Sankara ! En Afrique et dans la diaspora, ce nom est devenu synonyme de révolution et d’engagement panafricaniste.
Le capitaine burkinabè est perçu comme un modèle absolu qui défie le temps et les aléas de la géopolitique.
Pourquoi Thomas Sankara est-il aussi central pour une génération qui l’a peu ou pas connu?
Le 15 octobre 1987, le commando qui a abattu l’homme a surtout créé un mythe qui, 30 ans après, continue d’être une source d’inspiration.
L’ancien chef d’Etat burkinabè représente pour beaucoup d’africains ce que le Négus éthiopien Hailé Sélassié est pour les rastas : un modèle achevé de leader noir, panafricaniste de surcroît.
Leader révolutionnaire
Pour ces millions de jeunes qui l’adulent, Sankara est aussi un leader proche de son peuple, un féministe, un altermondialiste, bref un héros continental au même titre que Mandela.
Son souvenir est encore vivace à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, et dans toutes les grandes villes du continent où son idéologie est perpétuée à travers la musique, l’art et la politique.
Le capitaine Thomas Sankara voulait appliquer au Burkina Faso, pays qui l’a vu naître en décembre 1949, une politique sociale mettant les intérêts du peuple au centre.
Avec ses frères d’armes, il s’est très tôt frotté aux idéaux communistes.
En 1976, il créé le Regroupement des officiers communistes (ROC), un mouvement d’extrême gauche.
Arrivé au pouvoir en 1983 après un coup d’Etat appuyé par une insurrection populaire contre Jean Baptiste Ouédraogo, Sankara fait de la fin des injustices sociales son cheval de bataille et de la lutte contre la pauvreté et la corruption, ses principales priorités.
“Le pouvoir au peuple”
Sankara, c’est aussi celui qui voulait mettre un terme aux pratiques qui maintiennent le peuple en dehors des programmes politiques.
Dans sa volonté de mettre le peuple au centre de l’action politique, il crée les Comités de défense de la Révolution (CDR), des organes décentralisés chargés d’exercer localement le pouvoir au nom du peuple.
Ces comités gèrent la sécurité publique, la formation politique, l’assainissement des quartiers, le développement de la production et de la consommation des produits locaux, la participation au contrôle budgétaire dans les ministères, etc.
Mais, ils sont aussi accusés d’exactions et de débordements que Sankara lui-même dénoncera.
Idéologue en treillis
“Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance”, disait-il, expliquant sa soif de connaissance et son appétit pour la lecture.
En 1969, à l’Académie militaire d’Antsirabé, à Madagascar, il étudie, les sciences politiques qui deviennent une passion pour lui.
Sur Youtube, les vidéos de ses discours enregistrent des millions de vues.
L’homme sait manier le verbe.
Sankara était-il un penseur ? Un idéologue politique ? Oui, selon le professeur de philosophie burkinabè Abdoulaye Barro.
Anti impérialiste
“Nul ne s’étonnera de nous voir associer l’ex Haute-Volta, aujourd’hui le Burkina Faso, à ce fourre-tout méprisé, le tiers monde, que les autres mondes ont inventé au moment des indépendances formelles pour mieux assurer notre aliénation culturelle, économique et politique. Nous voulons nous y insérer sans pour autant justifier cette gigantesque escroquerie de l’Histoire. Encore moins pour accepter d’être “l’arrière monde d’un Occident repu”, déclare Thomas Sankara devant l’assemblée générale des Nations unies, le 4 octobre 1984.
Anti-impérialiste assumé, Sankara est un non-aligné qui affiche ses amitiés avec des leaders en rupture de ban en Occident notamment ceux membres du bloc soviétique dans un contexte de guerre froide.
Le jeune capitaine burkinabè veut affranchir son pays de la tutelle de l’ancien colonisateur, la France, avec qui il voulait renégocier les accords de coopération.
Son clash d’anthologie avec le président français de l’époque, François Mitterrand en visite au Burkina Faso, en dit long sur son point de vue sur la France et les pays occidentaux.
Sankara s’oppose à la même période aux réformes néolibérales et aux programmes d’ajustement structurel imposés à l’Afrique par les bailleurs de fonds.
Il cherche à rendre son pays autonome et capable de prendre son destin en main. Pour lui, mettre un terme à la dépendance diplomatique et commerciale du Burkina Faso vis-à-vis de la France est plus que nécessaire.
C’est ainsi qu’il prône le non-remboursement de la dette à Addis Abeba en juillet 1987, trois mois avant son assassinat.
Féministe
Le Burkina, comme la plupart des sociétés traditionnelles africaines, est régi par un système patriarcal qui accorde peu de place à la femme.
Voulant mettre fin aux injustices, Thomas Sankara s’engage pour la promotion et l’émancipation des femmes.
Il nomme plusieurs d’entre elles ministres.
Plus anecdotique, le 8 mars 1987, ils demandent aux hommes de célébrer la journée internationale de la femme en échangeant de rôle avec leurs épouses.
Ce qui suppose que les tâches ménagères sont pour une fois dévolues aux hommes.
Cet engagement féministe, il en a fait part à ses pairs du monde entier dans un discours aux Nations unies en 1984.
Réduction du train de vie de l’Etat
Thomas Sankara était connu pour sa rigueur dans la gestion des deniers publics.
Le président du conseil national de la révolution avait réduit le train de vie de l’État.
La rigueur dans l’utilisation des maigres ressources du pays était l’un des crédos du gouvernement de Sankara.
Les groupes d’animation révolutionnaire comme les pionniers et les colombes, orchestres qui multipliaient les prestations au Burkina Faso et à dans d’autres pays africains, peuvent en témoigner.
Les cachets de chaque prestation allaient jusqu’à 15 millions de Francs CFA mais rien ne revenait à Fatou Diallo, chef d’orchestre, ni à ses camarades.
”Nous n’avions même pas droit aux frais de mission. Tout était rendu au trésor… mais il ne traversait la tête de personne de réclamer quoi que ce soit, bien au contraire”, explique Fatou Diallo
Sous la révolution, les véhicules de standing étaient interdits aux hauts responsables.
Le président et ses ministres circulaient en Renault 205 pour faire des économies.
Les principaux responsables du régime n’avaient pas d’avantages particuliers ; au contraire, ils devaient donner l’exemple.
Selon certaines sources, à son arrivée au pouvoir, le président du Faso avait découvert une commande de véhicules de haut standing pour un montant de 50 millions de f CFA; il a contacté les fournisseurs pour prendre des tracteurs à la place.
Autre aspect mentionné avec nostalgie par ses proches, tous les cadeaux et émoluments qui lui étaient donnés revenaient au trésor public.
Jusqu’à aujourd’hui, on peut voir dans son village sa résidence en brique faite de banco.
La modeste bâtisse est complètement en ruine tout comme sa maison familiale dans la capitale Ouagadougou.
Les sanctions des fonctionnaires sous la révolution étaient bien souvent pécuniaires. En cas de faute, des retentions étaient faites sur les salaires pour la construction des infrastructures.
avec BBC