme et souvent, elle m’envoyait récupérer de grosses sommes d’argent, des millions, sans que j’en touche un seul centime», dit-il dans la correspondance. La thèse du mobile financier est aussi démentie par la famille de la défunte elle-même. «Au début on a parlé de mobile financier. Nous avons pensé que le mobile n’était pas financier, parce qu’il n’y avait pas d’argent chez Fatoumata Moctar Ndiaye. Nous savons pertinemment que mobile n’est pas financier. En plus, quand on vole à sa patronne, on a pas besoin d’amener une arme», affirment Assane et Ciré Ndiaye, frères de la victime.
L’enquête écarte la piste des commanditaires
C’est la famille de Fatoumata Moctar Ndiaye qui a en premier évoqué la piste des commanditaires, dès les premières heures. «Samba Sow a dit qu’il y a des commanditaires derrière l’assassinat. Nous avons pensé à cela dès le début, mais nous ne l’avons jamais dit. Nous sommes restés tranquille chez nous, attendant que la Justice fasse son travail. Nous demandons au procureur d’entendre la tante de Samba Sow et les personnes qu’il a citées», invitent des membres de la famille de la défunte. Sur le plan électoral, Fatoumata Moctar Ndiaye ne pesait pas lourd. Mieux, elle était inconnue du grand public jusqu’au jour de sa mort qui l’a rendu tristement célèbre. Officiellement, elle n’occupait pas une poste de responsabilité assez convoitée ni au sein de son parti, l’Apr, ni dans l’appareil d’Etat. Mais alors, que lui veulent les responsables politiques de son parti ? La seule constante est qu’elle jouissait de l’entière confiance de toutes les femmes apéristes de la banlieue. Sa proximité avec le chef de l’Etat, Macky Sall, était déjà légendaire. Ce qui présageait déjà des postes qu’elle allait hériter, plus tard. Même en prison, Samba Sow reçoit la visite de plusieurs personnes proches du régime. Dans quel but ? Recevoir des propositions d’argent, de voyage et même de libération, en échange de son silence sur les commanditaires. Cela ressort des dires de l’intéressé lui-même rapportés par son ex-voisin de chambre, B. Guèye, récemment libéré après avoir purgé un mois, pour conduite sans permis.
Au sujet des commanditaires de l’assassinat de sa patronne, Samba Sow met à l’index deux hauts responsables politiques de l’Apr. «Ce ne sont que de mauvais gens qui ont fait le coup. Je les connais bien et je vais les citer bientôt. Ce sont deux femmes responsables de l’Apr car, depuis 2015, elles avaient tenté le coup, mais par manque de possibilité, elles ont laissé tomber». Et les propositions ne manquaient pas à l’époque, si l’on en croit toujours l’auteur de la lettre : «La première chose qu’elles m’avaient proposé, c’était de mettre des gris-gris dans sa voiture et à l’entrée de la maison. Elles m’avaient dit que si je l’acceptais, elles allaient me donner 500 000 F Cfa et une intégration dans la Fonction publique. J’avais refusé et elles m’avaient menacé de mort». Il accuse sa famille de l’avoir coulé : «Ma propre famille m’a sacrifié. Je suis innocent. Je sais bien ceux qui ont fait ça. Si vous demandez à ma tante Satou Sow, responsable des femmes Apr de Pikine, elle connait tout. C’est elle et des députés qui m’ont sacrifié. Ils ont fait ça à cause de l’argent et du pouvoir».
Un an après l’assassinat de Fatoumata Moctar Ndiaye, l’enquête laisse volontairement persister beaucoup de zones d’ombre. Pas de réquisition à la Sonatel sur les relevés d’appels téléphoniques ; ni de relevés d’empreintes sur l’arme du crime ; ni l’audition des présumés commanditaires cités par l’inculpé. Curieusement, le policier en charge de l’enquête préliminaire au Commissariat de Pikine, l’agent Ndiouga, est relevé de ses fonctions et muté ailleurs, durant cette période trouble. On se demande aussi sur le fait que le commissaire de Police de Pikine au moment des faits ne soit plus en fonction dans cette localité. On s’interroge toujours et encore sur le mobile de ces départs précipités.
Walf Quotidien