CONTRIBUTION
Ce vendredi 10 novembre 2017, le Sénégal se qualifie pour la deuxième fois de son histoire à une coupe du monde en battant l’Afrique du Sud sur un score de 2 : 0.
Une nouvelle accueillie avec liesse et fierté. Elle peut cependant être analysée sous différentes perspectives, notamment géopolitique.
Avec une population de 14 354 690 d’habitants et une superficie de 196 712 km2, le Sénégal demeure parmi les plus petits Etats du monde, géographiquement parlant.
En fait, l’une des règles les plus basiques qui font autorité sur la scène internationale est sans nulle doute la PUISSANCE.
Certains pays sont des puissances affirmées ! Ils le sont sur le plan militaire (USA), économique (Allemagne, France…), technologique (Japon, Corée du Sud, Inde…), démographique (Chine, Nigéria) ou encore touristique (Egypte, Brésil, Grèce, Afrique du Sud…).
Néanmoins il n’est pas donné à tout pays de côtoyer la Gotha mondiale de ces domaines respectifs. Bien des pays, comme le Sénégal, trainent un certain nombre de handicaps dus à la petitesse des ressources ou à un manque d’attrait.
Le Football, un excellent outil de « Soft power »
Le Soft power est un concept-clé en relations internationales. Développé par le professeur américain Joseph Nye, il peut être défini comme un moyen permettant d’influencer indirectement le comportement d’un acteur (politique, firme, ONG, institution internationale, Etat…) à travers des moyens non coercitifs. Ces derniers peuvent être culturels ou idéologiques. Ainsi, il est tout à fait légitime de ranger dans la catégorie culturelle, le RnB américain, le Kungfu chinois et le Jellâba arabo-musulman.
Le Soft power est en vogue. Très en vogue. Cet état de fait se justifie par la prédominance de plus en plus croissante de l’arme économique et culturelle sur le militaire ; le football est incontestablement un sport de renommée mondiale, si un pays veut projeter une image positive de lui sur la scène internationale, il n’en existe pas de meilleur ambassadeur.
Il s’agit d’une nouvelle idéologie du football, une nouvelle idéologie – dirigée par l’État, extrêmement politique et dotée de ressources abondantes. C’est l’antithèse même de la vision socioculturelle européenne du football et du libéralisme américain.
Aujourd’hui des exemples de pays qui ont occupé la scène sportive en général et footballistique en particulier sont légion.
Dubaï, Qatar, Abu Dhabi
En 2004 Dubaï signe avec Arsenal un contrat d’environ 160 millions de dollars pour voir le nouveau stade du club porter le nom de son transporteur Emirates et de faire figurer l’effigie de Fly Emirates sur les différents supports sportifs du club.
En 2011, Abu Dhabi à son tour sponsorise le stade de Manchester City. Il va s’appeler Etihad Stadium, nom de la compagnie aérienne d’Abu Dhabi. Le contrat s’élève à 640 millions de dollars.
Concernant le Qatar, au cours de la décennie écoulée, l’émirat gazier a tenté de compenser sa petite taille, et dès lors sa fragilité politique, par une diplomatie sportive couronnée de succès : tous les grands rendez-vous sportifs, de l’athlétisme (2019) à la natation (2023), en passant par le football (2022), le cyclisme (2016), ou encore le handball (2015) y auront organisés leurs Championnats du monde d’ici à 2023. Le football, le sport roi, aura été la vitrine privilégiée, avec, outre l’obtention du Mondial-2022, le rachat du Paris SG en 2011, et l’arrivée dans la capitale française du Brésilien Neymar, le joueur le plus cher de l’histoire.
La Chine
La Chine a une politique similaire que l’on pourrait appeler la “diplomatie des stades”. Les quatre stades de la Coupe d’Afrique des Nations au Gabon ont été construits gratuitement ou grâce à des prêts bonifiés par la Chine. Ce n’est donc pas un hasard si le Gabon, dont l’exportation principale est le pétrole brut, est devenu par la suite un partenaire global de coopération commerciale avec la Chine.
La Russie
Moscou ayant raté le virage technologique du début des années 1990 et voulant reconstruire les lignes tsaristes de sa gloire d’antan, a très vite compris que le projet Novorusse ne pouvait connaitre une plénitude en faisant abstraction du soft power. Ceci justifie la tenue des jeux d’hiver de Sotchi en 2014 et la coupe du monde 2018. Avec une implication sans précédant de Vladimir Poutine. A travers son engagement, il transparait en filigrane que le football est indissociable de la politique.
Abstraction faite de l’aspect sportif, que gagne le Sénégal ?
Tourisme : il constitue la deuxième source de devises du Sénégal après la pêche et seconde pourvoyeuse d’emplois après l’agriculture. Malgré les atouts dont dispose le Sénégal, le nombre de touristes décroit d’année en année. Les spécialistes pointent du doigt le manque de formation des acteurs, le manque de visibilité sur la toile et l’absence d’un tourisme local. En effet, avant la qualification à la coupe du monde de 2002 bon nombre de Sénégalais établis à l’étranger étaient de manière très fréquente choqués à la question de savoir : Où se trouve votre pays ? ou de subir des remarques telles que « Votre pays est vraiment minuscule, j’ai eu du mal à le localiser sur la carte ! », et ainsi de suite. Booster le tourisme requiert ce que l’on appelle dans le jargon du showbiz le Buzz. Moscou sera la vitrine du Sénégal par excellence.
Mise en valeur des joueurs : si les joueurs offrent de bonnes prestations, ce sera un tremplin vers des clubs plus huppés de la trame du Barca, du Real, du Bayern, de la Juventus, du PSG, des deux Manchester, etc.
Renforcement du sentiment patriotique : Le sport en général et le football en particulier, en outre de leurs bienfaits sur le corps, constituent de formidables instruments de médiation entre les gens, les peuples. Ils imposent très souvent aux plus belliqueux à taire leurs divergences et à exclure toute velléité centrifuge.
La scène internationale est de nos jours envahie par de nouvelles identités : les mouvements transnationaux. Un Sénégalais peut se sentir plus proche de Daech qu’à son pays. Il peut aussi être enclin à plus s’identifier aux mouvements altermondialistes qu’au Sénégal.
Avoir foi en l’avenir de son pays : Nous nous sommes amusés à interroger quelques étudiants en leur posant la question suivante : quel pays africain proposeriez-vous comme membre permanent s’il y avait une sixième place à pourvoir au sein du Conseil de Sécurité ?
Ainsi, trois pays sont sortis du lot dépendant de la fréquence des réponses : Nigéria, Egypte et Afrique du Sud. Surtout le Nigéria. Ils justifient leurs réponses par la l’attrait culturel de Lagos, Nollywood domine le cinéma africain, l’Afrobeat domine la musique mondiale. Ceci parce qu’ils mettent en exergue une image positive du pays, ils ont foi en son avenir.
Le Soft power constitue le théâtre de la manifestation de « volonté de puissance » entre les Etats. Il demeure bouillant et passionnant et offre d’innombrables opportunités. Il est donc du devoir du Sénégal de mettre un accent très particulier sur l’attention qu’il peut cristalliser durant le Mondial 2018. De l’utiliser à bon escient pour se faire davantage un nom et ainsi vendre la destination Sénégal.
Amadou Moctar ANN
Chercheur en Sciences politiques